Départ d’Abraham. József Molnár, 1850. Huile sur toile, 112 x 130 cm. Galerie nationale hongroise, Budapest (Wikimedia).
Une terre promise… à Abraham
Martin Bellerose | 19 décembre 2022
On connait l’histoire… même si dans la Bible on en trouve différentes versions. Il s’agit du récit de la terre que Dieu a promise à Abraham. On en retient que Dieu a fait une promesse au patriarche, que celle-ci s’est accomplie et que depuis ce temps, celui qui est parti en migration, s’est installé sur cette terre. Hélas la « réalité » est plus nuancée.
Dans Genèse 12, 1-7
Le récit commence alors que Dieu dit à Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. » (Gn 12,1) Quelques versets plus loin, alors qu’Abraham est enfin arrivé sur cette terre, Dieu lui dit : « C’est à ta descendance que je donnerai ce pays. » (12,7) Après des années de migration, Abraham arrive là où le Seigneur l’a envoyé pour s’y faire dire que cette terre n’est finalement pas pour lui, mais pour sa descendance, alors que, déjà âgé, il n’a même pas de descendance. On peut s’imaginer qu’il ait dû se sentir trompé, floué et comment cette attitude en apparence cynique du Dieu d’Israël a pu nourrir chez Abraham une amer déception. D’autant plus, que le lecteur sait qu’à la fin du récit d’Abraham en Genèse, la seule terre que le patriarche aura réussie à posséder est celle de la sépulture de Sara (23,16-18). Ce qu’Abraham aurait pu recevoir comme une mauvaise blague est plutôt devenu l’espace d’émergence de sa foi en Dieu.
Tout de suite après que le Seigneur lui eut annoncé que la terre où il se trouve ne sera pas pour lui mais pour ses descendants qu’il n’a pas encore, Abraham « éleva un autel pour le Seigneur qui lui était apparu » (Gn 12,7). Il ne s’est pas senti déçu par ce que Dieu lui avait dit, il a plutôt entendu, dans ce qu’Il lui avait déclaré, que désormais tout est possible.
Dans Actes 7, 1-8
Le récit est repris par Étienne dans son discours au moment d’être lapidé. Le texte prend un sens nouveau lorsque nous savons le sort qui sera réservé aux chrétiens après la mort d’Étienne. Il s’en suivra une persécution et beaucoup de chrétiens devront quitter l’endroit où ils habitent pour aller vers le pays que Dieu leur a montré.
Lorsqu’Étienne reprend les paroles du Seigneur rapportées dans l’Ancien Testament : « Sa descendance séjournera en terre étrangère, on la réduira en esclavage et on la maltraitera pendant quatre cents ans » (Ac 7,6), celles-ci font écho d’une prophétie passée pour l’avenir des chrétiens. Les persécutions auraient dû décourager les gens à joindre les chrétiens. Pourtant, par leur témoignage en diaspora, ils auront suscité l’émergence de communautés chrétiennes un peu partout dans l’Empire romain.
Le sens que la promesse prend pour les migrants d’aujourd’hui
Face à la guerre et à la persécution, ces paroles du Seigneur – « Quitte ton pays et ta famille et va dans le pays que je te montrerai » (Ac 7,3) – résonnent dans le cœur de beaucoup de chrétiens. Et ils partent vers ce pays dont parfois ils ignoraient même l’existence avant d’y arriver. Beaucoup de migrants-réfugiés aujourd’hui se trouvent déçus dans leur terre d’accueil. La liberté, la tranquillité d’esprit et le bien-être qui leur avaient été promis n’a pas répondu à leurs espoirs. Pourtant, ils s’accrochent et leur discours change, ils s’étaient réfugiés dans un pays, ici ou ailleurs, pour avoir une vie meilleure et soudain ils vous diront qu’ils sont restés pour leurs enfants, pour qu’ils aient une vie meilleure, un accès à l’éducation et de meilleures conditions vie. Tout comme pour Abraham, la promesse d’une terre et d’une vie meilleure sera pour leur descendance.
Contrairement à ce que l’on veut bien croire dans un pays comme le Canada, la vie n’y est pas nécessairement plus facile, plus prometteuse et meilleure qu’ailleurs pour tout le monde, loin de là. Bien entendu, ceux qui y vivent aiment bien le croire. Ça justifiera qu’on offre de moins bons salaires aux migrants et aux réfugiés en se disant que s’ils étaient restés « chez eux » ça aurait été pire ; on leur enlève implicitement le droit de réclamer des meilleures conditions de vie, parce qu’on est convaincu que leur simple présence dans un pays comme le Canada est une nette amélioration de leur niveau de vie. La réalité est malheureusement beaucoup plus nuancée.
Lorsque, dans son discours, Étienne cite l’Ancien Testament en disant : « Sa descendance séjournera en terre étrangère, on la réduira en esclavage et on la maltraitera », il s’agit du sort du persécuté qui va se réfugier quelque part ; la descendance portera les stigmates de la condition migrante parfois durant plusieurs générations, selon la couleur de sa peau, ses origines, son nom de famille et sera peut-être toujours considérée comme étrangère.
À la suite d’Abraham, tout comme Étienne avant d’être lapidé, ceux qui aujourd’hui ont quitté leur pays vers la terre que Dieu leur a montrée pourront s’approprier ces versets de la lettre aux Hébreux :
Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. Car ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils sont à la recherche d’une patrie ; et s’ils avaient eu dans l’esprit celle dont ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner ; en fait, c’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à une patrie céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu ; il leur a, en effet, préparé une ville. (Hb 11,13-16)
Martin Bellerose est professeur et directeur de l'Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l'Église Unie du Canada.