La Porte de Damas (photo © Chrystian Boyer)

Enfin nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem !

Claire BurkelClaire Burkel | 3 février 2020

Les portes que l’on emprunte aujourd’hui sont celles qui font corps avec la muraille de 1536. Mais leur emplacement est déterminé par les rues sur lesquelles elles ouvrent et ces tracés ont peu changé depuis l’Antiquité. On peut donc affirmer que si l’aspect actuel des portes de Jérusalem n’est bien sûr pas celui qu’ont connu les prophètes ni Jésus et les apôtres, leur emplacement est le même. Sous l’actuelle porte de Damas, par exemple, on distingue très bien, en bas à gauche lorsqu’on est à l’extérieur, le petit arc muré piédroit de la porte romaine, qui donne le niveau de la rue à l’époque de Jésus, au Ier siècle.

carte de Jérusalem

Carte de la ville (illustration © CTS)

Porte de Damas

La Porte de Damas est tournée vers le nord, comme son nom l’indique. Face à elle, en dehors de la muraille, c’est la rue de Naplouse qui lui vaut en hébreu le nom de « porte de Sichem ». C’est aussi la plus importante en taille, la plus décorée et la plus explicite sur ce que représentait une porte de ville. De nombreux textes révèlent l’activité qui y régnait : Hamor et son fils Sichem allèrent à la porte de leur ville et parlèrent aux hommes de leur ville… ils furent écoutés par tous ceux qui franchissaient la porte de leur ville (Gn 34,20-24). La belle histoire de Ruth de Moab dont le dénouement va se jouer à la porte de Bethléem : Booz était monté à la porte, s’y était assis, quand son parent vint à passer… tout le peuple qui se tenait à la porte répondit « nous sommes témoins ! » (Rt 4,1-11) Cette phrase de Pr 22,22 : N’opprime pas à la porte le pauvre ; ou de Job : Ai-je agité la main contre un orphelin, me sachant soutenu à la porte? (Jb 31,21) Et encore : Accablés à la porte sans défenseur (Jb 5,4), indiquent que la porte représente un lieu de discussion, de prise de décisions comme le confirme Ps 127,5 : Quand ils débattent à la porte.

La porte est plus qu’un vantail sur ses gonds dans un mur, c’est le sas entre l’extérieur et l’intérieur. Les ventes et achats de bétail – on ne ferait pas entrer tout un troupeau en pleine ville ! – les transactions, les affaires publiques, les décisions envers les étrangers sont débattues aux portes, ou dans les portes, tant celles-ci sont parfois de taille importante : David était assis entre les deux portes (2 S 18,24), David monta dans la chambre supérieure de la porte (2 S 19,1), événements qui nous renseignent sur la fuite de David jusque dans une ville d’outre-Jourdain. Il est amusant de voir « dans » la porte de Damas des changeurs, banquiers et petits commerçants qui poursuivent aujourd’hui cette tradition.

Porte de Sion

La Porte de Sion (photo © J.-S. Rey)

Porte de Sion

À l’opposé au sud de la ville, plus petite mais avec le même angle de chicane, la porte de Sion inchangée depuis 1536, ouvre sur un quartier extérieur qui était inclus, à l’époque de Jésus, dans les murs de la ville. La porte est simple, mais son angle est si étroit que beaucoup de véhicules modernes ne peuvent l’emprunter. Dans l’Antiquité, une entrée se faisait rarement en ligne droite afin de mettre en difficulté, ou en situation de fragilité, celui qui voulait entrer. Était-ce un agresseur? Il devait alors découvrir, en tournant à gauche, son bras droit, celui qui tenait l’épée, le bras gauche portant le bouclier. Un étranger? On attendait de voir ce qu’il avait à dire. Pour une défense efficace, la chicane pouvait être double, un vrai zigzag, et était souvent augmentée de casemates, petites salles abritant armement et défenseurs, construites comme des tenailles de chaque côté du trajet d’entrée. On en voit la présence dans les ruines de Dan ou de Beer Sheva.

