L’apôtre Pierre. Mosaïque du VIe siècle. Presbyterium de la basilique Saint-Vital, Ravenne (Bernard Blanc / Flickr).
1 Pierre : une théologie de la migration (1/5)
Martin Bellerose | 9 janvier 2023
Le présent texte est le premier d’une série de cinq sur la Première lettre de Pierre. Pour nous, cette épitre est en elle-même une « théologie de la migration ». La série que nous commençons avec ce texte se limitera à aborder des péricopes et des thématiques bien précises. D’autres espaces sont/seront dédiés à une élaboration plus exhaustive de ce que nous identifions comme étant une théologie pétrinienne de la migration. Le lecteur aura toutefois une bonne idée de ce dont il s’agit après avoir lu les cinq textes. En espérant que ces lectures donnent envie d’approfondir le sujet.
1 P 1, 1-2 : une adresse qui en dit long
Les généalogies, les adresses et les bénédictions finales que l’on retrouve dans la Bible sont souvent des textes considérés comme ayant peu d’intérêt et dont la lecture est ennuyeuse. Cela peut souvent être le cas, mais pas ici. 1 Pierre 1,1-2, nous révèle une très précieuse information sur les destinataires de la lettre et sur sa portée. On trouve dans ces versets une certaine « définition » de l’identité chrétienne. Le tout premier verset dit : « Pierre, apôtre de Jésus Christ, aux élus qui vivent en étrangers dans la dispersion, dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie ». On y identifie les chrétiens comme des élus et des étrangers. « Élus » et « étrangers » prennent des allures de synonymes.
Le mot « étrangers » traduit le mot grec parepidemos. La traduction française ne tient probablement pas assez compte du caractère provisoire porté par le mot en grec. D’autres traductions de ce mot dans le Nouveau Testament utilisent plutôt les termes suivants : « gens de passage sur terre ou sur cette terre » (He 11,13 ; 1 P 2,11). Il serait plus approprié de parler de migrants ou de réfugiés afin de faire valoir le caractère provisoire de leur condition. La condition « d’étranger » est ici double : les chrétiens appartiennent à la cité céleste et dans ce sens ils sont pèlerins dans le monde, mais ces chrétiens auxquels s’adresse la première lettre de Pierre sont aussi étrangers et migrants au sens sociologique. Ils ont dû quitter l’endroit où ils habitaient, vraisemblablement à cause des persécutions, pour trouver refuge dans l’une des cinq provinces mentionnées.
À propos de ces provinces, ce sont des régions montagneuses d’Anatolie (la Turquie actuelle), condition idéale pour trouver refuge et se protéger des persécutions, en particulier lorsqu’il s’agit d’une persécution généralisée de l’Empire. Dans ces cas, deux solutions de refuge sont envisageables pour les persécutés : 1) fuir l’Empire et en sortir, 2) aller se réfugier dans les coins les plus reculés de celui-ci et difficiles d’accès aux instances coercitives à la solde de l’empereur. Bien que des persécutions plus localisées avaient eu lieu contre les chrétiens, il est très probable que le texte (du moins jusqu’en 4,11) fut rédigé durant la grande persécution de la fin du premier siècle.
En filigrane…
Cette adresse, nous devons la voir en filigrane tout au long de la lecture de l’épitre. « La lettre s’adresse à des migrants » : il faut gardez cela en tête lorsque nous aborderons le « vivre ensemble » dans une société non chrétienne (2,11-17), lorsque nous aborderons la référence au déluge et à Noé qui quittera à jamais la terre qui l’a vu naitre pour vire sur une terre nouvelle où il a un rôle déterminant à jouer avec ses fils (3,18-22). Gardons aussi en tête cette adresse lorsque nous aborderons la question de l’hospitalité (4, 7-11) et lorsque que nous traiterons des mots d’encouragement du chapitre cinquième.
Être chrétiens et la Trinité
Il nous faut ici éviter les anachronismes et ne pas y voir une théologie trinitaire comme celle qui s’élaborera quelques siècles plus tard. Il n’en reste pas moins que l’énoncé trinitaire est assez précis. On y parle des « élus selon le dessein de Dieu le Père » (1,2) ; l’élection suppose un Père créateur, on pourrait même voir ici une brèche laissant place à la doctrine de la prédestination qui sera particulièrement développée théologiquement par Augustin et ultérieurement par Jean Calvin. Donc, un Père tout puissant et prescient. On y définit aussi le rôle de l’Esprit en mentionnant : « par la sanctification de l’Esprit » (1,2). Il s’agit-là d’un processus qui s’opère chez le chrétien en voie de devenir saint, c’est en cela que consiste la sanctification. Et finalement, une référence, subtile pour le non-croyant et évidente pour le croyant, à la foi en la rémission des péchés par le sacrifice du Fils sur la croix : « pour obéir à Jésus Christ et avoir part à l’aspersion de son sang » (1,2).
On me dira : « mais qu’est-ce que cela a à voir avec la théologie de la migration? » En fait, je dirais, cela a tout à voir. Parfois, comme c’est le cas ici, les choix de traductions ne nous rendent pas la tâche facile. Mais trois termes se trouvent présentés comme synonyme : « pèlerin » (étrangers), « élu » et « saint ». Cela nous amène à y voir une haute incidence pour aujourd’hui car le migrant-réfugié serait à la fois élu de Dieu et en communion avec l’Esprit qui le sanctifie. Cette sentence mérite bien sûr une plus grande réflexion mais elle nous suggère de voir la migration comme étant, en elle-même, le cadre d’un processus de sanctification. Les récits des expériences vétérotestamentaires de l’Exode, de l’exil à Babylone et de la migration d’Abraham ne vont-ils pas dans ce sens?
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.