Détails de l’obélisque noir (photo © Trustees of the British Museum)
Salmanasar III : premiers contacts entre l’Assyrie et Israël
Éric Bellavance | 12 octobre 2020
À la mort d’Aššurnasirpal II (883-859), l’Assyrie règne sur une bonne partie de la Mésopotamie. Et ce n’était que le début. Salmanasar III (858-824) poursuit l’œuvre de son père et avance de plus en plus profondément dans le nord de la Syrie. C’est à cette époque que le royaume d’Israël a ses premiers contacts avec l’Assyrie, qui lui seront éventuellement fatals.
Les Égyptiens voient d’un mauvais œil l’expansion assyrienne qui n’allait sûrement pas se limiter à la Syrie-Palestine (voir la carte plus bas). De plus, les Assyriens pouvaient porter un dur coup aux Égyptiens s’ils arrivaient à contrôler les routes commerciales et les ports de la côte méditerranéenne. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’alliance du pharaon Osorkon II (874-850) avec Byblos, Israël et certains royaumes araméens contre les Assyriens. Alliance risquée puisque la réputation des Assyriens était bien connue… À noter que le pharaon ne participe pas lui-même à la bataille, mais il envoie 1000 soldats. La coalition, formée d’une dizaine de royaumes affrontent les Assyriens à Qarqar, dans le nord de la Syrie. Parmi les rois présents, on retrouve le roi d’Israël, Achab (873-853) qui mène l’armée la plus imposante avec ses 2000 chars de guerre.
Achab est un personnage bien connu dans la Bible. Pour les mauvaises raisons…! On lui reproche d’avoir permis le culte du dieu Baal, l’ennemi du dieu d’Israël. Sa confrontation avec le prophète Élie est particulièrement intéressante – bien que plusieurs détails ne soient vraisemblablement pas historiques. Comme le fait que le prophète aurait tué, lui-même, 400 prophètes de Baal… Vous pouvez lire ce récit aux chapitres 17 et 18 du Premier livre des Rois (1 R 17-18). Par ailleurs, les auteurs bibliques, trop occupés à condamner le comportement religieux du roi, ne disent rien sur cette importante bataille.Détails de la stèle de la victoire de Quarqar (photo © Trustees of the British Museum)
Par chance pour nous, Salmanasar III a fait inscrire les détails de sa « grande victoire » sur une imposante stèle : « Je tuai 14 000 de leurs guerriers, fondant sur eux comme Adad lorsqu’il fait pleuvoir l’orage. Je répandis leurs cadavres partout et remplis la plaine de leurs soldats en fuite… La plaine était trop petite pour les enterrer. Avec leurs cadavres je remplis l’Oronte d’une rive à l’autre […] [1]. » J’ai mis grande victoire entre guillemets puisqu’il semble que le roi assyrien exagère un peu… Il est possible que son armée ait fait plusieurs victimes parmi les troupes de la coalition, mais les Assyriens ne prennent aucune ville importante. Ils retournent en Assyrie sans avoir fait de gain notable. Achab et ses alliés ont donc réussi à bloquer les Assyriens. Pour un temps, du moins… Parce que les Assyriens n’avaient pas dit leur dernier mot.
Salmanasar III revient à nouveau en Syrie-Palestine en 841 et s’attaque aux villes de Damas, Tyr, Sidon et Samarie, la capitale du royaume d’Israël. Il n’en prend aucune, cependant. Elles doivent toutefois payer un lourd tribut aux Assyriens. Certaines villes, de moindres envergures, sont pillées avant d’être détruites et incendiées. Les habitants sont tués ou faits prisonniers et déportés. Le célèbre « obélisque noir » du roi Salmanasar III mentionne cette campagne. Cette source historique importante, haute de deux mètres, relate les succès militaires du souverain jusqu’à sa 31e année de règne. On y retrouve cinq registres figuratifs, séparés par des bandeaux, qui occupent les quatre faces. Les quatre reliefs d’un même registre développent une même thématique, comme le confirme la bande-légende qui fait le tour du monument.