Porte de Jaffa

La Porte de Jaffa (photo © Chrystian Boyer)

Porte de Jaffa

Montant de la vallée de la Géhenne, cette porte à l’origine en chicane fut défigurée en 1898 pour permettre l’entrée solennelle du Kaiser Guillaume II à cheval suivi d’un cortège de voitures. Une portion de mur fut abattue, des douves comblées et la chicane ne sert plus aujourd’hui qu’aux piétons puisque les véhicules modernes peuvent pénétrer par cette large ouverture côté ouest. Elle est désignée en arabe : porte « de l’ami » car elle regarde bien vers la côte, mais aussi vers le sud et la direction d’Hébron, la ville de prédilection du patriarche, l’ami de Dieu. Un cartouche en arabe apposé à gauche de l’entrée invite à y penser : « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah et Ibrahim est son ami », ce qui est mentionné deux fois dans la Bible : Toi Israël mon serviteur, Jacob que j’ai choisi, race d’Abraham mon ami (Is 41,8); l’apôtre Jacques en fait une synthèse dans sa lettre : Abraham crut à Dieu, cela lui fut compté comme justice et il fut appelé ami de Dieu (Jc 2,23).

Porte Saint-Étienne

La Porte Saint-Étienne (photo © A. Mantel)

Porte Saint-Étienne

La seule porte ouvrant à l’est est de facture simple, sans chicane ni tenailles, mais dotée de plusieurs noms. Celui du premier martyr de l’Église car, selon une tradition, il aurait été lapidé à cet endroit, mais le lieu n’est pas précisé dans le livre des Actes : Ils le poussèrent hors de la ville et se mirent à le lapider (7,58). On sait maintenant que c’était à la porte nord, de Damas donc, mais que l’on a fait tourner d’un quart de cercle sa nomination. Porte « des lions », eu égard aux deux beaux modillons sculptés offrant leur profil de chaque côté de l’arc ottoman de la porte. Porte « de sainte Marie » depuis la rédaction des évangiles apocryphes qui faisaient résider Marie et ses parents à proximité du temple de Jérusalem ; c’est aussi pourquoi l’église la plus proche à quelques pas de la porte est dédiée à sainte Anne sa mère. Enfin « des brebis » car, jouxtant le parvis du temple, c’est par elle qu’entraient les bêtes pour être sacrifiées. Elles étaient ensuite parquées, lavées grâce aux réservoirs d’eau de Bethesda avant d’être conduites sur les autels.

Jésus, en entrant par cette porte, accomplit l’Écriture : En ce jour-là ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l’orient (Za 14,3). Le pèlerin aura à cœur de suivre le Christ en provenance de Jéricho, sa dernière étape avant d’aborder Jérusalem, et de monter lui aussi depuis le Cédron jusqu’à la porte qui mène à l’angle nord-est du temple. Ouvrant son ministère en passant les gués du Jourdain, lors du baptême de Jean, qui le désigne comme l’Agneau de Dieu (voir Jn 1,29.36), Jésus le termine en franchissant la porte orientale de la ville, prenant le chemin des agneaux que l’on sacrifie : Comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche (Is 53,7).

Le seuil de la porte

Le seuil de la porte (photo © Stanislao Lee / CTS)

Porte d’Ephraïm

Une dernière porte reste à franchir, celle du portement de croix. Le couvent russe Saint-Alexandre-Nevski garde en son sous-sol un ensemble daté de la reconstruction d’Hadrien en 135 : une portion de mur, un arc de triomphe, un escalier et un seuil de porte. Ce monastère est lui-même construit le long de l’ancien atrium édifié par Constantin, première partie de l’immense basilique du Golgotha et de la Résurrection. Deux époques différentes donc et bien postérieures à l’évangile, mais sur l’emplacement, aujourd’hui complètement effacé, de ce que mentionne l’Écriture : Ils le mènent dehors afin de le crucifier et ils requièrent pour porter sa croix, Simon de Cyrène... qui revenait des champs. Et ils amènent Jésus au lieu-dit Golgotha (Mc 15,20-22). On peut se reporter à la maquette de la Jérusalem du Ier siècle exposée au Musée d’Israël ; on y voit la plus petite porte offrant à l’ouest une sortie de la ville vers un terrain délaissé, non construit.

Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.

Source : Terre Sainte magazine 659 (2019) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Caravane

Caravane

Initiée par Chrystian Boyer, cette chronique a été ensuite partagée par plusieurs chroniqueurs. Messieurs Boyer et Doane livrent leur carnet de voyage en Terre Sainte. Ensuite, une série d’articles met en scène un personnage fictif du premier siècle qui raconte ses voyages dans les villes où saint Paul a entrepris ses voyages missionnaires. Et plus récemment, la rubrique est alimentée grâce à une collaboration de Terre Sainte magazine.