Sarah (détail). Gertrude Crête, SASV. Encres acryliques sur papier, 2000 (photos © SEBQ)
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Le défi de Sarah
Anne-Marie Chapleau | 7 janvier 2019
Lire Genèse 11,27–25,11
L’histoire de Sarah, la plus célèbre matriarche [1] de la Bible, femme du non moins célèbre patriarche Abraham, est longue. Mieux vaut donc en venir tout de suite à l’essentiel.
Son histoire connaît un point de bascule lorsque Dieu avertit son époux de ne plus l’appeler « Saraï », mais « Sarah », « car son nom est Sarah [2] » (17,15). Elle aurait donc vécu jusque-là sous un nom d’emprunt ne lui correspondant pas tout à fait.
Saraï apparaît dès le verset 11,29 et le texte avertit d’emblée le lecteur de sa stérilité. Son nom signifie « mes princes [3] » ; elle sera en effet la femme – ou l’objet – de quelques princes, à commencer par Abram [4] lui-même.
Le prince Pharaon
Sitôt arrivés au pays de Canaan en réponse à l’appel du Seigneur, Abram et son clan se réfugient en Égypte pour échapper à la famine. Bientôt, Saraï se retrouve au palais de Pharaon. Abram l’a fait passer pour sa sœur par crainte de l’éventuel mauvais sort qu’auraient pu lui réserver les Égyptiens pour s’emparer de sa trop belle femme. Saraï n’a pas protesté, elle est demeurée passive et muette.
Une idée géniale?
Le temps passe et la stérilité de Saraï perdure malgré toutes les promesses de descendance innombrable faites par le Seigneur à Abram. Saraï sort de sa passivité pour soumettre à Abram l’idée géniale qu’elle vient d’avoir. Elle lui donnera pour femme sa servante Agar pour obtenir par elle des enfants (16,2). Mais c’est sans compter l’arrogance nouvelle de sa servante devenue enceinte et la violente jalousie qu’elle en éprouvera au point de demander l’expulsion d’Agar. Saraï serait-elle tombée successivement sous le joug des « princes » que peuvent aussi être le désir obsessionnel d’enfant, la jalousie et la violence?
Dieu s’intéresse enfin à Sarah
Treize années ont passé depuis la naissance d’Ismaël, fils d’Abram et d’Agar. Le patriarche a maintenant atteint l’âge honorable de quatre-vingt-dix-neuf ans. À quatre-vingt-dix ans, Saraï n’est pas non plus une « jeunesse ». Et pourtant, le Seigneur revient pour promettre une fois de plus à Abram une descendance nombreuse issue de sa femme légitime. C’est le moment que Dieu choisit pour changer le nom d’Abram, comme pour lui monter la nouvelle orientation de sa vie (Gn 17,5). Lui qui était jusqu’ici « Abram (« le père est exalté »), devient « Abraham » (« père d’une foule de nations »). Il doit infléchir sa vie dans une nouvelle direction : ne plus être tourné vers son père pour exalter sa grandeur, mais se retourner vers sa propre descendance. Quelques versets plus loin, Saraï est enfin reconnue comme Sarah (« princesse »). Elle n’a pas, comme Abraham à changer de direction, mais à devenir elle-même, vraiment elle-même, sujet de sa propre vie et non plus soumise à l’un ou l’autre prince. N’est-ce pas d’ailleurs notre mission fondamentale à toutes et tous : accomplir vraiment ce que nous sommes profondément?
Un chemin de fécondité s’ouvre
Sarah n’arrive pas à ce point crucial de son cheminement en vertu d’un « travail sur elle-même ». L’affirmation par Dieu de son vrai nom résonne plutôt comme un appel. Une nouvelle possibilité d’être s’ouvre pour elle parce que Quelqu’un l’a vraiment reconnue pour qui elle est. Et cela change tout. Dès lors que Dieu dit « Sarah », il l’associe à la fécondité, à la maternité, au fils qui naîtra bientôt. Et Sarah, qui rit comme d’une bonne blague de l’annonce de sa maternité par trois mystérieux visiteurs (18,12-14), est conduite à voir l’humour de Dieu sous un nouveau jour et à entrer dans la louange lorsque naît enfin Isaac (21,1-7)
Il reste à Sarah à devenir vraiment « Sarah »
Elle n’est malgré tout pas encore rendue au terme de sa route. Ses anciens « princes » la hantent encore. Avant de devenir enceinte, elle avait accepté une nouvelle fois qu’Abraham reprenne son petit jeu de la faire passer pour sa sœur (20,1-18). Sa jalousie revient en force quand elle voit Ismaël jouer aux côtés d’Isaac (21,8-21). Tout n’est donc pas réglé une fois pour toutes. De ce point de vue, Sarah est une figure réaliste en qui nous pouvons nous reconnaître. Le texte se fait discret sur les dernières années de sa vie. Elle meurt à l’âge de cent vingt-sept ans (23,1-2). On peut toujours rêver que toutes ces années ajoutées à son grand âge lui auront permis d’avancer vers elle-même, de devenir la « princesse » qu’elle devait être.
Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).
[1] « Mère du début ».
[2] Certaines traductions, par exemple celle en français courant, disent « car désormais son nom est Sarah ». Mais il n’y a pas d’équivalent à « désormais » dans le texte en hébreu.
[3] André Wénin, « L’alliance de la circoncision (Gn 17). Essai d’interprétation du signe ». Revue théologique de Louvain 4 [42], 2011. p. 574.
[4]
Le nom d’Abraham jusqu’au verset 17,5.