Ruth et Boaz. Dante Gabriel Rossetti, circa 1865. Crayon et aquarelle avec grattage sur papier, 29,2 x 17,6 cm. Collection privée (Wikimedia).
3. Ruth et Boaz, un mariage qui promet
Martin Bellerose | 20 septembre 2021
Voici le dernier d’une série de trois articles sur le livre de Ruth. Le premier texte a traité de la condition de travailleuse migrante agricole, le second a abordé l’hospitalité de Boaz. Ici, il est question de l’union entre Ruth et Boaz qui est en elle-même une rencontre interculturelle. De cette rencontre interculturelle viendront un important symbole de l’identité juive, le roi David et de l’identité chrétienne, Jésus lui-même.
Le mariage comme hospitalité réciproque
Le vieil adage qui dit « qui prend mari prend pays » perd de son sens aujourd’hui. Ce dicton est parfois partiellement vrai lorsqu’un couple s’établit au pays de l’époux. Ce n’est évidemment pas toujours le cas. On sait aussi que lorsqu’on s’établit quelque part, rien ne garantit qu’on y restera de façon définitive.
Lorsque deux personnes forment un couple, peu importe où ils s’établiront, celui-ci devient un lieu d’échange et de rencontre interculturelle où les deux membres auront à s’accueillir culturellement. Celui ou celle qui est « dans son pays » n’a pas à imposer, dans le couple, les façons de faire de cette culture à l’autre membre qui a immigré. Le couple est un lieu d’accueil mutuel qui sert aussi de mécanisme d’intégration à la société en général.
Même pour les couples dont les époux viennent du même pays, les cultures régionales, familiales et la particularité des individus posent des défis à l’union et exige une hospitalité mutuelle, sans quoi le couple a peu de chance de survivre. Imaginez maintenant lorsque les époux proviennent de cultures différentes, ô combien cette hospitalité mutuelle est importante!
La Moabite qui s’intègre à la façon de Judah
Ruth la Moabite qui, rappelons-le, est la veuve de Malhôn, a décidé de suivre sa belle-mère et de l’accompagner dans son retour au pays d’origine. Elle a pris la décision de migrer sachant que les choses allaient être bien différentes que ce qu’elle a toujours connu. Pour survivre et soutenir économiquement sa belle-mère, elle a dû glaner dans le champ de Boaz. La vie est difficile pour deux veuves en Judah. Ruth et Noémie savent que là où elles habitent leur bien-être et leur sécurité dépend du fait qu’un homme soit avec elles. C’est l’une des fonctions du mariage en Judah. Ruth et Noémie sont-elles d’accord avec cette façon de faire? L’histoire ne le dit pas. Chose certaine, Noémie explique comment les choses fonctionnent en Judah : « Et maintenant, n’est-il pas notre parent, ce Boaz avec les domestiques de qui tu as été ? Le voici qui vanne l’orge sur l’aire cette nuit. Lave-toi donc, parfume-toi, mets ton manteau et descends sur l’aire. Mais ne te fais pas connaître de cet homme jusqu’à ce qu’il ait achevé de manger et de boire. » (Rt 3,2-3) Sachant où Boaz allait dormir, Ruth se coucha à ses pieds. Lorsque celui-ci découvrit qui dormait près de lui, il lui dit : « Bénie sois-tu du SEIGNEUR, ma fille. Tu as montré ta fidélité de façon encore plus heureuse cette fois-ci que la première, en ne courant pas après les garçons, pauvres ou riches. Maintenant donc, ma fille, n’aie pas peur. Tout ce que tu diras je le ferai pour toi. Car tout le monde chez nous sait bien que tu es une femme de valeur. » (Rt 3,10-11)
L’appréciation que Boaz a de Ruth tient pour beaucoup au fait qu’elle a su comprendre et agir selon la culture des juifs de Judah. Lorsque nous lisons le texte, les agissements de Ruth, pour nous qui sommes d’une autre culture, nous semblent étranges et il n’y a rien qui pourrait, dans son comportement, susciter une demande en mariage.
Mais avant tout cela, Noémi qui accueille sa belle-fille dans son pays d’origine a d’abord veillé au bien-être et à la félicité de celle qu’elle a accueillie chez elle. « Noémi sa belle-mère lui dit : “Ma fille, n’ai-je pas à chercher pour toi un état qui te rende heureuse ? ” » (Rt 3,1) Ce n’est qu’après cette attention portée à la femme immigrante qu’elle lui parlera des coutumes et mœurs de son pays d’accueil toujours, semble-t-il, dans le but de la guider dans sa quête du bonheur.
Ensuite, ce sera au tour de Boaz d’expliquer à Ruth « comment ça marche » le mariage d’une veuve en Judah (Rt 3,12). Le chapitre quatre du livre de Ruth nous indique comment on a réglé la question du rachat. « Ainsi en était-il autrefois en Israël, à propos du rachat et à propos de l’échange, pour enlever toute affaire : l’un ôtait sa sandale et la donnait à l’autre. Ainsi en était-il de l’attestation en Israël. Le racheteur dit donc à Boaz : « Acquiers pour toi ! » Et il ôta sa sandale. Alors Booz dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins aujourd’hui que j’acquiers de la main de Noémi tout ce qui était à Elimélek et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn, et que j’acquiers aussi pour moi comme femme Ruth la Moabite, la femme de Mahlôn, afin de relever le nom du défunt sur son patrimoine, pour que le nom du défunt ne soit effacé chez ses frères ni au tribunal de localité. Vous en êtes témoins aujourd’hui. » (Rt 4,7-10)
Cette description de la façon de faire en Judah qui commence par « Ainsi en était-il autrefois en Israël » montre bien l’importance accordée à la bonne compréhension des mœurs de cette culture dans laquelle Ruth a décidé vivre. Il serait très certainement plus confortable de comprendre ces récits comme obéissant à des règles « patriarcalistes » voulant que Ruth s’est tout simplement soumise à la loi des hommes d’Israël. C’est probablement le contraire. Elle a décidé d’avoir de l’importance et de l’influence dans cette société, elle y est crédible, on la reconnait comme une femme de valeur. Rien ne nous indique que Ruth ait renoncé à sa culture : elle arrive avec son bagage et s’intègre à une culture. Tout porte croire qu’elle a su conserver de ses façons de faire, de sa culture car on la compare à Tamar la bru du père de la tribu qui a su imposer ses façons de faire pour permettre une descendance à son beau-père. Je vous laisse le soin de lire cette histoire que l’on retrouve en Genèse 38.
L’identité juive de David fruit d’un mariage interculturel
Ainsi Ruth la Moabite s’est mariée avec Boaz qui lui-même est descendant d’une mère cananéenne, Rahab. De ces mariages interculturels naitra, quelques générations plus tard, le roi David qui deviendra lors de l’exil du peuple d’Israël à Babylone un important symbole de leur identité nationale. Le Seigneur Dieu s’est servi de ces mariages interculturels pour accomplir sa promesse et envoyé le messie dans le monde. Comme quoi il ne faut jamais oublier que ce que nous sommes comme peuple est le fruit de rencontres culturelles qui ont enrichi ce que nous sommes.
Martin Bellerose est professeur à l’Institut d’étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission.