Icône du Christ pantocrator (détails) du monastère Sainte-Catherine (Wikimedia).

Au Dieu créateur – NT 6

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 25 avril 2022

Référence biblique : Colossiens 1, 12-20
Liturgie des Heures : Les jeudis à Vêpres

12Rendons grâce à Dieu le Père,+
lui qui nous a donné d'avoir part à l'héritage des saints,*
dans la lumière.

13 Nous arrachant à la puissance des ténèbres,+
il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé:*
14 en lui nous avons le rachat, le pardon des péchés.

15 Il est l'image du Dieu invisible,+
le premier-né, avant toute créature.*
16 en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre.

Les êtres visibles et invisibles,+
puissances, principautés, souverainetés, dominations,*
tout est créé par lui et pour lui.

17 Il est avant toute chose,
et tout subsiste en lui.

18 Il est aussi la tête du corps, la tête de l'Église:+
c'est lui le commencement, le premier-né d'entre les morts,*
afin qu'il ait en tout la primauté.

19 Car Dieu a jugé bon qu'habite en lui toute plénitude*
20 et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié,

faisant la paix par le sang de sa Croix,*
la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel.

Dans son contexte. À Colosses, la communauté chrétienne se trouve aux prises avec une pensée qui s’éloigne du message de saint Paul. Selon cette pensée, l’œuvre du salut en Christ ne serait pas tout à fait accomplie ; il faudrait y ajouter une démarche ascétique qui achèverait de nous libérer des réalités terrestres par l’intermédiaire de certains êtres célestes aux titres impressionnants : « puissances, principautés, souverainetés et dominations. »

Paul — ou l’un de ses disciples — commence sa lettre par une prière en faveur de la communauté afin qu’elle « progresse dans la vraie connaissance de Dieu. » (1,10) Il invite ensuite les fidèles à rendre grâce pour l’œuvre déjà accomplie en Jésus. En « nous arrachant au pouvoir des ténèbres, » écrit-il, Dieu « nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. » Notez les verbes au passé et au présent. L’auteur répond ainsi aux personnes qui doutent de la victoire déjà réalisée en Jésus. Il ne s’agit pas pour lui de compléter ce qui manque à l’action du Christ, mais d’en vivre pleinement.

Les versets suivants insistent sur la dimension universelle de l’œuvre de Jésus en nous présentant un Christ cosmique, origine et fin de toute chose. Ce développement s’articule en deux sections, la première (15-16) centrée sur l’œuvre créatrice du Christ, « premier-né de toute créature » et la seconde (18b-20), sur l’œuvre rédemptrice du ressuscité, « premier-né d’entre les morts ». Entre les deux, une transition (17-18a) rappelle que la primauté du Christ s’exerce sur tous les êtres créés, d’une part, et sur l’ensemble des fidèles — l’Église — d’autre part.  

Invitation à l’action de grâces, contemplation du Christ Seigneur, maître de la création, et célébration du Christ Sauveur, source de la paix : voilà en somme l’hymne NT 6 que nous propose la Liturgie des heures aux vêpres du jeudi soir.

Les racines juives. La littérature sapientielle qu’on retrouve dans les derniers livres de l’Ancien Testament exalte la vertu de la sagesse. Elle lui consacre de longues méditations et présente même des envolées où elle est personnifiée sous les traits d’une femme douée, intelligente et engagée. « C’est elle que j’ai aimée et recherchée depuis ma jeunesse, j’ai cherché à la prendre pour épouse, je suis devenu l’amant de sa beauté. » (Sagesse 8,2) On l’exalte comme la première de toute créature, en lui donnant voix : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre. » (Proverbes 8,22-23) Encore plus, elle est perçue comme « la respiration de la puissance de Dieu, l’émanation toute pure de la gloire du Souverain de l’univers […]  Elle est le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté […] Sans sortir d’elle-même, elle renouvelle l’univers. » (Sagesse 9,25-27)

Ces quelques versets aident à comprendre comment le courant sapientiel peut avoir donné à penser à saint Paul et ses disciples. Ils y ont puisé une vision cosmique qui correspondait à leur expérience de la puissance de la Résurrection et de l’intensité de leur vie nouvelle en Jésus. L’hymne aux Colossiens fait écho à cette pensée enracinée dans la spiritualité juive de l’époque.

Dans ma vie. J’admire le Jésus des évangiles, celui qui se fait proche des pauvres et des petits, qui relève l’humilié et qui s’engage en faveur de la justice, de la paix et de la joie. Je crois au message qu’il enseigne non seulement en paroles, mais en actes. Je veux imiter sa fidélité qui va jusqu’au don total. Mais comme je suis lâche! Je reconnais que je n’atteins pas à la hauteur de mes aspirations. Je renouvelle mes efforts tout en me désolant de mes faiblesses. Je me sens impuissant devant des forces ennemies qui surgissent en moi et autour de moi.

L’hymne aux Colossiens me rappelle que le Jésus des évangiles est aussi le Christ pantocrator, majestueux Seigneur du cosmos. De lui jaillit tout ce qui existe ; vers lui s’oriente tout l’univers, car il se révèle, comme l’affirme Teilhard de Chardin, le Point Omega de l’évolution. En lui, je suis élevé, purifié, renouvelé. C’est lui qui m’arrache aux puissances qui me retiennent et m’entraîne vers une vie nouvelle. Dans son humanité, il me révèle le chemin de la joie ; dans sa divinité, il m’y fait marcher.

Prier cette hymne m’unit à la foi de saint Paul et de ses disciples, à la foi de ces premières communautés chrétiennes qui, déjà, entrevoyaient la gloire du Christ. Ce regard mystique n’est pas facile pour moi, croyant du XXIe siècle. Mais en l’adoptant, je découvre la profondeur inouïe du mystère incarné en Jésus de Nazareth. L’homme des routes poussiéreuses de Galilée est aussi le Seigneur de l’univers !

Dans le plan de Dieu. La foi chrétienne est habitée par une tension insoluble qu’on nomme souvent le « déjà — pas encore ». L’hymne aux Colossiens penche du premier côté : déjà, nous avons part « à l’héritage des saints » ; déjà, nous sommes arrachés « au pouvoir des ténèbres » ; déjà, nous avons « la rédemption, le pardon des péchés ». Mais la finale de l’hymne laisse entendre que tout n’est pas encore réalisé. La vision d’un univers « enfin réconcilié » avec Dieu où règne la paix universelle est justement cela : une vision. Fantasme immature? Idéalisation infantile? L’auteur de cette hymne n’accepterait pas un tel jugement. Pour lui, l’expérience même de la puissance de la résurrection dans sa vie et dans la vie des communautés chrétiennes s’avère une preuve suffisante que ce qui est promis est déjà en train de s’accomplir.

Nous aussi, aujourd’hui, nous sommes habités par cette tension. Peut-être sommes-nous plus enclins à voir ce qui reste à faire et à nous lamenter sur ce qui n’est toujours pas réalisé. Le « pas encore » l’emporte souvent dans notre regard. L’hymne que nous chantons à vêpres les jeudis soir nous invite à contempler le « déjà » et à chanter ce que Dieu a accompli en nous et dans le monde par son Fils bien-aimé. Que cette contemplation et ce chant nous relancent dans nos engagements pour que se réalise le plan de Dieu afin que « tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié »!

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

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