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Serons-nous au ciel avec nos corps?
Pierre Bougie | 17 août 2001
« Je crois à la résurrection de la chair » est un article de notre profession de foi. Pourtant, plusieurs se demandent si, effectivement, chacun ressuscitera avec « son » corps. Si oui, ce corps de résurrection sera-t-il notre corps biologique?
Deux réponses extrêmes se dessinent dans la pensée contemporaine. Les uns affirment qu'une résurrection corporelle est absolument impossible : à la mort, l'âme va à la rencontre du Christ, mais le corps, lui, disparaît dans la terre ou dans le feu. D'autres soutiennent que la résurrection se fera avec le corps matériel, agglomérat de molécules, tel que nous le connaissons. Pour éclairer le débat, il faut sans doute redéfinir ce qu'est le corps.
Merleau-Ponty, un philosophe contemporain, disait : « Je suis mon corps! » La formule a son mérite. Elle veut dire que l'homme a une âme spirituelle (c'est-à-dire non-matérielle), mais cette dernière est inconcevable sans le corps. Un homme, c'est l'unité d'un corps et d'une âme, car, privée du corps, l'âme existerait mais on ne pourrait plus l'appeler « homme ». Mon corps, c'est ce par quoi je-suis-au-monde! Mon corps n'est pas avant tout un ensemble de molécules, un composé matériel, mais bien un état de relation. Sans mon corps, mon âme ne pourrait recevoir aucune idée, aucun sentiment du monde extérieur. Tout passe inévitablement par les sens du corps. Autrement dit, je ne peux m'exprimer sans mon corps : je ne peux communiquer aucune idée ni aucun sentiment sans passer par le moyen de la parole, de l'écriture et du toucher. Mon corps est un être matériel, certes, mais le plus important, ce qui le distingue vraiment, n'est pas son état matériel, mais son rôle de relation au monde.
Dieu veut sauver l'homme et sauver tout l'homme. Comme Dieu a appelé à la vie par amour, il est impensable qu'il nous abandonne au moment où chacun remet entre ses mains son esprit. Tout au long de la vie, Dieu invite au dialogue d'amour avec lui. De plus, comme dans toute communication, ce dialogue nécessite pour nous le corps. Or, comme il est inconvenable que la mort soit la fin de notre dialogue d'amitié avec Dieu, il sera nécessaire qu'après notre mort, nous ayons un corps.
Que sera ce corps? L'expression traditionnelle empruntée à Paul est corps spirituel (1 Co 15,44). Impossible à imaginer sur terre, le corps que nous aurons à la résurrection ne sera pas matériel. Néanmoins, il sera notre corps, puisqu'il nous permettra d'être en relation. Notre corps matériel terrestre nous limite souvent dans nos élans d'âme en raison de ses propres limites, celles du temps et de l'espace en particulier - je ne peux pas être à deux endroits à la fois et en même temps -, la foi chrétienne nous invite à croire qu'il n'en sera pas ainsi de notre corps spirituel. Libéré des limites de la matière, il sera totalement au service de l'âme. L'exemple, le seul exemple à vrai dire que nous ayons, est celui du corps du Christ ressuscité : portes et fenêtres closes, il n'est pas entré, il est là! Assurément, nous pourrons nous reconnaître par nos corps et reconnaître les autres comme le Christ a été reconnu par ses disciples et les saintes femmes (Mt 28,9-10; Lc 24,36-43).
Quand cela se produira-t-il? Après notre mort déjà ou à la fin des temps? Cette question est liée à celle du jugement, jugement particulier et jugement général. La résurrection des corps ne se produira qu'à la fin des temps, au jugement général, quand la gloire du Christ sera pleinement manifestée. En attendant, nos morts qui ont « subi » le jugement particulier ne sont nullement privés de corps, donc de communication et de relation, puisqu'ils sont dans le corps du Christ. La gloire du Christ est présentement, et jusqu'au jour de son retour à la fin des temps, voilée. Quand le Christ sera manifesté dans toute sa gloire à la fin des temps, tous, alors, seront ressuscités, les bons comme les méchants. Ceux qui auront choisi le Christ (les élus) seront, avec lui, glorifiés dans leur âme et dans leur corps. Ceux qui l'auront rejeté (les damnés) seront, eux aussi, ressuscités, mais ne pourront être glorifiés.
Les lignes qui précèdent résument le livre Je crois à la résurrection des corps (Desclée, 1981) d'Henri Bourgeois, doyen de la Faculté de théologie de Lyon, en France. Ce théologien exprime un courant de pensée actuel important dans l'Église. Son enseignement ne paraît pas contraire aux dogmes définis sur la résurrection de la chair, mais on pourra diverger d'avis avec lui sur des points encore ouverts à la discussion.
Ainsi, dans le Feuillet biblique no 1057, nous avons exposé une vision plus classique de la résurrection des corps. En utilisant les arguments de la théologie antique et médiévale, nous avons expliqué ce qu'il faut entendre par le corps des ressuscités qui est incorruptible, impassible, agile et lumineux. À lire les Pères de l'Église, un moderne pourrait leur reprocher d'avoir une vision trop physique du corps. Par exemple, Jérôme commente Là il y aura des pleurs et des grincements de dents (Mt 8,12) : « S'il y a pleurs des yeux, si le grincement des dents montre l'existence des os, elle est donc vraie la résurrection des corps et de ces membres eux-mêmes qui sont tombés en poussière » (Sur Matthieu, Sources chrétiennes, p. 159). Les Pères de l'Église avaient pourtant une tendance naturelle à la spiritualisation et à l'abstraction, mais ils ont décrit la résurrection d'une façon réaliste presque matérialiste. La théologie doit se réconcilier avec ses racines!
Concluons que l'imagination humaine ne réussira jamais à cerner la richesse du « corps spirituel » à nous promis, ni les détails de cette vie de bonheur qui sera nôtre. Seule la confiance, dans la foi, peut nous faire entrevoir le projet éternel de Dieu et nous y préparer.
Membre de la Compagnie des prêres de Saint-Sulpice, Pierre Bougie est professeur au Grand séminaire de Montréal.
Source : Feuillet biblique 1074 (1983).