(photos : Wikimedia)
Beth Shearim, la nécropole juive de Galilée 2/2
Robert David | 14 décembre 2020
L’un des intérêts d’une visite de la nécropole de Beth Shearim est de constater la variété des sépultures, le travail acharné des excavateurs qui ont creusé les galeries et celui des artistes qui ont décoré ces lieux de repos. Une précision d’abord sur la variété des sépultures. Les tombeaux trouvés dans les catacombes sont de quatre types :
1) Les sarcophages de pierre ou de marbre déposés dans une salle ;
2) Les tombes creusées dans le sol sur lesquelles on déposait une pierre pour la sceller ;
3) Les tombeaux en four (kokhim ou loculi) dans lesquels on glissait le corps du défunt dans le sens de la longueur. Il était souvent scellé par une pierre placée devant.
4) Les tombeaux en forme d’arcade (arcosolium) dans lesquels on déposait le corps dans le sens de la largeur.
En d’autres termes, les façons de se faire inhumer étaient nombreuses à Beth Shearim. Le corps pouvait être simplement déposés dans une fosse que l’on scellait avec une pierre. On pouvait aussi placer le corps dans un cercueil en pierre, en plomb ou en bois, que l’on déposait ensuite dans une fosse ou dans un arcosolium. Il était également possible de laisser le corps se décomposer pour ensuite placer les ossements dans un ossuaire, ou encore, disposer d’un sarcophage en pierre ou en marbre que l’on faisait décorer de divers motifs.
Entrée de la catacombe 14
Cette entrée dans l’une des grandes catacombes de Beth Shearim possède quelques caractéristiques qui existent ailleurs sur le site. Une cour extérieure a été dégagée devant. Trois arches ont été construites devant le roc de la montagne pour marquer l’entrée elle-même dans la catacombe.
Chose intéressante ici, l’arche de gauche indique la présence d’une toute petite porte. Celle-ci semble davantage avoir pour fonction de fournir de la lumière à l’intérieur. Il vaudrait mieux, dans ce cas, parler de fenêtre plutôt que de porte, même si sa construction répond aux mêmes critères que ceux des vraies portes.
Au centre, la porte double est fermée. Comme ailleurs, elle possède des montants sculptés, ainsi qu’un linteau relié aux montants par un cadre extérieur sculpté dans la pierre. La double porte possède les « pitons » caractéristiques, imitation des clous des portes en bois.
L’ouverture de droite, quant à elle, n’a jamais vu le jour. Son arche a été érigée, ainsi que les fausses colonnes de chaque côté, mais la montagne n’a pas été percée. Manque d’argent? Manque de temps? Difficile à dire. Une chose est sûre cependant, on a tenu à présenter une façade triple, même s’il manquait une ouverture.
Parmi les éléments intéressants à signaler en lien avec la catacombe 14, mentionnons la présence de quelques inscriptions fort instructives sur les personnes qui ont pris place ici pour l’éternité. Voici, à titre d’exemple, un échantillonnage de noms : rabbi Simon, rabbi Gamaliel (peut-être celui d’Actes 5,34 et 22,3), rabbi Hanina. À en croire cette liste impressionnante, on peut penser que nous sommes en présence des tombeaux de quelques-uns des plus illustres rabbins du premier siècle. Peut-être Juda ha-Nasi a-t-il sa tombe dans cette même catacombe. Pour un Juif pieux, ce lieu est aussi porteur de souvenir, d’histoire et d’émotions, que pour un chrétien de se retrouver dans la galerie des papes située sous la basilique Saint-Pierre à Rome.
La catacombe 20
La plus importante catacombe découverte à Beth Shearim est précédée d’une imposante cour à ciel ouvert (50 m de longueur). Cette cour a d’abord été creusée dans la montagne avant qu’on y ajoute des pierres de chaque côté des murs, donnant ainsi l’impression d’une construction autonome. On pénétrait dans la cour du côté Nord, par une première porte aménagée dans un mur de façade. Après avoir franchi les 50 mètres qui nous séparaient de l’entrée proprement dite de la catacombe, on y pénétrait pour y découvrir de multiples sarcophages (on en compte plusieurs centaines) diversement décorés et placés dans plusieurs pièces différentes creusées dans la montagne.
Sur la photo du haut, on voit également les restes de constructions, à droite de la cour et au-dessus. Certaines de ces constructions donnaient accès à d’autres entrées de catacombes. Celle au-dessus de la catacombe, en forme de gradins, avait possiblement une fonction publique. On croit que l’on s’y réunissait pour prier et pour pleurer les disparus.
L’entrée de la catacombe 20
On voit mieux ici les trois portes qui donnaient accès à l’intérieur de la catacombe. Les montants et les linteaux des portes sont sculptés directement dans le roc. On peut aussi l’apercevoir tout autour des ouvertures, les coups des ciseaux étant encore visible dans la pierre jaune. La décoration en fausses colonnes entre les ouvertures, les arcs qui les chapeautent et les murs extérieurs sont faits de pierres de calcaire. À gauche, un bassin de calcaire devait servir aux ablutions.