On retrouve un détail intéressant sur la stèle : la première et seule représentation d’un roi biblique. Il s’agit du roi Jéhu, bien connu dans la Bible (voir la photo du haut). Il a fait massacrer la famille royale du royaume d’Israël avant de prendre le pouvoir… Il s’en prend au culte de Baal et à ses prophètes, qu’il extermine en masse. Mais il a dû se soumettre aux Assyriens et accepte de leur payer un important tribut. On le voit sur la stèle, embrassant le sol devant les pieds de Salmanasar en signe de soumission. La représentation est accompagnée du texte suivant : « Tribut de Jéhu, fils d’Omri ; je reçus de lui de l’argent, de l’or, une jarre en or, un récipient zuqutu en or, des coupes en or, des vases à puiser en or, de 1’étain, un bâton pour la main du roi et des épieux (?) [2]. » Il est assez ironique qu’il soit qualifié de « fils d’Omri » puisqu’il a fait disparaître la dynastie fondée par Omri… Un détail qui a apparemment échappé aux Assyriens. Quoi qu’il en soit, le roi Jéhu accepte la domination assyrienne et sauve ainsi sa capitale de la destruction. Mais à quel prix! Le royaume d’Israël allait vivre sous domination assyrienne jusqu’à sa disparition, en 722 ou 721.
Dans les dernières années de règne de Salmanasar, une guerre civile éclate en Assyrie. Le royaume allait vivre des moments difficiles pendant un peu moins d’un siècle. Ce qui allait permettre aux peuples sous leur domination non pas de reprendre totalement leur indépendance, mais à tout le moins de prospérer sans continuellement craindre d’être envahi par les Assyriens. C’est le cas notamment du royaume d’Israël qui allait profiter de cette accalmie pour développer ses activités commerciales et devenir très prospère. À un point tel que les inégalités sociales deviennent de plus en plus importantes, une situation qu’allait dénoncer avec force le prophète Amos.
Celui que l’on qualifie de « prophète de la justice sociale » n’hésite pas à dénoncer et condamner les riches et puissants qui devaient pourtant prendre soin des moins bien nantis. À noter que c’est une situation similaire qui a mené aux troubles internes en Assyrie. La petite noblesse rurale proteste contre les riches et les puissants qui ont profité de l’essor économique et de l’expansion du territoire assyrien. Le prophète Amos, qui s’adresse à l’élite d’Israël, aurait très bien pu formuler un discours semblable contre l’élite assyrienne. Il condamne les juges et la corruption du système judiciaire en général :
Ils changent le droit en poison et jettent la justice par terre […] Ils détestent celui qui les reprend à la porte de la ville et ils ont en horreur celui qui parle sincèrement. Vous avez exploité le faible et vous avez prélevé du blé sur sa récolte; vous avez construit des maisons en pierres de taille, mais vous ne les habiterez pas; vous avez planté d’excellentes vignes, mais vous n’en boirez pas le vin. En effet, je le sais, vos crimes sont nombreux, vos péchés se sont multipliés. Vous opprimez le juste, vous recevez des pots-de-vin et vous violez le droit des pauvres à la porte de la ville. (TOB 2010 : Am 5,7.10-12)
Le prophète condamne aussi les dirigeants politiques et les marchands :
Ils se reposent sur des lits d’ivoire, ils sont vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux mis à l’engrais. Ils improvisent au son du luth, ils se croient habiles comme David sur les instruments de musique. Ils boivent le vin dans de larges coupes, ils ont recours à la meilleure huile, mais ils ne s’attristent pas de la ruine de Joseph (= le royaume d’Israël). C’est pourquoi ils partiront en exil en tête des prisonniers, et les cris de joie de ces paresseux cesseront. (TOB 2010 : Am 6,4-7)
Écoutez ceci, vous qui dévorez le pauvre et qui ruinez les malheureux du pays! Vous dites : « Quand le début du mois sera-t-il passé, afin que nous puissions vendre du blé? Quand finira le sabbat, afin que nous puissions ouvrir les greniers? Nous diminuerons la mesure, nous augmenterons le prix, nous falsifierons les balances pour tromper. Puis nous achèterons les faibles pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales, et nous vendrons le déchet du blé. » Yahvé l’a juré par la gloire de Jacob : « Je n’oublierai jamais aucun de leurs actes. » (TOB 2010 : Amos 8,4-7)
Puissant et percutant, n’est-ce pas? Sans parler des Assyriens directement, Amos suggère qu’ils seront de retour un jour ou l’autre. Et que le dieu d’Israël pourrait se servir d’eux pour punir son peuple. Le temps lui donnera raison. À suivre…
Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.
[1] George Roux, La Mésopotamie, Paris, Seuil, 1995, p. 341.
[2] Jacques Briend, « L’empire assyrien et Israël », dans : Le Monde de la Bible, Paris, Gallimard (Folio/Histoire), 1998, p. 172.
L’expansion assyrienne (Sacred Bridge : Carta’s Bible Atlas)