L’apôtre Pierre. Mosaïque du VIe siècle. Presbyterium de la basilique Saint-Vital, Ravenne (Bernard Blanc / Flickr).
1 Pierre : entre « avoir une belle conduite » et se soumettre (2/5)
Martin Bellerose | 20 février 2023
Une partie du passage auquel nous nous référons ici est souvent utilisé pour promouvoir la soumission des chrétiens à l’ordre établi. Il y a là, bien entendu, un non-sens. La foi chrétienne, eschatologique dans son essence, consiste en croire que quelque chose d’autre que ce que nous connaissons peut exister. Cette foi nait d’une insatisfaction face à l’ordre « actuel » des choses. Nous ne saurions nous en contenter. Dieu nous promet autre chose que ce que nous vivons et il s’est incarné dans le monde, nous démontrant que tout dans la création peut être différent de ce que cela a toujours été.
Lire 1 P 2,11-17 en scindant la péricope
Souvent, les traductions bibliques ainsi que les lectures herméneutiques ou exégétiques, reçoivent le texte en deux temps, comme si les deux parties traitaient de deux réalités complètement différentes. D’abord, les versets 11 et 12 abordant la question de l’agir des chrétiens dans une société dont la majorité ne l’est pas ; ensuite, les versets 13-17 portant sur le respect ou la soumission aux autorités en place, selon les points de vue.
Lorsque l’on lit « séparément » les deux bouts de texte, la portion des versets 13-17 apparait en effet comme un texte appelant à la soumission ou à tout le moins au respect de l’autorité en place. Les différents interprètes des Écritures ont des raisons et des arguments bien variés à cet effet. Certains voient cette exhortation comme le devoir du chrétien d’obéir à l’ordre établit et de respecter ses règles même si celles-ci ne sont pas conformes à l’Évangile de Christ. « Si Dieu a permis à cette autorité de s’établir, c’est qu’Il a une bonne raison de l’avoir fait et nous n’avons pas à comprendre sa décision mais plutôt à la respecter et à y obéir » dira-t-on. Dans cette perspective, ce qui est dans le monde appartient au monde avec ses règles et ses nécessités. En échange, le devoir du chrétien d’être conforme à la volonté de Dieu est surtout d’ordre spirituel et moral.
D’autres verront cette exhortation comme une nécessité stratégique pour la survie des chrétiens. S’ils s’opposaient au pouvoir en place, vu leur petit nombre à l’époque, ils risquaient d’être complètement anéantis. Il s’agit, selon ces interprètes, d’une forme de résistance à cet ordre. D’autres vont voir dans le texte une soumission conditionnelle, on entend les versets 13 et 14, comme une condition : « Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du Seigneur ; soit au roi, en sa qualité de souverain, soit aux gouverneurs, délégués par lui pour punir les malfaiteurs et louer les gens de bien », comme s’il y était dit « soyez soumis dans la mesure où le souverain agit en bien et punit les malfaiteurs ».
L’unité de 1 P 2,11-17 et la trame de fond de l’épitre
Je me permets ici de rappeler ce que j’avais dit dans ma chronique précédente : de toujours avoir en filigrane l’adresse de la lettre tout au long de la lecture de l’épitre. La lettre s’adresse à des chrétiens migrants/réfugiés vivant dans la diaspora dans cinq provinces romaines d’Anatolie. La lettre s’adresse à des immigrants, cette information change complètement la donne. Ma propre expérience d’immigrant en Colombie m’a bien fait voir que lorsqu’on me disait que je devais respecter les choses telles qu’elles étaient dans le pays, cela avait à voir avec les mœurs, le rapport aux instances gouvernementales, le système éducatif universitaire avec ses forces et ses faiblesses, une présence des forces policières et militaires avec laquelle je n’étais pas habitué. Le « respecte les autorités d’ici » prenait d’avantage le ton d’un « intègre-toi » dans cette société, fais ta place, sois en partie prenante. Comme Québécois vivant au Québec, le « respecte l’autorité en place » prend les allures d’un « soumets-toi à la monarchie et au fédéralisme canadien ». L’exhortation à la soumission est ici un aplaventrisme, une abdication face à un désir d’émancipation et de liberté. Je peux très bien m’imaginer qu’une telle exhortation à prendre part à une société d’accueil est une porte ouverte vers la liberté pour le persécuté venu s’y réfugier.
Lorsque l’on va à l’essentielle de cette exhortation en 1 P 2,11-17, l’auteur commence par : « Bien-aimés, je vous exhorte, comme des gens de passage et des étrangers » (v. 11) à avoir « une belle conduite parmi les païens » (v. 12). Il les exhorte en leur qualité d’immigrants résidents et de réfugiés « temporaires » (paroikoi et parepidemoi) à témoigner de leur appartenance à Christ par leur conduite respectueuse des mœurs de l’endroit où ils ont trouvé refuge. Il termine l’exhortation en disant : « Comportez-vous en hommes libres, sans utiliser la liberté comme un voile pour votre méchanceté, mais agissez en serviteurs de Dieu. Honorez tous les hommes, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi » (vv. 16-17).
Se comporter en êtres humains libres et agir en serviteur de Dieu d’abord et honorez toutes les personnes, ce qui inclut le roi, n’est pas exclusif au roi. Nous pourrions être tenté d’y voir un manuel d’intégration plutôt qu’un diktat de soumission. Bien que l’exhortation soit d’avantage le premier que le deuxième, elle suggère également qu’en tant qu’humains libres et serviteurs de Dieu, l’invitation à prendre part à une société d’accueil dans le respect de tous les humains peut devenir parfois un refus de s’y intégrer, du mois un refus de se soumettre à l’ordre qui y est établi, parce que faire partie d’une société veut aussi dire faire sienne les luttes historiques de libération des peuples opprimés de cet endroit où nous nous trouvons.
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.