Théophore. Porteuse du divin (détail). Gertrude Crête, SASV. Encres acryliques sur papier, 2000 (photos © SEBQ).
« Théophore, porteuse du divin »
Anne-Marie Chapleau | 2 septembre 2019
On approche à pas feutrés du mystère de Dieu. Le lieu de la rencontre est une « terre sainte » (Ex 3,15) ; on n’y vient pas avec ses gros sabots. Intérieure, cette terre reste parfois inexplorée ou désertée ; on n’a jamais fini d’en explorer les chemins. Ils ne conduisent pas hors de la vie et du quotidien, mais en exposent la trame profonde. Il arrive que son souvenir s’estompe, mais jamais le désir de s’y tenir ne disparaît. De multiples voix peuvent en raviver la mémoire et faire émerger son désir à la surface de la conscience. Les mêmes voix répercutent cette « voix de fin silence » qu’y entendit autrefois le prophète Élie (1 R 19,12) et qui chantait son propre mystère dans la langue de Dieu. Ces voix disent l’Unique Parole que chacune et chacun peut entendre dans sa « langue de naissance » (Ac 2,8).
Dans la Bible, ces voix multiples passent souvent par des figures humaines : des rois, des prophètes, des bergers, des pêcheurs. Beaucoup d’hommes! Mais aussi des femmes, et c’est essentiel! Car c’est l’humanité tout entière qui fut créée « image de Dieu » (Gn 1,27). Cette image serait gravement altérée si seuls ses reflets masculins étaient donnés à voir. Les femmes de la Bible expriment donc quelque chose de ce féminin qui existe en Dieu. Chacune d’elles, pourvu qu’elle soit chair ajustée sur la Parole [1], est « théophore », c’est-à-dire « porteuse du divin ». Cette expression vient de l’artiste Gertrude Crête, dont les œuvres ont grandement enrichi plusieurs des chroniques Au féminin. Ajoutées les unes aux autres, les femmes de la Bible « [esquissent] la théophore, porteuse du divin ».
Porteuse d’une pluralité d’expériences
Cette « théophore » n’est aucunement équivalente à un « éternel féminin » [2], autrement dit à une « nature » féminine qui absorberait la diversité des femmes et enfermerait celles-ci dans une « vocation » singulière et unique. Non! Elle « porte » une pluralité d’expériences : le deuil de Noémie, l’écoute attentive de Houlda, la révolte de Vasthi, la résilience de Ruth. Elle ajoute des nuances à la palette de Dieu : l’audace de Judith, la ruse de Yaël, la sagesse de Débora, le courage d’Esther. Elle donne à entendre la plainte de Rachel (Mt 2,18), le désespoir de Sarra fille de Ragouël (Tb 3,11-16), la tristesse puis la joie d’Anne, mère de Samuel (1 S 1,9-11 ; 2,1-10). Elle se fait solitude, pauvreté, abandon dans toutes les femmes bafouées, rejetées ou méprisées, justement parce qu’elles sont femmes ; dans le même temps, elle porte la miséricorde et la tendresse que Dieu éprouve envers elles. Elle rit avec Sarah lorsque Dieu lui donne de quoi rire (Gn 21,6), porte la paix avec Abigayil (1 S 25) et l’espérance d’Israël avec la prophétesse Anne. Elle devient Arche d’alliance quand Marie, non plus symboliquement, mais réellement, porte le Sauveur.
Elle nous invite toutes et tous à nous reconnaître aussi porteuses et porteurs du divin.
Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).
[1] La Bible présente aussi son lot de femmes dures, violentes ou rebelles à la Parole. Une même femme peut lui être, comme tout être humain, tantôt ouverte, tantôt fermée.
[2] Pour une critique du concept d’« éternel féminin », voir l’article de la théologienne Denise Couture : http://femmes-ministeres.org/?p=1411