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Les signes des temps 2/5
Pierre Prud’homme | 30 décembre 2019
Le 18 septembre dernier, La Maison de la Parole de Saint-Hyacinthe m’invitait à faire une conférence sous le thème « Cultiver la confiance : engagement social et Parole de Dieu ». Cet article est le deuxième d’une série de cinq qui en résume le contenu.
« Vous savez donc interpréter l’aspect du ciel,
mais les signes des temps, vous ne le pouvez pas. » (Mt 16,4)
« De mieux en mieux »
Pour nous aider à lire les signes des temps, je réfèrerai ici à la chronique de François Brousseau, du 18 janvier 2018, dans Le Devoir. Le journaliste se sert des chiffres du dernier rapport de l’Indice de développement humain (IDH) de l’ONU pour affirmer, sans nullement porter des lunettes roses, que « le monde va toujours mieux ». Difficile à croire, mais laissons parler les faits par le crayon du chroniqueur.
Jamais, jamais dans l’histoire, autant d’êtres humains – en chiffres absolus comme en proportion du total – n’ont eu accès à l’éducation ou aux communications. Jamais autant n’ont mangé à leur faim ou disposé d’un toit. Jamais les grandes maladies qui ont ravagé l’humanité dans les décennies et les siècles précédents n’ont autant reculé, quand elles n’ont pas disparu.
Des chiffres? La variole, préoccupation majeure des autorités sanitaires il y a 50 ans, disparue! Le paludisme ou la malaria? Entre 2000 et 2015, moins de 60%, soit un milliard de cas – et des millions de décès – évités grâce à d’efficaces campagnes de prévention.
La mortalité infantile dans le monde? Passée de 90 à 43 décès pour mille naissances, soit 50 millions de vies sauvées de 2000 à 2015. Oui, il y a encore trop de décès qui ne justifient pas qu’on se tape sur l’épaule et qu’on ralentisse le rythme des efforts. Mais prenons acte des progrès réalisés en 15 ans.
Allons au hasard des statistiques. Taux de scolarisation des filles en Asie ou en Afrique passé du quart à la moitié des filles, entre 2000 et 2012. Pauvreté absolue dans le monde passée en deux décennies de deux milliards à un milliard de personnes. Analphabétisme : un être humain sur deux en 1950, 15% en 2016 selon l’UNESCO.
Les chiffres de l’Indice de développement humain de l’ONU sont sans appel… Partout, ou presque, la courbe est ascendante : éducation, revenu, espérance de vie. Les exceptions sont rares et localisées, reliées aux guerres en Syrie, au Yémen, au Soudan du Sud.
Le spécialiste de l’étude de la violence, Steven Pinker, s’appuyant sur de multiples études et statistiques, est catégorique : « Il y a moins de meurtres, moins de guerres, moins de tortures, moins de peines de mort, moins de violences faites aux enfants ».
« De mal en pis »
Une semaine plus tard, le même journaliste produisait une chronique « De mal en pis » en rappelant la menace nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord, la fragilité des démocraties, la résurgence des groupes extrémistes et de droite autoritaires, les guerres dans certaines régions, le réchauffement climatique.
Et François Brousseau concluait qu’en accolant ces deux chroniques, il souhaitait qu’on reconnaisse « le fait que la réalité est forcément contradictoire, que le pire et le meilleur cohabitent, que le jour suit la nuit, qui suit le jour… »
Le blé et l’ivraie
Jésus de Nazareth ne disait pas autre chose quand, il y a 2000 ans, pour parler du Royaume, il référait à cet homme qui n’avait semé que de la bonne semence dans son champ et dont les serviteurs découvraient la présence de l’ivraie. « C’est un ennemi qui a fait cela, leur répondit-il… N’arrachez pas l’ivraie de peur qu’en la ramassant, vous pourriez aussi arracher le blé. Laissez-les donc grandir ensemble jusqu’à la moisson. »
Ce que nous rappellent les chiffres de l’Indice de développement humain, c’est que nous avons un devoir d’aller lire les signes des temps dans une perspective historique, au-delà des événements immédiats, ponctuels et sensationnalistes qui font vendre la copie. À force de se faire mettre l’ivraie dans la face et de se la faire rappeler constamment, cela contribue à déformer notre regard sur la réalité, nous amenant à perdre confiance et à ne plus voir le blé qui pousse. Par le fait même, notre espérance est entamée, fragilisée, usurpée, pour laisser place au sentiment d’impuissance, à la tentation du repli sur soi, de l’individualisme et de l’indifférence.
Notre habileté à lire les signes des temps constitue le levain de notre confiance en l’avenir et de notre espérance.
Pierre Prud’homme est président du conseil d’administration du MTC (Mouvement des travailleuses et travailleurs chrétiens) de Montréal et membre de la Commission Engagement et Foi du MTC national. Il est fortement préoccupé par la défense de droits et la justice sociale et environnementale.