Ruth et Boaz. George Frederic Watts, c. 1835-37. Huile sur bois, 30,5 x 15,4 cm (Tate Creative Commons).
2. L’hospitalité de Boaz
Martin Bellerose | 15 mars 2021
Il s’agit ici du deuxième article d’une série de trois textes sur le livre Ruth. Le premier portait sur la condition de travailleuse migrante agricole de Ruth. Dans le présent texte, nous nous attarderons au chapitre 2 du livre de Ruth où nous y décelons la pratique hospitalière de Boaz en ressortant six caractéristiques de celle-ci qui peuvent nous interpeller dans nos pratiques hospitalières tant avec les migrants en général qu’avec les travailleurs migrants agricoles en particulier.
Boaz hérite d’une certaine « tradition familiale » de pratique de l’hospitalité. Il est le fils de Rahab, la prostituée de Jéricho, qui avait offert l’hospitalité aux envoyés d’Israël qui étaient venus pour espionner les lieux alors qu’ils étaient recherchés par les autorités de la ville. Rahab reconnaissait le Dieu d’Israël comme étant le vrai Dieu, elle avait foi en lui et c’est au nom de cette foi qu’elle a accueilli les espions envoyés par Josué au risque de sa propre vie (Jos 2). En ce qui a trait à la pratique d’hospitalité, Salmon, le père de Boaz n’est pas en reste. Il s’est marié avec une prostituée cananéenne, donc étrangère et l’a accueillie au sein de son peuple. Le Nouveau Testament mentionne Rahab en citant sa foi et son hospitalité en exemple (He 11,31 ; Jc 2,24-26).
La première caractéristique de l’hospitalité de Boaz est tout simplement qu’il remarque Ruth parmi ses travailleurs, et qu’il montre un intérêt pour elle ; « Alors Booz dit à son chef des moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » (2,5) et Boaz va lui adresser la parole (2,8). Cette caractéristique est très inspirante aujourd’hui pour quiconque veut offrir son hospitalité aux travailleurs migrants agricoles, simplement se rendre compte qu’ils existent et s’adresser à ces personnes, dans leur langue si possible, mais sans que la barrière de la langue ne soit un prétexte pour qu’on ne leur dise pas au moins « bonjour ». Cette attention vaut aussi pour les employeurs. Même si plusieurs propriétaires de ferme sont véritablement attentionnés envers leurs travailleurs, il reste qu’à une échelle globale, les patrons sont généralement très peu préoccupés par le sort de leurs employés. Trop souvent, ces employés ne sont pour les dirigeants d’entreprise que des numéros qu’on embauche ou congédie selon de nébuleux critères de rentabilité. On n’a pas grand-chose à faire de l’humain.
La deuxième caractéristique est que Boaz invite Ruth à glaner dans son champ sans qu’il en tire lui-même profit (2,8.15.16). Il veille au bien-être économique de son invitée. Il y a là toute une leçon pour notre société. Boaz invite même ses travailleurs à laisser tomber volontairement des épis afin de l’aider dans son glanage.
La troisième caractéristique de l’hospitalité de Boaz est qu’elle implique une offre de protection contre le harcèlement (2,15.16.22). Il dit explicitement à Ruth : « Ne quitte pas des yeux le champ qu’ils moissonnent et va derrière eux. J’ai interdit aux jeunes gens de te toucher, n’est-ce pas ? Quand tu auras soif, tu iras aux cruches et tu boiras de ce que les domestiques auront puisé. » (2,9)
La quatrième caractéristique me semble extraordinaire ; on ne la voit pas souvent dans les pratiques contemporaines d’hospitalité. Boaz dit à Ruth : « On m’a conté et reconté tout ce que tu as fait envers ta belle-mère après la mort de ton mari, comment tu as abandonné ton père et ta mère et ton pays natal pour aller vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. Que le Seigneur récompense pleinement ce que tu as fait, et que ton salaire soit complet de par le Seigneur, le Dieu d’Israël, sous la protection de qui tu es venue chercher refuge. » (2,11-12) Aussi disposé puisse-t-on être à offrir l’hospitalité, à accueillir celui qui immigre au pays que nous habitons ou celui qui vient y travailler, combien de fois ai-je remercié celui qui a choisi de venir contribuer et enrichir de diverses manières l’endroit où j’habite? Le moins qu’on puisse dire est que cette caractéristique de l’hospitalité de Boaz porte à réfléchir sur notre propre façon de comprendre et de pratiquer l’hospitalité.
La cinquième caractéristique est la relation de confiance et d’hospitalité qui s’établit entre Ruth et Boaz. Ruth dit à Boaz : « Considère-moi avec faveur, maître, puisque tu m’as consolée et puisque tu as établi avec ta servante une relation de confiance ; et pourtant, moi, je ne serai pas comme une de tes servantes! » (2,13) Cette relation de confiance et d’égalité entre Boaz est Ruth est aussi inspirante pour les pratiques contemporaines d’hospitalité. La bonne volonté des gens les pousse souvent à vouloir aider les autres. Vouloir aider l’immigrant ou l’étranger implique qu’on considère qu’il doit être aidé et ce n’est pas nécessairement le cas. Le désir d’accueillir quelqu’un qui est dans le besoin a souvent le contre-effet de stigmatiser celui qu’on accueille « parce qu’il a besoin d’aide ». On le voit comme un être en carence, comme nécessitant, comme ayant besoin de quelque chose. L’attitude de l’accueillant est, dans ces circonstances, sans doute paternaliste. Être hospitalier ce n’est pas accueillir l’autre parce qu’il n’a rien à manger ou n’a pas d’endroit où dormir mais simplement parce qu’on l’aime bien, parce que c’est un ami sans qu’il s’agisse d’un devoir à accomplir.
La sixième caractéristique de l’hospitalité de Boaz est en continuité avec ce que nous venons de dire sur la cinquième caractéristique. Il s’agit de ce que j’appelle l’hospitalité classique c’est-à-dire offrir à boire et à manger et un espace où dormir, en d’autres mots inviter quelqu’un à sa table (2,9.14). Tout ce qu’il y a de plus commun. Mais lorsqu’on défend les droits des migrants, et que les actions ont des portées nationales et internationales, économiques et législatives nous pouvons être à risque d’oublier que le migrant, le travailleur migrant n’est pas une cause devant combler nos besoins d’exotisme ; il est une personne avec ses joies, ses douleurs, ses angoisses, ses défauts et ses espoirs. L’amitié qui se partage autour du repas lui est, tout comme pour soi-même, très précieuse.
Osons nous servir des caractéristiques de l’hospitalité dans leur version boazienne pour inspirer, si c’est le cas, notre volonté d’accueillir, d’offrir l’hospitalité aux travailleurs migrants qui font en sorte que nous avons des produits locaux à consommer. Tel que par Ruth la moabite, Noémie fille de Juda pouvait se nourrir, c’est par ces travailleurs migrants guatémaltèques, honduriens, jamaïcains mexicains ou autres que nous avons accès à ce que nous appelons le « panier bleu ». Merci à ces derniers d’être venus y contribuer.
Martin Bellerose est professeur à l’École de théologie évangélique du Québec (ÉTEQ).