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2e série - L'Évangile selon saint Matthieu (7/7)
 

Des savoirs transférables

L’imaginaire populaire chrétien a été fortement marqué par la mise en récit de la vie et des paroles de Jésus. Cette série d’articles nous a permis de comprendre pourquoi « Matthieu a servi, deux millénaires durant, de manuel de dévotion, de sources de lectures liturgiques et de récit historique.» (Frank Kermode, Encyclopédie littéraire de la Bible, page 491). Nous allons maintenant explorer deux pistes d’améliorations possibles de notre contact hebdomadaire avec la Bible.

Replacer les textes de chaque dimanche dans leur contexte littéraire

     La liturgie améliorée depuis Vatican II nous propose de parcourir de dimanche en dimanche un ensemble de textes qui appartient à une œuvre littéraire construite et cohérente.

     La fréquentation de la Bible dans la liturgie nous concentre sur des textes de quelques versets. Si nous nous limitons à cette seule pratique de lecture, nous perdons de vue le cadre global où les détails prennent leur sens. En fait, nous ne remarquons pas ces détails, faute d’un cadre de référence qui les mettrait en relief.

     Il vaut la peine de tenir compte des originalités d’ensemble de chaque évangile. Chaque évangile est une œuvre littéraire cohérente qui véhicule son message non seulement par son contenu, mais aussi par ses originalités de forme et par les stratégies rhétoriques mises en œuvre.

     Notre lecture décontextualisée des courts textes retenus par la liturgie me fait penser à la parabole de l’ananas. Imaginons quelqu’un qui connaît les ananas uniquement en confiture. Il est tout étonné le jour où quelqu’un lui sert à partir d’une boîte de conserve ou d’un contenant de plastique des tranches d’ananas.  Et il ne peut s’imaginer à quoi ressemble le fruit cueilli sous les tropiques, s’il n’a jamais porté attention aux étals de fruits de son épicerie!

     Il en va de même pour notre compréhension de la Bible. Nous la connaissons par petits fragments, par courtes allusions dans le langage (« un bon Samaritain », « un fils prodigue ») ou par petites phrases sur des petits pains en carton. La liturgie du dimanche nous en propose de petites tranches (6 à 8 versets, en moyenne). Mais avons-nous pris conscience que nous avons affaire dans la Bible à des œuvres littéraires complètes, autoportantes? 

     La Bible est une collection de soixante-treize œuvres littéraires. Ce constat devrait nous inciter, une fois de temps en temps, à nous donner en communauté chrétienne un cadre de lecture globale avant de nous enfermer dans les limites des lectures de chaque dimanche.

Réaffirmer la valeur du Premier Testament pour les chrétiens

     L’Évangile selon Matthieu est pétri d’allusions et de citations de l’Ancien Testament. Cette stratégie de rédaction donne à penser que ce Premier Testament est encore porteur d’une Bonne Nouvelle, puisqu’en Jésus il trouve sa plénitude et son accomplissement.

     Après avoir exploré attentivement cet évangile, qui peut prétendre qu’on puisse se passer du Premier Testament lorsqu’il s’agit de comprendre le propos du Nouveau Testament?

     Malheureusement, nous écartons bien rapidement de nos préoccupations la  nécessité de fréquenter le Premier Testament pour apprécier à sa juste valeur le Nouveau. Sans le savoir, nous reproduisons à notre époque la grande illusion vécue par les disciples de Marcion au deuxième siècle. Marcion voulait expurger du Nouveau Testament toutes les allusions à l’Ancien Testament. Il se basait sur le fait qu’en Jésus, les attentes de l’Ancien étaient accomplies.

     Notre étude des processus mis en jeu dans l’Évangile selon Matthieu nous prouve que cette intransigeance de Marcion contredit les manières de réfléchir et les propos de l’évangéliste.

     Par exemple, dans le récit des tentations, Jésus rejette les trois tentations à l’aide de versets du Deutéronome. Ils rappellent les commandements juifs fondamentaux du Sch’ma Israel (« Écoute Israël… »). Jésus se soumet à une autorité avant de démontrer la sienne. Autre exemple : le traitement par Matthieu du récit de la Transfiguration. Comme dans le livre du prophète Daniel, les disciples tombent face contre terre et sont réconfortés (Daniel 10, 11-12). Jésus rayonne comme Moïse descendant du Sinaï (Exode 34, 29-30). Belle représentation de ce que devient la Loi sous la nouvelle et définitive autorité de Jésus. Il a le pouvoir de la transformer. Puissions-nous l’apprécier comme lui lorsque nous lirons les évangiles que nous présentera la liturgie des dimanches de l’été et de l’automne!

 

Alain Faucher, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2279. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
L'Évangile selon sain Matthieu - L'originalité au fil des pages

 

 

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