chronique du 25 mai 2012 |
|||||
Esther sauve son peupleEsther et le roi Assuérus Le livre d’Esther se présente comme un conte postexilique d’une grande finesse. L’objectif du livre est de démontrer comment rendre féconde une situation de détresse. Il dévoile certains éléments qui permettent à un peuple soumis de faire preuve de résilience au cœur d’une situation périlleuse. Il convient de rappeler qu’à l’époque du Premier Testament, les divinités étaient étroitement liées à un territoire national. Ainsi, si un roi parvenait à envahir une autre contrée, cela était interprété comme le reflet de la victoire d’une divinité nationale sur l’autre (Marduk sur Yahweh). Cette reconnaissance de la divinité de la nation victorieuse par les peuples assujettis entraînait une assimilation rapide à la culture dominante. Or, la voie prônée par ce magnifique livre est tout autre. Elle indique plutôt une manière de résister à l’assimilation tout en intégrant avec créativité les dimensions positives de la culture dominante. Rappelons que c’est par le biais de l’Exil que le peuple hébreu passe de l’hénothéisme au monothéisme. [1] Autrement dit, ce conte ouvre à la perspective d’un seul Dieu qui gouverne l’ensemble du cosmos. Résumé du récitLe récit du livre d’Esther est habilement construit et vise à montrer un renversement de situation face à un décret arbitraire, humiliant et surtout inhumain. Menacé de génocide, le peuple juif devient une nation importante au sein de l’Empire perse. Léona Deschamps résume en quelques mots le parcours d’Esther :
Il est à préciser qu’Aman est présenté comme un personnage originaire d’Agag. Un tel nom, dans la tradition biblique est associé à Amaleq, roi des Amélicites, ennemi traditionnel d’Israël (Ex 17,16; Nb 24,20; 1 S 15,3). Ainsi Aman se comporte envers les juifs, personnifiés par Mardochée, comme le faisait Amaleq. Cet artifice littéraire permet d’accentuer la dimension dramatique du danger que peuvent courir les membres de la diaspora. Esther : une femme soumise?Le personnage d’Esther est parfois décrié. En effet, elle fait preuve de séduction pour gagner les faveurs du roi et semble obéir aveuglément à Mardochée. Renforce-t-elle ainsi les stéréotypes féminins? À la décharge d’Esther, il est utile de rappeler que dans une société patriarcale aussi rigide, les femmes devaient faire preuve de soumission pour conserver la vie. Le sort de la reine Vasthi illustre les terribles conséquences du refus d’une femme de se soumettre au moindre caprice de son mari (Est 1,9-21) [3]. Esther démontre plutôt un grand jugement politique en dissimulant son identité et son appartenance culturelle et ses liens avec Mardochée [4]. Elle dévoile alors son appartenance culturelle afin de contrecarrer les plans génocidaires d'Aman (Est 7,3ss). En d’autres termes, Esther, par sa prudence, exerce une sagesse toute proverbiale qui lui permet d’exercer un rôle « messianique ». Usant d’intelligence, elle parvient à garantir à son peuple une existence paisible et prospère. Par ces aspects, Esther révèle une grande autonomie intérieure à défaut de pouvoir jouir d’une liberté extérieure. En cela, elle peut être présentée comme un modèle de résistance et de résilience au cœur même de l’oppression. Ce livre peut même devenir une source d’inspiration à nombre de groupes ostracisés [6]. Il s’agit donc d’une figure biblique à honorer puisque la fête des Pourim commémore la catastrophe qu’elle a réussi à éviter pour son peuple (Est 9,20ss). Esther et notre sociétéDans le livre d’Esther, bien que les deux acteurs principaux soient juifs (Esther et Mardochée), leur nom même décrit une appartenance plurielle : Esther signifie étoile et Mardochée adorateur de Marduk, ce qui peut surprendre dans un livre canonique! L’emploi de ces noms indique qu’une intégration demeure possible sans nécessairement renoncer à l’identité collective de nos origines. Néanmoins, la différence suscite souvent l’hostilité. Comme le souligne à juste titre Aldina da Silva : « En fait, dans les génocides du passé comme dans ceux du XXe siècle, la décision de massacrer est le résultat d’une idéologie qui refuse à l’autre sa différence : il est coupable d’être ce qu’il est, des groupes sont condamnés parce qu’ils demeurent en un lieu, y sont nés, appartiennent à une nation, adhèrent à une foi, à un dogme, pire, parce qu’ils existent. » [6] Le livre d’Esther nous indique un chemin à emprunter pour accueillir la différence et la considérer comme une force positive et non comme une perte identitaire. Dans notre contexte contemporain, marqué par le pluralisme culturel et religieux, le dialogue représente la condition sine qua non d’un vivre-ensemble. Le philosophe Charles Taylor insiste sur l’importance de ce dialogue :
Série
précédente :
|
|||||
| Accueil | SOURCE (index) | Au féminin (index) | Vous avez des questions? | www.interbible.org
|
|||||