Rahab et les espions. Frederick Richard Pickersgill, c. 1865-1881. Gravure sur bois. Impression sur papier India, 21,4 x 17,7 cm. MET Museum, New York (Domaine public).
3. Rahab : reconnue pour sa foi... et ses œuvres
Martin Bellerose | 20 juin 2022
La chronique précédente a porté sur la mention de Rahab dans la généalogie de Jésus en Matthieu 1. La présente chronique jette un œil sur les deux mentions de Rahab dans le corpus épistolaire en Jacques et Hébreux.
La foi sans les œuvres…
On dit et on entend souvent l’adage « une foi sans les œuvres est une foi morte ». Même les plus agnostiques connaissent le passage. Ce que l’on oublie, et que l’on ne devrait pas oublier, surtout en ces temps de migrations, est que le passage biblique à la source de l’adage parle, entre autres, d’une œuvre particulière, l’œuvre d’hospitalité. Plus encore, il ne s’agit pas de n’importe quelle œuvre d’hospitalité mais celle de Rahab. La péricope complète va comme suit :
Vous constatez que l’on doit sa justice aux œuvres et pas seulement à la foi. Tel fut le cas aussi pour Rahab la prostituée : n’est-ce pas aux œuvres qu’elle dut sa justice, pour avoir accueilli les messagers et les avoir fait partir par un autre chemin? En effet, de même que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte. (Jacques 2,24-26)
L’interpellation est forte. La référence à l’hospitalité pratiquée par Rahab n’évoque pas l’offre d’un simple verre d’eau à un passant qui n’entre pas dans sa demeure. L’exemple de l’hospitalité de la prostituée de Jéricho évoque un engagement total, « au risque de sa vie », de protection de l’autre controversé, mais il s’agit d’une action qui est porteuse d’une foi en un projet de société, celui du royaume que Dieu a proposé à son peuple et c’est au nom de ce projet que Rahab s’engage auprès des espions envoyés par Josué. Dans les faits, une personne qui n’est pas porteuse d’une foi en un projet eschatologique peut être hospitalière de manière difficilement égalable. Mais si Rahab n’avait pas été porteuse d’une foi en un projet eschatologique, de quelque chose de plus grand qu’elle-même, aurait-elle eu le même dévouement à ne pas dénoncer de parfaits inconnus?
En Hébreux 11,31, l’auteur tisse aussi un lien entre la foi que Rahab porte et son geste d’accueillir/recevoir les espions dans la paix : « Par la foi, Rahab, la prostituée, ne périt pas avec les rebelles, car elle avait accueilli pacifiquement les espions. » Ici aussi, c’est par la foi qu’une action est produite.
Alors qu’au cours de l’histoire, beaucoup se sont demandé si le salut venait des œuvres ou de la foi, nous pouvons voir, par une lecture attentive de ces péricopes qui tient compte de son récit originaire, celui de l’hospitalité de Rabab dans le livre de Josué, qu’il n’y plus d’opposition entre foi et œuvre mais plutôt une dynamique par laquelle la foi, don de l’Esprit, rend « possible » le projet eschatologique et fait naître le désir d’y contribuer. Non pas parce que l’action humaine y soit nécessaire, mais parce que le fait de croire au royaume fait naitre en soi un désir ardent d’en être partie prenante car le royaume de Dieu existe en se construisant.
Rahab et Abraham
Un autre point important digne d’être relevé ici est qu’à chaque mention néotestamentaire de Rahab, une référence à Abraham se trouve tout près. Celui que l’on considère comme « notre père dans la foi », celui qui a établi les bases de l’hospitalité exposées dans le récit de la théophanie de Mamré et qui est la source des compréhensions juive, chrétienne et musulmane de la foi au Dieu unique. Rahab est placée à ce niveau, rien de moins. Dans la généalogie de Jésus, cela va de soi, Abraham et Rahab y sont mentionnés. En Jacques, tout juste avant de prendre l’exemple de Rahab, l’auteur prend celui d’Abraham dont la foi était si grande qu’il s’apprêtait à poser un geste extrême, celui de sacrifier son fils. L’exemple est très délicat à aborder et demeure très problématique. L’auteur de la lettre a vraisemblablement compris le récit comme une préfiguration du Fils sur la croix.
Dans la lettre aux Hébreux, le chapitre 11 est une sorte de « théologie de l’histoire » où l’on évoque la foi des grandes figures de l’Ancien Testament, dont Abraham et Rahab, et l’action/l’œuvre que celle-ci leur a permis d’accomplir.
Martin Bellerose est professeur à l’Institut d’étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission.