Le livre d'Esther (4/6)
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Hier, aujourd'hui, demainLe livre d’Esther évoque des grands personnages du passé biblique. Cela donnait du réconfort à ses destinataires. Ils vivaient dans un Empire qui méconnaissait ou qui méprisait leurs valeurs. Peu étonnant que le Judaïsme y puise encore des réflexions pratiques pour sa vie actuelle. Dans le rétroviseurUn bon conducteur développe un réflexe visuel essentiel : il jette un coup d’œil dans le rétroviseur plusieurs fois par minutes. Le ou les auteurs du livre d’Esther avaient ce réflexe de dessiner l’avenir en tenant compte du passé. Certains personnages du livre rappellent des géants de la Torah, les premiers livres de la Bible. La liaison entre les textes (l’intertextualité) est un indice du travail de construction méticuleux qui a généré le passionnant livre d’Esther. La comparaison la plus évidente s’établit avec la belle histoire de Joseph, vendu par ses frères avant d’accéder au pouvoir en Égypte. Cette comparaison a été détaillée en 1976 lors d’une rencontre à l’école Akiva de Montréal. Voici quelques éléments de cette discussion, enrichis de nos propres considérations sur la qualité des narrations bibliques. Joseph et Esther évoluent dans un milieu dépourvu des repères familiers aux Juifs. Après des débuts modestes dans la vie, leur pouvoir reste fragile, car il dépend du bon vouloir du plus haut dirigeant du pays. Ils utilisent leur pouvoir pour aider concrètement leur peuple en famine ou en danger de mort. Selon les règles en vigueur à leur époque, leur vie est centrée sur le salut du groupe et non sur leur seule survie personnelle. Dans les deux cas, la chance joue un grand rôle dans la construction de l’intrigue. Elle redonne contrôle sur les événements. Peu étonnant qu’on lise avec avidité leurs aventures! Dans les deux cas aussi, l’action de Dieu reste discrète, comme en coulisses. Les divers personnages donnent des mains et des jambes à la Providence! Un troisième ingrédient familier des récits bibliques est mis en valeur : l’importance des états de conscience altérés. Notre mentalité occidentale méprise les songes et les visions. Par contre, la majorité des cultures humaines estime autant que la Bible les révélations transmises dans ces situations. Un jour, peut-être, notre soi-disant objectivité sera éclairée par les avancées des sciences cognitives. En attendant, nous restons sceptiques devant certains ressorts de l’intrigue biblique : les songes de Joseph, le sommeil du roi un peu trop léger dans le livre d’Esther… La tradition juive du midrash, se basant sur Nombres 12, 3, poursuit la comparaison en affirmant que le clairvoyant Mardochée fut pour sa génération ce que Moïse fut pour la sienne. On remarque aussi que le méchant Pharaon qui réduisit les Hébreux en esclavage ressemble au féroce Amane. Autant ils surent s’acharner sur les Hébreux et les Juifs, autant leurs plans furent déjoués avec éclat par le Dieu des esclaves et des exilés. Il existe cependant des différences entre les textes de la Genèse qui racontent les aventures de Joseph et les péripéties du livre d’Esther. Joseph n’a jamais pris de risque pour sa vie. Esther risque le tout pour le tout. Elle seule peut alerter le roi du sort qu’elle partagera inéluctablement avec son peuple condamné par le féroce Amane. Elle s’adresse au roi en sachant qu’elle contrevient à toutes les règles du protocole. Elle parvient à ses fins en jouant de ruse autant, sinon plus, que l’ennemi de son peuple. Elle étale une somptuosité de moyens comparable à celle de son mari l’empereur. La Genèse ne dit mot sur le train de vie de Joseph. En pleine possession de son pouvoir, il ne ruse pas et ne négocie pas avec le bon Pharaon qui l’a accueilli en Égypte. Dans le périscopeUn sous-marin navigue avec plus de sécurité s’il est muni d’instruments qui le gardent en contact sonore ou visuel avec son environnement. Aux personnes de religion juive dispersées dans le monde, le livre d’Esther offre désormais une carte détaillant les grandes zones de sécurité qui aident à garder intactes la foi et les coutumes. Il faut prendre conscience de son identité juive et vivre en cohérence avec elle. Il faut aussi se préparer à cohabiter avec des autorités parfois bienveillantes, parfois hostiles. Il faut enfin reconnaître que la sécurité peut soudain se muer en persécution puis en destruction. L’histoire récente de l’Europe prouve l’importance de ces prises de conscience.
Source: Le Feuillet biblique, no 2221. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal. Chronique précédente :
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