La porte de Jaffa (photo © Chrystian Boyer)
Les portes de Jérusalem
Chrystian Boyer | 25 avril 2008
Huit portes percent les murailles de la vieille ville de Jérusalem. Six de ces huit portes, tout comme les murailles, ont été érigées par le sultan ottoman Soliman le Magnifique, au XVIe siècle de notre ère. Néanmoins chaque porte a son histoire et ses particularités, chacune son propre nom, ou plutôt, ses noms, car chaque porte collectionne les désignations que lui donnent ceux qui la franchissent. Je vous propose un petit tour extérieur de la vieille ville de Jérusalem en s’arrêtant à chacune de ses portes.
La porte de Jaffa est souvent la première porte que franchissent les visiteurs qui se rendent directement à la vieille ville de Jérusalem après leur arrivée à l’aéroport Ben Gurion. Seule porte percée dans le mur occidental de la vieille ville de Jérusalem, elle est donc aussi la plus empruntée par les juifs qui se rendent au mur des Lamentations à partir de Jérusalem-Ouest, c’est-à-dire la Jérusalem juive moderne. La porte donne sur une place où se rejoignent le quartier chrétien, au Nord, et le quartier arménien, au Sud, et où se trouvent plusieurs auberges, cafés Internet et boutiques. Elle ouvre la vieille ville en direction d’Hébron, comme son nom arabe l’indique (el-Khalil), mais aussi en direction du port antique de Jaffa, d’où le nom que lui préférèrent les autorités britanniques et les immigrants juifs au début du XXe siècle.
Le tracé actuel de la muraille qui entoure la vieille ville de Jérusalem ne coïncide avec celui du Ier siècle de notre ère que sur quelques courtes sections. La porte de Jaffa date de l’époque de Soliman le Magnifique (comme c’est le cas de six des huit portes et de la muraille), mais est située à peu près à l’emplacement d’une porte qui existait à l’époque de Jésus. Tout près de la porte de Jaffa se trouve d’ailleurs les restes du palais d’Hérode, appelé la Citadelle, lieu de résidence vraisemblable de Pilate à Jérusalem (Mc 15,16), aujourd’hui transformé en un musée sur l’histoire de la ville.
La porte Neuve (photo © Chrystian Boyer)
En longeant la muraille vers le nord, on arrive à la porte Neuve, la plus récente. Celle-ci a été érigée à la fin du XIXe siècle à la demande d’un ambassadeur français à Constantinople pour permettre un point de communication entre la vieille ville et les institutions françaises du secteur, notamment le centre Notre-Dame de France, où les pèlerins français logeaient. À cette époque, les chrétiens d’Europe avaient fait l’acquisition de plusieurs terrains à proximité de la ville sainte où ils avaient fondé diverses institutions dont l’hôpital Saint-Louis de France et l’École biblique et archéologique française. La porte Neuve, trouée dans la muraille nord, donne directement sur le quartier chrétien de la vieille ville.
La porte de Damas (photo © Chrystian Boyer)
En se dirigeant vers l’Est, on tombe sur la place Musrara, cœur de Jérusalem-Est, tout près de laquelle se trouve la porte de Damas, de loin la plus animée. Sur la petite esplanade devant la porte se tient chaque jour un marché populaire toujours bondé de monde et qui se prolonge à l’intérieur de la vieille ville.
La porte de Damas est la seule porte qui a été l’objet de fouilles archéologiques. La porte actuelle date de l’époque de Soliman le Magnifique, mais les archéologues ont retrouvé les vestiges d’une porte bien plus ancienne datant de l’époque de l’empereur Hadrien, au IIe siècle de notre ère, alors que Jérusalem avait été rasée et renommée Aelia Capitolina.
La porte de Damas tire évidemment son nom de la ville vers laquelle elle s’ouvre, et c’est pour la même raison que les juifs l’appellent plutôt la porte de Sichem. Les Arabes l’appellent Bab el-Amoud, c’est-à-dire « la porte de la Colonne ». On a compris l’origine de cette désignation lorsqu’a été découverte en Jordanie la célèbre « carte de Madaba », une mosaïque du VIe siècle de notre ère sur laquelle Jérusalem est illustrée. On y voit que la porte de Damas donnait sur une place au centre de laquelle se trouvait... une colonne. La colonne n’existe plus, mais le nom arabe de la porte en a gardé la trace pendant tout ce temps.La porte d’Hérode (photo © Chrystian Boyer)
Plus à l’est encore, proche du musée Rockefeller, la porte d’Hérode doit son nom aux pèlerins chrétiens du XVIe siècle qui identifiaient (à tort) une maison mamelouke non loin de là à la résidence d’Hérode Antipas où Jésus aurait comparu (Lc 23,7-12). Son nom officiel, celui que lui a donné Soliman le Magnifique son bâtisseur, est « porte des Fleurs » et c’est ainsi qu’elle est désignée par les habitants de Jérusalem-Est qui la fréquentent principalement. Elle donne accès à la vieille ville par le quartier musulman. Peu fréquentée par les touristes, elle garde une atmosphère locale plus affirmée que les autres, me semble-t-il. À l’intérieur, sur la petite place où de vieux Arabes passent des heures devant un grand verre de thé à jouer au backgammon tout en fumant le narguileh, la pipe à eau (les Arabes disent « boire » le narguileh), les écoliers arabes en uniformes font la file devant le marchand de bonbons.
