LA PASSION (2/5)
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La douloureuse
Passion du Christ | appréciation
| source
| reconstitution
| anti-sémitisme
| PAR JEAN-FRANÇOIS PERREAULT
Dans les grandes lignes, on peut affirmer que le film de Gibson est généralement assez fidèle à la trame narrative des passages évangéliques relatant la Passion du Christ. Cependant, et bien que le scénario, co-écrit par Gibson, semble s'appuyer principalement sur les évangiles, le film est d'abord et avant tout une minutieuse adaptation au grand écran du récit des « visions » qu'aurait eues sur la Passion une certaine Anne-Catherine Emmerich, religieuse allemande stigmatique et extatique ayant vécu de 1774 à 1824. Le scénario du film suit très étroitement la trame de ce récit de visions, parfois même à la séquence et la réplique près. Ce fait s'avère très éclairant pour comprendre plusieurs éléments du film en même temps que son traitement très « doloriste ». En effet, la lecture des témoignages d'Anne-Catherine Emmerich nous permet de conclure sans équivoque que l'imaginaire de celle-ci était considérablement nourri d'écrits apocryphes et que sa piété était empreinte d'une théologie fortement marquée par la souffrance expiatoire, mouvement très en vogue avant l'avènement de Vatican II. Les visions extrêmement détaillées qu'elle décrit de la Passion du Christ et qui sont très fidèlement reprises dans le film de Gibson concordent parfaitement avec cette théologie. Le choix fait par Gibson de s'inspirer des visions de cette religieuse pour le scénario de son film n'est pas, en soi, problématique. Il a choisi de privilégier une interprétation pour laquelle il ressentait sans doute une affinité personnelle et en cela, il importe de respecter sa démarche. Le problème avec cet aspect du film est d'un autre ordre: il tient au fait que Gibson affirme s'être grandement préoccupé de l'historicité des situations relatées dans son scénario. À cause de ce souci d'historicité et d'authenticité, on peut se demander pourquoi Gibson n'a pas préféré se baser sur les résultats des recherches exégétiques et historiques faisant actuellement consensus dans les milieux de spécialistes au lieu de s'appuyer sur un recueil de visions rapportées par une jeune religieuse manifestement imprégnée de lectures apocryphes. Pour Mel Gibson, il semble donc que ce sont non seulement les évangiles qui représentent des reportages sur la mort de Jésus, mais également le récit des visions d'Anne-Catherine Emmerich. Or, il est important de rappeler que les évangiles et les écrits « visionnaires » sont des genres littéraires bien particuliers qui ne doivent pas être abordés de la même façon que des récits journalistiques. D'une part, les évangiles procèdent d'un genre littéraire qui rend propice l'enseignement catéchétique; d'autre part, les récits de visions sont généralement écrits dans un style permettant de décrire adéquatement l'expérience intérieure de certains mystiques et non la perception d'un événement purement historique ou objectif. Ces genres littéraires ont essentiellement une portée symbolique et allégorique et c'est avec cette optique qu'il convient de les approcher. L'utilisation de récits de visions comme fondement d'un scénario à prétention historique et réaliste rend donc la démarche de Gibson très peu rigoureuse et fort discutable. Même si Mel Gibson a mentionné dans quelques entrevues sa référence aux visions d'Anne-Catherine Emmerich, il aurait été appréciable de sa part qu'il précise au début du film sa source principale d'inspiration, un peu comme Martin Scorsese avait fait pour sa production de La Dernière Tentation du Christ. Dossier précédent :
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