JÉSUS À L'ÉCRAN (2/6)
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Jésus à l'écran : un défi pour les cinéastes | sources | contexte | figure | miraculeux | mort et résurrection | conclusion | Deuxième partie : D'hier à aujourd'hui PAR JEAN-FRANÇOIS PERREAULT
Jésus, figure divine et figure humaine L'une des plus grandes difficultés
rencontrées par les cinéastes a souvent été
celle de transposer adéquatement les dimensions humaine et divine
associées traditionnellement à la figure du Christ. Sur
cet aspect, aucune adaptation cinématographique de la vie de Jésus
n'a vraiment fait l'unanimité. Il est malgré tout intéressant
d'observer comment cette question de la divinité et de l'humanité
du Christ est représentée à l'écran. Comme
Jésus est considéré par les croyants de foi chrétienne
comme l'incarnation humaine du divin, la façon dont il est dépeint
peut nous donner de très bons indices sur la conception de l'absolu
véhiculée par les cinéastes. De l'époque des films muets jusqu'à tout récemment, Jésus a souvent été interprété comme un personnage vaguement irréel, assez détaché de tout et plus ou moins distant, doté de certains « pouvoirs » spéciaux. Pour le réaliser, on n'a qu'à regarder des productions comme Le Roi des Rois (Cecil B. DeMille) ou Golgotha (Julien Duvivier, 1935). Il y a bien eu certaines tentatives « d'humanisation » du Christ par le « dépouillement de sa divinité », comme dans Jésus Christ, Superstar et La dernière tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988), mais les résultats en général n'ont pas été très convaincants. Seul les films Le Messie (Roberto Rossellini, 1975) et Jésus (Serge Moati, 1999), par leur volonté explicite de renouer avec le « Jésus historique », réussissent à se démarquer à ce niveau. Afin de faire ressortir le côté humain du Christ et « équilibrer » son côté divin, beaucoup de réalisateurs ont tout simplement préféré diminuer l'accent porté sur le miraculeux. Pour cette raison, des productions comme Le Roi des Rois de Nicholas Ray, La plus grande histoire jamais contée et Jésus de Nazareth sont assez parcimonieuses en frais de « miracles ». La mini-série télévisée Jésus, sortie en 1999, a tenté de rendre le Christ plus humain et plus accessible, mais le réalisateur, soucieux de rappeler qu'il ne s'agit pas d'un homme « comme les autres », a tout de même choisi d'accentuer, à grands renforts d'effets spéciaux sensationnels, l'aspect divin associé au personnage. La difficulté de transposer au cinéma la traditionnelle nature divine du Christ tient peut-être au fait que la notion de déité est souvent conçue comme une version idéalisée et omnipotente d'un être humain. Ceci ne rend pas vraiment compte de la particularité du christianisme en ce qui concerne la question de l'absolu. En effet, dans la perspective chrétienne, Dieu, n'étant qu'amour, se révèle démuni devant le refus de l'être humain à son endroit, d'où la « tragédie de la croix ». Si, selon la doctrine chrétienne, Dieu s'est réellement incarné dans un être humain, ce dernier a donc dû assumer pleinement et sans partage la fragilité et les limites de toute condition humaine. À l'écran, une telle notion d'un dieu humble, fragile et désarmé n'a malheureusement pas été exposée avec clarté à travers le personnage de Jésus. La guérison d'un aveugle
dans Les récits de « miracles »
contenus dans les évangiles ne visent pas vraiment à faire
étalage de la volonté de puissance divine. Il s'agit plutôt
de récits symboliques rédigés afin de transmettre
un message ou d'histoires relatant des signes accomplis par Jésus
et que les croyants interprètent en fonction de leur foi. Par exemple,
les guérisons permettent à des exclus de réintégrer
leur communauté, ce qui est en droite ligne avec ce que Jésus
appelle « le Règne de Dieu ». Ce qu'on constate
pourtant en visionnant les différents films, c'est que les « miracles »
y sont présentés comme des événements éclatants
et merveilleux servant à démontrer la toute-puissance divine
et le caractère « exceptionnel » de Jésus.
Ce traitement des miracles de Jésus s'accorde cependant parfaitement
avec la conception plutôt archaïque du divin véhiculée
par de nombreux cinéastes. La marche sur la mer Par exemple, dans Le Roi des Rois
de Nicholas Ray, Jésus distribue ses « miracles »
à gauche et à droite sans qu'il y ait de lien avec un contenu
évangélique plus profond. Les épisodes de guérison
n'y sont que des « faits marquants » témoignant
de la divinité du Christ. La même chose peut être observée
dans Jésus de Nazareth de Zeffirelli. Même le film
très controversé de Scorsese, La dernière tentation
du Christ, n'échappe pas à cette façon plutôt
simpliste de transposer les récits de miracles. La mini-série
télévisée Jésus reprend cette illustration
superficielle des « prodiges » du Christ. La marche
sur les eaux y est très impressionnante mais ne semble plaquée
dans le scénario que pour démontrer la « nature
surhumaine » du personnage de Jésus. Le miracle des noces
de Cana y est dépeint de la même façon. Le symbolisme
associé à ces récits prodigieux est donc totalement
occulté (en effet, la marche sur la mer déchaînée
illustrerait l'importance de la solidité de la foi en période
de crise tandis que la transformation de l'eau en vin symboliserait le
passage de la loi de Moïse à celle de Jésus). Une scène de guérison
dans La plus grande histoire jamais contée se distingue un peu des autres productions en ce qui concerne les miracles de guérison. Il est très intéressant d'observer, en visionnant ce film, que Jésus ne se contente pas de libérer les malades et les pécheurs de leur condition; il tisse avec certains d'entre eux des liens durables (le paralytique et Marie-Madeleine, une fois « libérés », rejoignent Jésus et intègrent son groupe de disciples). L'accent mis par le réalisateur sur la dimension intérieure de la foi chrétienne est sans doute ce qui permet de transcender, jusqu'à un certain point, les scènes de guérison présentées dans le film. Article
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