Le livre d'Esther (3/6)
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L'intrigue et la vérité historiqueLe livre d’Esther soulève une question importante : «La Bible dit-elle vrai?» Pour l’exactitude de certains faits, on repassera. En effet, les spécialistes admettent que l’œuvre fait beaucoup appel à l’imagination. Dans un scénario de roman (comme dans un scénario de film), une invraisemblance qui aide à atteindre le dénouement peut avoir sa place. Certains personnages n’ont laissé aucune trace historique et sont probablement inventés. Il n’y a donc pas lieu de s’offusquer, par exemple, si le nom de la première reine, Vashti, ne correspond à aucune célébrité du temps. Les spécialistes sont divisés sur l’identité du roi. La diète hyper-végétarienne d’Esther est également problématique par rapport au Guide alimentaire de notre époque. On peut allonger la liste des invraisemblances en citant le long délai entre l’annonce du massacre des Juifs et l’exécution du génocide, la rapidité et la superficialité des décisions du roi, le sort du peuple juif qui change du tout au tout et pour le mieux à cause d’une insomnie royale… La présence dans le livre de ces éléments « hollywoodiens » ne discrédite pas cette intrigue biblique palpitante. En effet, l’intrigue dépeint des contextes respectueux de véritables situations historiques. De plus, les traits de certains personnages évoquent des célébrités rencontrées au fil du Premier Testament : Joseph, le Pharaon, Moïse. Enfin, l’intrigue traite d’une question réelle : comment le peuple juif peut-il durer, puisque ses lois et ses coutumes différentes des peuples environnants en font la cible constante de menaces graves? Le XXe siècle nous prouve que le génocide appréhendé dans le livre d’Esther peut hélas s’inscrire dans la trame de l’histoire… Toute intrigue est une constructionL’auteur d’un récit doit faire des choix. Il construit le portrait de ses personnages. Il met en évidence certains traits et garde le silence sur d’autres éléments. Il choisit des situations qui vont attirer l’attention du lecteur. Dans le livre d’Esther, le rédacteur raconte même « en double » les événements-clé. Par exemple, il met en scène deux épouses royales, deux banquets organisés par Esther, deux prières déchirantes. L’auteur doit aussi tisser des liens qui font avancer les événements vers un dénouement. Les rebondissements, les retournements de situations donnent envie de lire, car on veut savoir la suite! Le rédacteur fait des choix stratégiques en fonction du but qu’il souhaite atteindre. Le dénouement peut offrir la solution d’un problème. On appelle cela une « intrigue de résolution ». Ou bien apprendre quelque chose aux lecteurs. C’est une « intrigue de révélation ». Pourquoi les récits de la Bible sont-ils si passionnants? La Bible offre fréquemment des récits à double intrigue. Il se passe quelque chose, puis on en tire de l’information utile. Autrement dit : les rebondissements de l’intrigue de résolution sont au service d’une intrigue de révélation. C’est exactement le cas dans le livre d’Esther. Les faits rocambolesques finissent par mettre en lumière le soutien de Dieu à son peuple dispersé dans un Empire tantôt indifférent, tantôt hostile. Le peuple de Dieu peut durer dans un environnement pas toujours sympathique tout simplement parce que Dieu y veille. En élucidant cette dynamique littéraire d’événements au service d’une révélation, on comprend aussi pourquoi la version hébraïque primitive a été remaniée. La première version du récit alignait des faits sans trop insister sur l’action divine. La refonte en grec ajoute de nombreux éléments qui proclament le désir d’une intervention divine et qui confirment sa pleine efficacité. Avec ses nombreux ajouts, la version grecque est donc aussi «vraie» que la version hébraïque originale beaucoup plus sobre. L’arrimage avec le réelAu-delà des détails inventés, il faut surtout prendre conscience de la vraisemblance des contextes évoqués dans le livre d’Esther. La description du gouvernement et des communications ancre bel et bien le livre dans la réalité. La parole royale a une force inéluctable. En invitant sa reine à lui parler, le roi lui sauve la vie! Et un décret royal, même farfelu, ne peut être retiré sur-le-champ. Il faut des jours pour que les messagers diffusent partout le message dans l’empire! Le roi doit donc émettre un autre décret qui supplante le premier. Dans un contexte d’analphabétisme généralisé, ces gestes qui semblent tout simples aujourd’hui prennent un relief et une force extraordinaires.
Source: Le Feuillet biblique, no 2220. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal. Chronique précédente :
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