JÉSUS À L'ÉCRAN (1/6)
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Jésus à l'écran : un défi pour les cinéastes | sources | contexte | figure | miraculeux | mort et résurrection | conclusion | Deuxième partie : D'hier à aujourd'hui PAR JEAN-FRANÇOIS PERREAULT
Le lien avec les sources évangéliques La première question qu'on peut
se poser concernant une oeuvre cinématographique sur « l'Homme
de Nazareth » est la façon selon laquelle les évangiles
sont transposés à l'écran. Avant de parler de cet
aspect, disons quelques mots au sujet des écrits évangéliques.
Rappelons tout d'abord que les évangiles sont un type très
particulier de littérature et qu'ils ne constituent pas des biographies
sur Jésus, pas plus qu'ils ne sont des récits journalistiques
rapportant des éléments factuels s'étant déroulés
voilà 2000 ans. Il s'agit plutôt d'un ensemble de récits
dont le but est de susciter la foi chrétienne. Les évangiles
canoniques, au nombre de quatre (Marc, Matthieu, Luc et Jean), sont donc
des enseignements catéchétiques, très riches en récits
symboliques et allégoriques. Écrits de 40 à 70 ans
après la mort de Jésus, chacun des évangiles était
destiné et adapté à une communauté bien précise
de l'Église primitive. Partant de ces informations, l'une des
première choses qu'on remarque des drames bibliques sur Jésus
est la tentative faite par plusieurs réalisateurs d'harmoniser
les quatre évangiles dans leur scénario. Dès l'époque
du cinéma muet, dans des films comme De la crèche à
la croix (Sydney Olcott, 1912) ou Le Roi des Rois (Cecil B.
DeMille, 1927), on observe cet essai d'harmonisation, repris par la suite
dans d'autres productions telles que Jésus de Nazareth (Franco
Zeffirelli, 1977) et Jésus, la mini-série (Roger
Young, 1999). Il faut admettre que les résultats d'un tel procédé
sont, d'un point de vue exégétique, plus ou moins satisfaisants.
Le fait de piger inconsidérément dans chaque évangile
pour donner une vision éclectique de Jésus conduit immanquablement
à perdre l'essentiel de l'interprétation proposée
par chacun des évangélistes. Certains cinéastes ont préféré
se baser sur un évangile en particulier pour élaborer leur
scénario. Ce fut le cas de Pier Paolo Pasolini dans L'Évangile
selon saint Matthieu (1964). Le film de Pasolini réussit à
concilier fidélité textuelle et lyrisme cinématographique
et s'avère une réussite assez impressionnante. La scène du baptême dans Jésus, le film (1979) Un autre problème qu'on peut relever dans les films sur la vie du Christ est leur traitement souvent proche du documentaire. Nous avons vu précédemment que les évangiles ne sont pas des récits biographiques ou journalistiques. Le genre narratif du drame documentaire n'est donc pas le plus approprié pour transposer la vie du Christ à l'écran. En effet, par ce procédé, tout le langage richement symbolique des évangiles est, la plupart du temps, totalement évacué du film. Ceci est très perceptible dans Jésus, le film (Peter Sykes et John Kirsh, 1979). Cette fidèle et très littérale transposition de l'évangile lucanien se présente même ouvertement dans le prologue comme un « documentaire tiré de l'évangile de saint Luc ». Le fait de transposer mot pour mot un évangile à l'écran assure certainement la fidélité textuelle mais pas nécessairement celle de l'esprit évangélique. C'est pourquoi les oeuvres bibliques qui se signalent par leur aspect poétique réussissent souvent à mieux présenter le contenu des évangiles et ce, malgré les libertés parfois prises par rapport au texte. On n'a qu'à visionner le film de Georges Stevens, La plus grande histoire jamais contée (1965), pour s'en rendre compte. La poésie et le symbolisme visuels qui se dégagent de cette oeuvre permettent un contact tout à fait unique avec l'esprit des évangiles. Le supplicié escorté
par les Romains On sait que Jésus vécut et
mourut dans une société juive sous occupation romaine. La
brutalité et l'oppression des autorités romaines sont très
bien illustrées dans beaucoup de films, au moyen d'impressionnantes
parades militaires et de rangées de suppliciés en croix.
Il s'agissait aussi d'une société dont l'injustice sociale
était criante, les gouvernants et les propriétaires terriens
s'enrichissant au détriment des plus démunis. Il y avait
également une très forte ségrégation en fonction
de l'appartenance et de la « pureté » religieuses.
Ce contexte d'injustice et d'ostracisme n'est pas toujours très
bien rendu dans les productions sur la vie de Jésus. Bien souvent,
on a l'impression que les réalisateurs ont tout simplement projeté
dans le film les catégories sociales de leur propre époque.
Ceci est assez visible dans le drame musical Jésus Christ, Superstar
(Norman Jewison, 1973) où semble être recréé
le contexte social et politique des années 1970. Jésus y
est d'ailleurs présenté grosso modo comme le relais des
revendications sociales formulées par les jeunes des mouvements
hippies. Hérode et Hérodiade Dans d'autres productions, c'est surtout la dépravation morale des hautes classes dirigeantes qui est illustrée, bien plus que les conséquences occasionnées par l'injustice sociale. Par exemple, dans Le Roi des Rois de Nicholas Ray, la cour d'Hérode Antipas (Frank Thring) est dépeinte comme une lie de pitoyables sybarites, aussi prisonniers d'eux-mêmes et de leur palais que les oiseaux le sont des cages dorées ornant la salle du trône. La plupart des films reprennent, à un degré ou à un autre, cette illustration des supposées moeurs dépravées de l'aristocratie de l'époque et ne prêtent qu'un intérêt assez mince pour les conditions des plus démunis. C'est dommage, car si on se fie aux évangiles, Jésus a eu un parti pris très net en faveur des exclus et des appauvris. Seul le marxiste Pasolini s'est un peu plus intéressé à cette dimension dans son oeuvre, L'Évangile selon saint Matthieu. Article
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