Si la porte centrale est la seule ouverte, il faut penser qu’à l’époque, les trois portes permettaient de pénétrer à l’intérieur des lieux. L’ouverture unique d’aujourd’hui vise à mieux contrôler les allées et venues des visiteurs.
Les sarcophages
Les sarcophages se comptent par milliers à Beth Shearim. La plupart ont été pillés, défoncés, possiblement au cours des premières décennies après la destruction de la ville. Les gens savaient que de riches familles avaient été enterrées ici, et ils espéraient s’enrichir des bijoux et autres objets précieux qui accompagnaient souvent les défunts. C’est possiblement pour cette raison que certains sarcophages portent des inscriptions précisant qu’il n’y a rien d’autre à l’intérieur que le corps du défunt, ou que l’on inscrit une malédiction à l’intention de quiconque violera le repos du défunt.
Le sarcophage aux lions
Celui que nous voyons ici a été trouvé dans la catacombe 20. Sa façade reproduit deux lions avec crinière, affairés à boire dans un vase. Le dessin, plutôt naïf, est incisé dans la pierre. De la peinture rouge a été appliquée dessus pour faire ressortir la crinière des deux bêtes. Il existe d’autres exemples de cette thématique des deux lions sur d’autres sarcophages, ainsi que d’autres figurations animales, qu’il s’agisse d’animaux domestiques, sauvages ou mythologiques. Les représentations animales et humaines montrent à quel point on était ouvert et tolérant, même dans un lieu aussi « sacré » que le repose de quelques-uns des plus grands rabbins de l’histoire.
Un sarcophage finement décoré
Vous voyez présentement sans doute l’un des plus beaux sarcophages trouvés à Beth Shearim. Il repose au fond de l’une des salles de la catacombe 20. L’artiste a fait preuve ici d’un talent exceptionnel, et d’un sens de l’équilibre assez remarquable. Si vous comparez ce sarcophage à celui que nous venons de voir, vous avouerez avec moi que nous avons affaire à deux niveaux d’exécution tout à fait différents. Ici, l’artiste ne s’est pas contenté de sculpter les parois du sarcophage, il a également tenu à décorer le couvercle de divers motifs géométriques et floraux.
Qu’y voyons-nous? Disons d’abord que la photo ne laisse pas apparaître les coins du couvercle. Ceux-ci avaient la forme de cornes, comme les autels à cornes retrouvés dans quelques sanctuaires cananéens et israélites de l’époque royale. Un motif apparenté à des fleurs de lotus décorait chacune des faces de chaque corne. Au centre, du côté long du couvercle, il a représenté un demi-cercle en forme de coquillage avec des rayons qui s’étendent d’un point vers l’extérieur. On pourrait penser ici à un lever de soleil dispersant ses rayons sur toute la voûte céleste. Le pourtour de ce demi-cercle est décoré d’une guirlande. Une frise, composée de carrés et de cercles qui alternent, délimite la partie inférieure du couvercle.
Le tableau principal, qui occupe plus de la moitié de la façade du sarcophage, nous met en présence de divers motifs. Tout autour du tableau, une guirlande entrecroisée. Dans le tableau lui-même, en commençant par la gauche, nous voyons : une niche surmontée d’un demi-cercle du même type que celui qui coiffe le couvercle du présent sarcophage. Un aigle se tient debout dans la niche, les ailes déployées vers le bas. Dans la frise du haut, déjà amorcée à gauche de la première niche, une guirlande d’ovales conduit à une scène qui met en présence deux lions, face à face, qui se disputent la tête d’un taureau. Sous le lion de droite, une rosace à côté de laquelle nous apercevons une deuxième niche, parallèle à celle de l’aigle, mais cette fois, c’est un lion qui occupe l’espace.
Il est possible que l’artiste n’ait pas eu le temps de terminer son travail. En effet, nous venons de voir qu’il avait sculpté une rosace. Or, juste à droite de la niche de l’aigle, on voit qu’il a commencé à sculpter une forme géométrique, mais le travail est à peine amorcé. L’artiste a-t-il dû quitter la région? Est-il mort pendant qu’il exécutait son travail? La famille du défunt a-t-elle manqué d’argent pour payer la suite du travail? Mystère. Quoi qu’il en soit, il reste que ce sarcophage montre à quel point on pouvait s’investir dans une œuvre vouée à rester dans l’ombre pour l’éternité.
En résumé, les sources archéologiques et littéraires ont révélé que la nécropole et la ville ont connu une période de construction intense aux 2e et 3e siècles. Beth Shearim fut un important lieu de sépulture pour les Juifs de tout le pays et pour ceux de la diaspora orientale. On y dénombre d’ailleurs 31 catacombes taillées dans le roc. Retenons également la grande variété de sépultures et la qualité d’exécution du travail des sculpteurs dans plusieurs salles des grottes accessibles au public.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.