La porte des Lions (photo © A. Mantel)
La porte des Lions est la seule porte qui permet d’entrer dans la vieille ville de Jérusalem par la muraille orientale. On y accède par la vallée du Cédron. C’est par cette porte que les Israéliens pénétrèrent dans la ville lors de la guerre des Six Jours en juin 1967. Son nom officiel est « porte du Jourdain », mais elle est mieux connue sous son nom hébraïque « porte des Lions », qui fait référence aux lions sculptés en bas reliefs de chaque côté de la porte (emblèmes du sultan mamelouk Baïbars qui fut en grande partie responsable de la chute du royaume latin de Jérusalem). Selon une légende, ces lions représenteraient ceux qui seraient apparus en rêve à Soliman afin de lui ordonner de construire les remparts de la ville. En arabe, la porte se nomme plutôt « porte des Tribus », peut-être en référence aux tribus bédouines qui résidaient à l’Est de Jérusalem et qui accédaient à la ville par cette porte, ou encore « porte de Dame Marie » en référence à la maison des parents de la mère de Jésus qu’une tradition situe à proximité. Cette porte est souvent désignée par les chrétiens « porte Saint-Étienne », bien que jusqu’au XIVe siècle ce nom était réservé à la porte de Damas, plus proche du lieu traditionnel de la mort de ce premier martyr chrétien. C’est près de cette porte que sont situés l’église Sainte-Anne (la piscine de Bethesda, Jn 5,2), le couvent des Sœurs de Sion (l’Ecce Homo) et le couvent franciscain de la Flagellation (début de la Via Dolorosa).
La porte Dorée (photo © A. Mantel)
Il y a cependant une seconde porte dans la muraille orientale : la monumentale porte Dorée, située un peu plus au sud, en face du mont des Oliviers. Si on pouvait la franchir, elle donnerait directement accès à l’esplanade du Temple (ou des Mosquées), la grande terrasse où était situé le temple construit par Hérode. Mais elle est murée, et selon la légende elle ne se rouvrira qu’à la fin des temps. Cette porte, devant laquelle se trouve le plus vieux cimetière musulman de Jérusalem, non loin du plus vieux cimetière juif, est en effet fortement associée aux temps derniers et à la résurrection des morts (voir Le mont des Oliviers). Elle est d’ailleurs appelée, en arabe comme en hébreu, « porte de la Miséricorde ». Le nom « porte Dorée » résulte quant à lui d’une confusion linguistique : la tradition chrétienne ayant identifiée cette porte avec la « Belle Porte » du récit de la guérison de l’infirme par Pierre (Ac 3,1-10), on a éventuellement confondu le terme grec horaia (« Belle ») et le terme latin aurea (« Dorée »).
La porte actuelle date vraisemblablement de l’époque omeyyade (VIIe s.) et elle a été érigée au dessus d’une autre porte encore plus ancienne découverte récemment. Cette porte ancienne n’a pas encore fait l’objet de fouilles archéologiques en raison de sa proximité avec le cimetière musulman, mais ce serait celle-là qu’auraient empruntée Jésus et ses disciples lors de l’« entrée des Rameaux » s’ils sont passés par le mont des Oliviers comme le rapportent les évangiles (Mc 11,1-11 et par.).
La porte des Maghrébins (photo :© Chrystian Boyer)
La porte des Maghrébins est percée dans la muraille sud de Jérusalem. Elle donne sur le quartier juif de la vieille ville et sur le mur des Lamentations. En raison des risques d’attentats terroristes, un poste de contrôle a été érigé tout juste de l’autre coté de la porte; tous ceux qui se rendent au mur des Lamentations doivent passer par une fouille et des détecteurs de métaux.
La porte tire son nom du quartier de la vieille ville où des musulmans issus du Maghreb s’étaient installés au XVIe siècle. Les juifs l’appellent « porte des Immondices » ou « porte du Fumier » en référence à une des portes du rempart construit par Néhémie (Ne 2,13; 3,13-14). Tout juste au sud se trouve le village arabe de Silwan et le site archéologique de la Cité de David.
La porte de Sion (photo © J.-S. Rey)
La porte de Sion, la plus méridionale, donne sur le quartier arménien de la vieille ville de Jérusalem. Les trous et brisures causés par des projectiles d’armes à feu témoignent de la violence de la première guerre israélo-arabe (1948-1949) faisant suite à la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël.
La porte tire son nom de la montagne sur laquelle se trouve cette partie de la ville et qui fut appelée « montagne de Sion » à partir du IVe siècle de notre ère (malgré 2 S 5,6-9 qui situe Sion plus à l’Est). C’est là qu’aurait été enterré le roi David, selon la légende. La porte de Sion est d’ailleurs aussi désignée « porte du prophète David » en arabe. Non loin de là, à l’extérieur des murailles, on peut visiter un cénotaphe désigné comme le tombeau de David, situé dans le même bâtiment que le Cénacle, une salle que la tradition chrétienne identifie comme le lieu du dernier repas de Jésus (Mc 14,12-28 par.). À proximité se trouvent aussi l’Abbaye de la Dormition, où la Vierge Marie repose dans un sommeil éternel, et Saint-Pierre-en-Gallicante, une église qui serait située sur la demeure du grand prêtre Caïphe où Jésus fut conduit après son arrestation (Mc 14,53) et où Pierre l’a renié (Mc 14,66-72). Évidemment, ces identifications reposent bien moins sur l’historicité que sur l'attachement religieux à la ville sainte et ses environs.
Chrystian Boyer est historien et détient une maîtrise en études bibliques de l’Université du Québec à Montréal.