Jean le Baptiste (à droite) et Jésus dans Les enfants et le coquillage.
Bartolomé Esteban Perez Murillo, c. 1670. Huile sur toile, 104 x 124 cm. Musée du Prado, Madrid (Wikimedia).

8. Jean le Baptiste et Jésus

Odette MainvilleOdette Mainville | 26 septembre 2022

Découvrir Luc : une série d’articles où Odette Mainville examine l’œuvre de Luc (évangile et Actes) pour en présenter les grands thèmes. Dans cet article, elle examine le parallélisme des textes autour de la naissance de Jean le Baptiste et de Jésus (Luc 1-2) pour cerner, entre autres, l’intention de l’auteur derrière cette stratégie littéraire.

Les textes des deux premiers chapitres de l’évangile de Luc, exclusifs à cet évangile, relatant les événements entourant la naissance de Jean et de Jésus, dressent un parallélisme entre les événements concernant l’un et l’autre des deux enfants. Un parallélisme qui, toutefois, présente toujours un plus en faveur de Jésus. Quelle était donc l’intention de Luc en dressant un tel parallélisme?

Annonces de naissance des enfants

Le premier texte (Luc 1,5-25) met en scène Zacharie, le père de Jean. Luc prend bien soin d’établir d’abord les antécédents de ce personnage, mais aussi ceux de son épouse, Élisabeth. Zacharie est de la classe sacerdotale, un prérequis pour pouvoir officier dans le Temple ; quant à Élisabeth, elle est de la descendance d’Aaron. Tous les deux étant ainsi adéquatement situés dans la tradition juive, Luc assure ensuite leur crédibilité en précisant qu’ils étaient « justes devant Dieu et ils suivaient tous les commandements du Seigneur de façon irréprochable » (v. 6) [1].

Alors que Zacharie se rend dans le Temple pour l’offrande de l’encens, il reçoit la visite de l’ange Gabriel (v. 19) qui lui annonce que sa femme, Élisabeth, lui donnera un fils, qu’il nommera Jean ; ce fils qui, sous la motion du Souffle Saint, aura pour mission de ramener les fils d’Israël dans le droit chemin. Zacharie objecte alors qu’il est un vieillard et qu’en plus, son épouse, elle-même avancée en âge, est stérile. Le pauvre homme en ressortira muet pour avoir douté des paroles de l’ange. Il n’en demeure pas moins que, consécutivement à cette rencontre, Élisabeth s’est retrouvée enceinte.

Six mois plus tard, c’est au tour de Marie de recevoir la visite de l’ange Gabriel. À l’instar de Zacharie, Marie interroge l’ange objectant, pour sa part, le fait qu’elle soit vierge. L’ange lui répond alors : « Le Souffle Saint viendra sur toi et te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu » (v. 35). À cette objection d’ordre biologique de Marie, l’ange lui oppose donc une réponse d’ordre théologique. En effet, le titre ‘Fils de Dieu’ étant attribué au roi dans le Premier Testament [2], il préfigure, ici, le rôle que l’enfant de Marie aura à jouer, en l’occurrence, celui d’assumer le règne. Il importe aussi de comprendre que la garantie offerte par l’ange à Marie, à savoir que « le Souffle Saint viendra (sur elle et que) la puissance du Très-Haut (la) couvrira de son ombre » n’a pas à voir avec la conception, mais bien avec la protection de Dieu dont l’enfant sera doté [3]. C’est pourquoi l’enfant sera saint et sera habilité à assumer la fonction du règne à titre de Fils de Dieu. Marie étant alors légalement mariée à Joseph [4], qui est de la famille de David (v. 27), duquel devait descendre le Messie, on présume alors qu’elle va concevoir normalement, le moment venu. Contrairement à ce que l’on prétend habituellement, il n’y a donc pas d’affirmation de conception virginale en Luc, comme on le retrouve, par ailleurs, en Matthieu (1,21).

Comme Zacharie, Marie a posé une objection à la conception de l’enfant et pourtant, aucune pénalité ne lui est infligée. Elle s’en ira alors visiter sa cousine Élisabeth en Judée (vv. 39-57). Or, voilà que, dès son entrée dans la maison d’Élisabeth, l’enfant que porte cette dernière tressaille en elle ; une façon de dire que l’enfant d’Élisabeth reconnait la supériorité de celui de Marie ; ce qui sera confirmé par la bouche de sa mère : « Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » (v. 43).

