Apparition à Marie de Magdala. Rembrandt, 1651. Huile sur toile, 65 x 79 cm. Musée Herzog Anton Ulrich, Brunswick (Wikimedia).
Les récits de rencontre du Ressuscité
Jean-Yves Thériault | 17 novembre 2000
Jésus est ressuscité. Les Évangiles nous rapportent comment les disciples de Jésus l’ont rencontré et reconnu : Marie de Magdala et le jardinier qu'elle reconnaît au son de sa voix; les deux disciples d'Emmaüs et Jésus qui chemine avec eux en leur expliquant les Écritures et qu’ils reconnaîtront à la fraction du pain ; les disciples réunis à Jérusalem et Jésus qui montrent ses mains et ses pieds et qui mange avec eux ; Thomas et Jésus qui l’invite à voir et à toucher ses plaies ; Pierre et Jean et Jésus sur le bord du lac de Tibériade où ils partagent leur repas ensemble avant que Jésus ne retourne vers son Père ; Paul et Jésus sur le chemin de Damas. Question : Jésus s’est-il présenté physiquement à ses disciples, comme vous et moi pourrions nous rencontrer si nous nous donnions un rendez-vous?
La résurrection de Jésus n’est pas simplement la réanimation de son cadavre. C’est pour lui une autre manière de vivre, de nous être présent, d’être avec nous en ce monde.
Avant sa mort Jésus rencontrait ses disciples comme vous et moi pourrions aujourd’hui nous voir et nous parler. Après sa mort, c’est bien différent. Le mode de vie de Jésus est radicalement changé. Tous les récits que vous mentionnez expriment cette différence, chacun à sa manière. Relisez-les et vous verrez dans chacun des marques d’une difficulté à reconnaître Jésus devenu Seigneur: on ne le reconnaît pas à première vue, on doute de la réalité de celui qui apparaît, on éprouve une crainte mystérieuse, de l’effroi religieux, etc.. Ces détails du récit disent que Jésus n’est plus présent de la même manière. Ce sont des « apparitions » et non des rencontres physiques normales.
Ces récits insistent par ailleurs sur le fait que c’est bien Jésus, qu’il est vivant et présent d’une manière qui appelle une nouvelle manière de voir, une autre façon d’entendre les Écritures, une invitation à parler de lui, à l’annoncer. Désormais Jésus vit pleinement quand - et là où - les croyants font la fraction du pain comme les disciples d’Emmaüs; il est présent dans les assemblées que les disciples font pour prier et parler de leur Seigneur; Jésus renaît dans les premiers essais de prise de parole pour l’annoncer comme Christ et Sauveur, etc.
Bien sûr, les premiers témoins ont pu avoir des expériences privilégiées, plus sensibles que les nôtres, mais reste que la vie du Seigneur ressuscité se perçoit désormais avec les yeux de la foi : cette nouvelle forme de présence se découvre par ceux et celles qui le suivent, en refaisant ses gestes, en faisant référence à ses paroles, en scrutant les Écritures d’une manière nouvelle, etc.
Pour exprimer cette nouvelle forme de présence on dit que Jésus est ressuscité. Il n’est pas seulement réanimé comme le fut Lazare. Jésus ne revient pas à la vie comme Lazare au milieu des siens. Il se manifeste dans des expériences inédites que font les premiers disciples et qui leur font découvrir que Jésus est bien vivant et présent avec eux (à la fraction du pain, en parlant de lui, en se réunissant en son nom, etc.). Les « apparitions » sont des expériences particulières qui laissent voir un nouveau mode de présence du Seigneur ressuscité, aussi vrai mais moins sensible.
L’apparence de Jésus qui est décrite dans les récits dits d’apparitions n’est pas consistante car ces « signes » veulent orienter l’attention vers le nouveau mode de présence du Seigneur. Ces récits disent surtout que les disciples ont fait l’expérience d’une nouvelle présence surprenante de Jésus qui appelle un témoignage plutôt qu’un reportage.
Chaque récit serait à relire avec attention. Par exemple, vous dites que Marie de Magdala reconnaît Jésus au « son de sa voix »! Je dirais plutôt que c’est seulement après deux « retournements » (Jn 20,14.16) qu’elle entend vraiment le Seigneur qui se dit inaccessible au toucher. De même, quand les disciples d’Emmaüs le reconnaissent à la fraction du pain, il disparaît de leur vue, signifiant qu’il est présent selon un autre mode. Les trois récits faits par Luc (Ac 9,1-19; 22,6-16; 26,12-18) de l’apparition à Paul sont d’un genre différent : ils insistent sur le sens d’une expérience du ressuscité, expérience qui explique la vocation unique et extraordinaire de Paul.
Jean-Yves Thériault, exégète et sémioticien, est professeur retraité en études bibliques de l’Université du Québec à Rimouski.