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chronique du 27 mai 2011
 

La Samaritaine : une femme hors norme1

La Samaritaine

Jésus et la Samaritaine
Gertrude Crête, SASV
encres acryliques sur papier, 2000
(photo © SEBQ) 

Lire le récit : Jean 4, 1-30

Peu de textes néotestamentaires éveillent autant de passion que cette rencontre inusitée entre Jésus de Nazareth et une femme de Samarie. Comme le fait observer judicieusement Raymond Gravel, cette femme est aux prises avec  une triple exclusion. D’abord, il y a le fait d’être une femme. Rappelons qu’il était interdit à un homme de parler à une femme, si elle n'était pas son épouse. En effet, les femmes demeuraient d'éternelles mineures car elles passaient de la domination du père à celle du mari. Elles étaient comptées parmi les possessions de l'homme (Ex 20,17)!

     En second lieu, elle  fait partie du peuple samaritain [1] et en troisième lieu, elle se retrouve isolée par  son statut marital ambigu. Il importe de mentionner qu’à l’extérieur de tout cadre familial patriarcal, les femmes n'existaient pas socialement [2]. Elles se retrouvaient dans une précarité extrême puisqu’elle ne possédait aucune protection.

Une femme pré-jugée

     L’indice de ce malaise correspond au fait qu’elle puise de l’eau à midi. À cette période de la journée, personne n’ose s’aventurer tant la chaleur apparaît accablante. Cette femme évite donc ainsi les regards embarrassés et les jugements sans appel. De même que Jésus, que pouvait-il bien faire sur une place publique à midi? Il est à remarquer que ce dernier partage en commun avec la samaritaine le fait d’être jugé et d’une certaine manière exclu des autorités compétentes! Il est possible que le Jésus johannique  subissait le même type d’opprobre puisque ce dernier est associé à une moralité douteuse (Jn 8,41).  Il ne s’avère alors guère surprenant que Jésus se soit montré enclin à davantage percevoir le fardeau porté par cette samaritaine.

     C’est pourquoi, il s’avère fascinant de constater que dans ce désert relationnel dans lequel risquent de s’enfermer tant Jésus que cette femme, ce dernier rompt le cercle de l’exclusion par une parole qui brise l’isolement de cette femme. Sa réaction : « Comment! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine? » illustre que le plus terrible jugement est celui qui est intériorisé conduisant au rejet de soi-même. En plus, cela justifie, aux yeux de la personne vulnérable, le regard destructeur de l’interlocuteur sur soi.

     Échappant au dialogue stérile sur l’eau matérielle et spirituelle, le Jésus johannique crée une brèche de vie en nommant la souffrance d’une femme ostracisée :

« Va appelle ton mari et viens ici! » (v. 16)  C’était mettre le doigt sur ce qui faisait mal. C’était entrer en relation avec elle, si et seulement si elle acceptait de réponde au niveau d’une intériorité qui jusque-là lui était restée totalement inaccessible. Pourtant le non-dit est de taille : Je n’ai pas de mari. »  C’est Jésus qui va mettre des mots sur ce non-dit : « Tu dis bien ‘Je n’ai pas de mari’, car tu en as eu cinq et maintenant celui que tu as n’est pas ton mari » (v. 17). Le simple fait qu’elle ne puisse l’avouer à Jésus n’est-il pas l’indice de sa peur d’être jugée? [4]

La vérité et l’authenticité au cœur d’une relation libératrice

     Reconnue comme une personne à part entière par Jésus, cette femme peut poursuivre l'entretien sans demander la permission à quiconque. Ainsi, elle s’initie à une maturation de l’expérience spirituelle. Si dans un premier temps, elle récite à Jésus ses leçons de catéchèse (vv. 19-25), elle accède, par son désir d’être pleinement reconnue à ses propres yeux, au statut de sujet comme le laisse présager le verset 26 :

Moi, je suis celui qui te parle. C’est le moment où cet être mystérieux [Jésus], qui lui parle comme personne ne lui avait sans doute jamais parlé, lui donne envie de se tenir elle aussi en ce lieu sûr où il se tient – en ce « Je suis qui je suis » de la révélation mosaïque qu’elle connaissait a avec sa tête (« Je sais qu’un Messie vient ») mais qui soudain est devenu plus crédible qu’il ne l’avait jamais été. [5]

     C’est ainsi que se produit le miracle de la rencontre humainement authentique : 

Il a suffit qu’il [Jésus] vienne visiter son passé et sa vie privée actuelle, de toute la densité de son « moi » libre et bienveillant, et elle n’a plus été seule, murée dans le non-dit. En lui parlant vrai, de l’intérieur de sa vie à elle, il a libéré en elle la parole vraie, qui ouvre les portes de ses concitoyens. Elle peut les affronter, elle n’a plus rien à cacher, elle se sent désormais en lieu sûr, porteuses des paroles de cet être intensément vivant qui, en parlant avec elle, l’a introduite « dans la vérité » il ne s’agit pas d’une déclaration de principe mais d’une prise en compte de la réalité, comme si Jésus mettait des mots sur ce qui se passe entre eux : Tu vois bien que « moi je suis » puisque je te parle; comment te sentirais-tu rejointe dans ton être intérieur si je n’étais pas animé de ce « moi » indestructible qui a sa source en Dieu, le « Parlant », qui me fait et te fait parler vrai? [6]

     De la rencontre, de la parole partagée au cœur de l’authenticité de l’être, a surgi un paradoxe où la samaritaine honnie, méprisée et rejetée est devenue le héraut d’une parole de vie là où des êtres humains se relèvent, font croître l'amour, l’égalité et la dignité. Comment peut-on ne pas développer l’admiration pour cette femme unique, hors norme qui a accueilli la plénitude de l’être : « Parce qu’à son contact [celui de Jésus], elle avait accédé à la lumière de sa vie,  et qu’il avait simplement « dit : tout ce qu’elle avait fait », sans émettre le moindre jugement de valeur, sans éprouver le besoin de la changer, sans lui faire la leçon ni sur sa conduite ni sur ses croyances » [7]

[1] Pour ce texte, nous nous inspirons grandement de Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne. » L’évangile au-delà de la morale, Paris, Albin Michel, 2003.

[2] Les Samaritains sont issus d'une assimilation entre des colons déportés en Israël par les Assyriens en 721 avant notre ère et la population locale. les Samaritains furent rejetés par le courant théologique dominant. A l'époque de Jésus, les deux peuples s'excluent mutuellement.

[3] Raymond Gravel, « Prenez courage! le seigneur regarde le cœur… avoir soif pour rencontrer  et reconnaître le Christ! »

[4] Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne. », p. 185.

[5] Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne. », p. 187.

[6] Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne. », p. 187-188.

[7] Lytta Basset, « Moi, je ne juge personne. », p. 122.

Patrice Perreault

Chronique précédente :
Myriam et la libération d’Israël

 

 

 

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