Le Christ Pantocrator. Mosaïque de l’église Saint-Martin, Cardiff, Royaume Uni (Wikimedia).
10. De Jésus, prophète, à Jésus, Christ
Odette Mainville | 28 novembre 2022
Découvrir Luc : une série d’articles où Odette Mainville examine l’œuvre de Luc (évangile et Actes) pour en présenter les grands thèmes. Dans ce dernier article de la série, elle souligne le passage de la perception de Jésus comme prophète à la conviction qu’il est aussi le Christ.
Exalté à la droite de Dieu, il a donc reçu du Père le Souffle Saint promis et il l’a répandu, comme vous le voyez et l’entendez [1].
Voilà la proclamation qui marque la jonction entre le ministère terrestre de Jésus et son prolongement dans la communauté chrétienne. Qu’est-ce à dire ? Mais d’abord ce rappel.
Jésus, prophète
Nous avons vu, dans le premier texte de cette série, que le Jésus de l’évangile de Luc se présente comme prophète au sein de son peuple. Les quelques épisodes qui suivent le confirment.
À la synagogue de Nazareth [2]
Jésus fait lecture d’un texte du livre d’Isaïe (61,1), où il est question de l’investiture du prophète destiné à annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, à libérer les captifs, à rendre la vue aux aveugles, à libérer les opprimés. Au terme de sa lecture, au moment de remettre le rouleau au servant, Jésus dit à l’assemblée : Aujourd’hui, cette parole est accomplie pour vous qui l’entendez (v. 21) ; puis il ajoute : Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie (v. 24). À l’appui de cette déclaration, il cite l’exemple d’Élie et d’Élisée qui n’ont pas été reconnus par les leurs, mais plutôt par des étrangers. Voyant que Jésus se présente comme celui par qui la prophétie s’accomplit, ceux-là présents dans la synagogue se lèvent en colère et l’entrainent jusqu’à l’escarpement d’une colline pour le précipiter en bas (vv. 28-29).
Jésus a donc raison : le prophète n’est pas accueilli par les siens.
La menace d’Hérode [3]
Comme il était en route vers Jérusalem, des pharisiens viennent prévenir Jésus qu’Hérode veut le faire mourir, l’incitant donc à quitter les lieux. Il leur fait alors cette réplique : Allez dire à ce renard : « Voici, je chasse les démons, j’accomplis des guérisons aujourd’hui et demain… » Mais je dois poursuivre ma route… car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. C’est donc là une deuxième occasion, dans un texte propre à Luc, cette fois-ci, où Jésus se présente comme prophète.
En route vers Emmaüs [4]
On connait bien ce beau récit où Jésus apparait à deux disciples en route vers Emmaüs. Les questionnant sur les propos qu’ils échangent, l’un d’eux lui dit : Tu es bien le seul qui séjourne à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci (…) Ce qui concerne Jésus de Nazareth qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple.
Voilà! La réponse de ce disciple confirme la perception qu’avaient de Jésus ceux qui l’ont écouté et ceux qui se sont faits ses disciples. Ils le considéraient effectivement comme prophète.
Jésus, Christ
Quand Jésus s’adresse aux disciples en route vers Emmaüs, il est déjà ressuscité et déjà fait Christ et Seigneur. C’est pourquoi, tout en leur expliquant les Écritures, il peut désormais leur dire : Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire [5] ? Dans des termes similaires, il instruit les Onze lorsqu’il leur apparait, le soir du même jour : C’est comme il est écrit : « Le Christ souffrira et ressuscitera le troisième jour [6] ».
Les deux épisodes cités, se situant le jour de Pâques, indiquent clairement que c’est au moment de sa résurrection que Jésus, prophète, est fait Christ, c’est-à-dire, qu’il a reçu l’onction l’établissant dans le Règne. Or, au moment de la Pentecôte, Pierre, dans un long discours [7], résume les Écritures concernant Jésus, ainsi que le rôle qu’il a joué parmi durant sa mission terrestre. C’est au terme de ce discours qu’il proclame haut et fort :
Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité, nous tous en sommes témoins. Exalté à la droite de Dieu, il a donc reçu le Souffle Saint promis et il l’a répandu, comme vous le voyez et l’entendez (…) Que toute la maison d’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié [8].
Rappelons que l’expression ‘à la droite de Dieu’ symbolise le rôle assumé par le roi d’Israël. Jésus a donc reçu l’onction [9], assortie de la puissance requise, soit le don du Souffle Saint [10], pour siéger à la droite de Dieu. Ajoutons encore que lorsque Pierre fait référence à ce que vous voyez et entendez, il renvoie ses auditeurs aux œuvres du Ressuscité désormais manifestes au sein de la communauté chrétienne.
Bref, ces œuvres sont possibles parce que Jésus, devenu Christ, a répandu la puissance du Souffle Saint sur les croyants, qui deviennent prophètes à leur tour [11] et qui, de ce fait, deviennent aptes à prolonger ses œuvres initiées au cours de son ministère terrestre. C’est précisément ce qui est déployé tout au long du livre des Actes des Apôtres, depuis Jérusalem jusqu’à Rome.
Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
[1] Ac 2,33
[2] Lc 4,16-30
[3]
Lc 13,31-33
[4]
Lc 24,13-32
[5]
Lc 24,26.
[6]
Lc 24,26.
[7]
Ac 2,14-36.
[8]
Ac 2,32-33.36.
[9] Jésus a reçu l’onction. Il est ‘Oint’, terme qui se traduit en grec par ‘Christos’ et en hébreu par ‘Mashiah.
[10] Comme on le découvre dans le Premier Testament, c’est par la puissance de son Souffle que Dieu agit (Ex 31,3 ; 35,31 ; Nb 27,8 ; Jg 3,10).
[11]
C’est ce que Pierre explique au cœur de son discours (Ac 2,16-18).