Portrait du Christ. Édouard Manet, 1865. Huile sur toile, 46,6 x 38,7. Musée des Beaux-Arts, San Francisco (Wikimedia).
4. Rahab : allez à sa rencontre en dehors du camp
Martin Bellerose | 19 septembre 2022
On nous a souvent « cité » au cours des dernières années, sans qu’on en face une citation claire, « sortir des murs pour aller à la rencontre de Christ ». Je ne pourrais donner la citation exacte, mais on l’attribue au pape François. Je ne sais pas où, ni quand il l’a dite, mais je sais qu’il a prononcé ces mots, très souvent, et on nous le rappelle constamment. Tout dépendamment de qui rapporte ces paroles, on attribue différent sens à cette phrase qui, vraisemblablement, semble provenir de la lettre aux Hébreux.
Hébreux 13
« Car les corps des animaux, dont le grand prêtre porte le sang dans le sanctuaire pour l’expiation du péché, sont brûlés hors du camp. C’est la raison pour laquelle Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte. Sortons donc à sa rencontre en dehors du camp, en portant son humiliation. Car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité à venir » (He 13,11-14).
Voici le texte où l’on nous propose d’aller à la rencontre de Jésus en dehors du camp, même s’il n’a pas été crucifié en dehors du camp mais plutôt en dehors des murs de la ville. Cet apparent charabia est en réalité très profond et riche en sens. La première phrase du texte cité fait référence à une pratique rituelle d’expiation des péchés du livre du Lévitique : « Le taureau pour le péché et le bouc pour le péché, dont le sang a été amené dans le sanctuaire pour le rite d’absolution, on les fait porter hors du camp et on les brûle, peaux, chair et fiente. » (16,27) Avec Jésus, c’est « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » : il ne s’agit plus d’un sacrifice rituel, mais d’un sacrifice bien réel.
Dans l’histoire de Rahab
Tout ce discours « mysticisant » sur l’expiation des péchés et le sacrifice prend, à notre avis, un sens renouvelé lorsqu’on le lit à la lumière du récit sur Rahab, la prostituée de Jéricho. Rappelons-nous, dans les articles précédents de cette série sur Rahab : nous avions raconté qu’elle avait fait un pacte avec les hommes que Josué avait envoyés pour espionner la ville de Jéricho. Elle les avait cachés sur son toit afin d’éviter qu’ils soient arrêtés par les soldats du roi. Après avoir confessé sa foi au Seigneur Dieu d’Israël, elle leur dit qu’elle ne les délattera pas et demanda en échange que sa vie et celles des gens de sa maisonnée soient épargnées le jour où ils prendront la ville. Ce jour arrivé, Josué dit aux hommes : « “Entrez dans la maison de la prostituée et faites-en sortir cette femme et tout ce qui est à elle, ainsi que vous le lui avez juré.” Les jeunes gens qui avaient espionné y entrèrent et firent sortir Rahab, son père, sa mère, ses frères et tout ce qui était à elle ; ils firent sortir tous ceux de son clan et ils les installèrent en dehors du camp d’Israël » (Josué 6,22-23).
Dans ce texte, l’installation de Rahab et des siens en dehors du camp représente très certainement un moment de purification, mais n’a rien d’un sacrifice ou une « perte ». En la plaçant en dehors du camp et en dehors des murs de Jéricho, sa vie est sauve, comme le « salut dans l’histoire » annonce son Salut, en tant qu’accès à la vie éternelle.
N’est-ce pas une façon plus adéquate de comprendre notre rencontre avec Jésus en dehors du camp, comme un accès au salut, à la vie éternelle. Une rencontre avec Christ qui se produit, comme il en est question dans le texte de Josué : avec des orphelins, des prostituées, des étrangers.
Revenons à Hébreux 13
Le texte d’Hébreux 13 que nous avons cité au départ, mentionne aussi que nous n’avons pas – nous chrétiens – de cité permanente, mais que nous sommes à la recherche de la cité à venir. La condition migrante des croyants chrétiens est ici évoquée. En d’autres termes, nous sommes invités à ne pas rester attachés à l’endroit auquel on croit appartenir dans le monde, à une dénomination ecclésiale qui a toujours été « nôtre », à un temple, à des façons de faire et à des rituels qui sont « ceux de toujours ».
Les croyants chrétiens sont aujourd’hui appelés à aller à la rencontre de Jésus le Christ, en dehors des rituels, des sacrifices sclérosants et de le proclamer, d’agir et d’œuvrer au nom de sa foi en confessant que nos actions sont orientées vers le projet du Royaume de Dieu.
« Par lui, offrons sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom. N’oubliez pas la bienfaisance et l’entraide communautaire, car ce sont de tels sacrifices qui plaisent à Dieu. » (He 13,15-16)
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.