Naissance et circoncision des enfants

Vint le temps pour Élizabeth d’accoucher et elle met au monde un fils. Il est circoncis le huitième jour et sous l’indication de son père, on lui donne le nom de Jean. Aussitôt après, Zacharie, ayant recouvré la voix, prononce un psaume dont le contenu confirme le rôle de son fils par rapport à celui de Jésus : Jean sera prophète du Très-Haut pour instruire le peuple sur la venue du Messie (Jésus) (vv. 68-79). 

Quant à Jésus, comme le veut la légende, il naîtra à Bethléem, ville de Judée, où ses parents ont dû se rendre en raison du recensement (2,1-21).  La mention de la ville de Bethléem n’est pas un hasard puisqu’elle est aussi le lieu de naissance de David (v. 11). Dès qu’il est né, les bergers, ces personnages pauvres et ostracisés, en sont informés par un ange, qui leur dévoile ce que sera la vocation de ce nouveau-né : « Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (v. 11). Cette annonce aux bergers préfigure déjà cette prédilection qu’aura le Jésus de Luc en faveur des pauvres et des marginalisés par la société d’alors.

Huit jours plus tard, l’enfant est circoncis et reçoit le nom de Jésus, comme l’avait indiqué l’ange Gabriel au moment de sa conception (v. 21). Il est ensuite présenté au Temple (vv. 22-38, où le vieillard Syméon, sous la poussée du Souffle Saint, reconnait en Jésus l’avènement du salut de Dieu. De même, la prophétesse Anne, dans le Temple également, le reconnait comme le libérateur d’Israël (v. 39).

Jeunesse de chacun des enfants

Il se glisse, au fil de ces récits, deux notices qui pourraient, de prime abord, sembler anodines, mais qui, implicitement, viennent confirmer l’importance des rôles que les deux personnages auront à assumer respectivement. Pour Jean, il est écrit : « Quant à l’enfant, il grandissait et son esprit se fortifiait ; et il fut dans le désert jusqu’à sa manifestation à Israël » (1,80). Pour Jésus, il est écrit : « Quant à l’enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse et la faveur de Dieu était sur lui » (2,40). Encore une fois, ces textes nettement voulus en parallèle marquent la supériorité de Jésus par rapport à Jean. Jusqu’à la mort de Jean, Luc verra à confirmer la relation qui unissait les deux fils [5].

Conclusion

Ces textes lucaniens qui mettent en parallèle les événements entourant la naissance de Jean et de Jésus ont pour fonction d’indiquer le rôle de l’un par rapport à celui de l’autre :  le premier sera le précurseur devant préparer la voie du second. Si les personnages et leurs rôles respectifs sont indéniablement historiques, on ne saurait en dire autant des mises en scène. Il n’y qu’à comparer les trames narratives des récits de naissance en Luc à ceux en Matthieu pour réaliser qu’ils sont irréconciliables. Chacun des deux évangélistes avait une intention théologique différente. Il demeure toutefois que pour la rendre, chacun d’eux a eu recours à un genre littéraire bien connu dans l’antiquité, soit celui du « récit de naissance » où intervient la divinité, ce, pour glorifier la grandeur d’un personnage qui a marqué l’histoire de l’humanité dans un domaine particulier [6]. Il en découle que pour attribuer un tel récit de naissance à un personnage, il faut d’abord qu’il soit auréolé d’une grande renommée.

Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

[1] C’est d’ailleurs une caractéristique de Luc de toujours assurer la probité des personnages qui ont des rôles majeurs à jouer dans l’histoire du salut.
[2] Le roi en Israël portait effectivement le titre de ‘fils de Dieu’ (voir 2 S 7,14 ; Ps 2,7).
[3] Des exemples du Premier Testament montrent, en effet, que lorsque Dieu couvre le peuple de son ombre ou de la nuée, c’est pour lui assurer sa protection. Voir Nb 9,18.22 ; 10,34.
[4] On traduit habituellement ‘fiancée’, au lieu de ‘mariée’, du fait qu’au cours des six premiers mois du mariage, les époux ne cohabitaient pas encore.
[5] Voir Lc 3,15-17 ; 3,21-22.
[6] Par exemple, on dira d’Alexandre Le Grand qu’il a été conçu par le dieu Zeus.

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.