(photos : Wikimedia)
Beth Shearim, la nécropole juive de Galilée 1/2
Robert David | 9 novembre 2020
Beth Shearim ou la « maison des portes » n’est pas à proprement parler un site biblique. Situé à la limite Nord-Ouest de la plaine de Yizréel, son existence n’a été révélée au grand jour qu’en 1936 quand Benjamin Mazar y entreprit des fouilles pour le compte de la Jewish Palestine Exploration Society. Quelques saisons de fouilles, qui se poursuivirent jusqu’en 1958, permirent de mettre au jour une importante nécropole, certainement la plus importante après Jérusalem.
Pourquoi ce site est-il important pour la communauté juive? C’est que l’un des plus éminents rabbi, Juda ha-Nasi, le compilateur de la Mishnah, y vécut pendant quelques années et y fut enterré, de même que de nombreux notables de la communauté juive des 2e, 3e et 4e siècles. Le Sanhédrin y fut également installé pendant un certain temps. La maladie prenant le dessus sur Juda ha-Nasi, ce dernier décida d’aller vivre à Sepphoris où il mourut 17 ans plus tard. On vint l’enterrer à Beth Shearim, dans un tombeau qui avait été préparé à cet effet durant sa vie. Plusieurs familles riches y firent creuser leurs tombeaux, profitant de l’industrie mortuaire qui s’y était développée et où se concentrait quelques-uns des meilleurs sculpteurs de pierre du pays. Ajoutons que la renommée de la ville s’était aussi accrue parce que les Juifs ne pouvaient plus se faire enterrer à Jérusalem après qu’Hadrien ait interdit la ville aux Juifs.
Beth Shearim fut totalement détruite par l’un des généraux de l’empereur Constantin II en 351 alors qu’une rébellion juive fut réprimée. La ville tomba totalement dans l’oubli, à un point tel que la tradition voulut que rabbi ha-Nasi fut inhumé à Sepphoris. Nous savons cependant, par un écrit juif, qu’il fut bel et bien enterré ici.
Le site n’a donc pas eu une longue histoire. Sa renommée vient surtout de la présence de rabbi ha-Nasi, d’un bref séjour du Sanhédrin et du souvenir retrouvé des grandes familles juives de l’époque. Les découvertes archéologiques ont révélé un magnifique site, aujourd’hui incorporé dans un splendide jardin orné de cyprès, et couvrant environ deux acres.
Épitaphe en grec sur un mur : « Le tombeau d’Aidesios, chef du conseil des Anciens, d’Antioche. »
(ΑΨΙΣ ΑΙΔΕΣΙΟΥ ΓΕΡΟΥΣΙΑΡΧΟΥ ΑΝΤΙΟΧΕΩΣ)
On a retrouvé, dans les restes d’une partie de la ville, quelques édifices publics ainsi qu’une grande synagogue. Plusieurs phases de construction ont été identifiées. Toutefois, le principal intérêt du site réside dans les nombreuses catacombes retrouvées (près d’une trentaine), qui permettent d’apprécier l’art funéraire qui s’y est développé pendant plus de deux siècles. Autre aspect intéressant, l’étude des nombreuses inscriptions hébraïques, grecques ou palmyréniennes, retrouvées sur les tombes, et qui fournissent des informations précieuses sur les familles enterrées ici, sur leur provenance des quatre coins de la diaspora et parfois, sur leur statut social (chef de synagogue, fonctionnaires, artistes et marchands). On apprend, par ces inscriptions, que des responsables des communautés d’Antioche, de Tyr, de Sidon, de Beyrouth, de Byblos, de Palmyre, etc., ont trouvé ici le repos éternel, autre preuve de l’importance du lieu aux yeux de la communauté juive de l’époque.
Seules les grottes d’inhumation 13, 14 et 20 sont ouvertes au public. En réalité, presque toute la montagne, et celles qui l’environnent, forment comme un immense fromage gruyère. Certaines catacombes sont creusées directement à même la paroi de la montagne. D’autres étaient précédées d’un vestibule à ciel ouvert, ou d’un corridor, conduisant à l’entrée. Certaines possédaient même un mausolée, richement décoré, qui fut détruit avec le reste en 351.Un exemple de porte d’entrée
Plusieurs catacombes à Beth Shearim appartenaient à des familles particulières. Contrairement à certaines catacombes publiques richement ornées et embellies d’entrées monumentales, la plupart se contentaient d’aménager une simple porte dans la paroi de la montagne. Malgré son apparence modeste, cette porte reproduit le même style que celui utilisé pour les grandes catacombes, sauf que les décorations en fausses colonnes et en arcades sont absentes.
L’entrée possède deux montants sculptés avec cadre extérieur qui s’ajuste au linteau. Ce dernier possède souvent une inscription qui fournit l’identité de l’un des membres de la famille enterré à cet endroit. Le nom des autres membres est souvent inscrit à l’intérieur, soit sur le sarcophage lui-même, soit sur le mur derrière. La porte elle-même est sculptée dans la pierre et veut imiter le bois. C’est pour cette raison que toutes les portes affichent de petites protubérances qui reproduisent la forme de gros clous. La lumière aidant, on voit très bien ces « clous » répartis symétriquement sur toute la porte. Ici (voir la photo plus haut) nous avons affaire à une porte simple. Certaines grandes catacombes possèdent des portes simples et des portes doubles. Le nom de la ville, Beth Shearim (maison des portes), vient de la vue de ces portes qui décorent toute la paroi de la montagne.
L’intérieur d’une catacombe
La clarté caractérise le vestibule d’une catacombe. Et c’est normal dans la mesure où nous nous trouvons assez proche de la porte d’entrée qui laisse passer beaucoup de lumière diurne. La blancheur de la pierre aide également à la diffusion de la lumière. Dans les galeries plus profondes, et derrière les portes intérieures, on s’éclairait avec des lampes à l’huile déposées dans de petites cavités creusées dans les parois des salles. Encore là, la blancheur de la pierre aidait à répandre la lumière des petites mèches se consumant au bout des lampes.
Sur les murs des catacombes, il est fréquent de voir des bas-reliefs sculptés à même la pierre. Les thèmes les plus exploités sont souvent liés au domaine cultuel. On trouve, comme ici, des menorah, des représentations de l’arche de la loi, des shophars, des pelles à encens, etc. Quelquefois ce sont simplement des motifs géométriques, parfois des représentations animales, végétales ou humaines. On n’hésitait pas non plus à enjoliver l’entrée des diverses salles en sculptant des colonnes. Il arrive parfois que ces détails décoratifs soient très élaborés, du style colonne torsadée ou arche en ronde bosse.
Tout ceci a été creusé de mains d’hommes, sans dynamite ni machinerie lourde. Patient et minutieux travail dont il faut admirer l’ingéniosité et la diversité. Même certains sarcophages ont été sculptés sur place. Ils émergent de la pierre, donnent l’impression d’indépendance alors qu’ils sont fixés au sol à la base.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.