(photos © MAB / CTS)

Prendre le temps à l’école de Nazareth

Claire BurkelClaire Burkel | 3 février 2020

Nazareth mérite qu’on prenne le temps de la découvrir. Dans une unité de lieu, elle recèle mille détails qui portent à la méditation.

Une ville dont on a si peu parlé

Si les fouilles ont révélé des traces d’habitat à Nazareth dès le Néolithique vers 6000 avant notre ère, il n’est cependant fait aucune mention dans l’Ancien Testament du village de Jésus, raison de l’étonnement du juif Nathanaël, bon connaisseur et respectueux des Écritures : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1,46). En 67 de notre ère, la ville, qui comptait entre 50 et 100 maisons, est totalement détruite par l’armée romaine au cours de la Guerre juive naissant en Galilée. Plus tard un certain diacre Conon, martyr en Pamphylie en 249, affirmait : « Je viens de Nazareth en Galilée, j’appartiens à la famille du Christ qui y est vénérée depuis le temps de mes ancêtres. » L’évêque Eusèbe le cite au IVe siècle.

C’est en 470 qu’est érigée une première église à trois nefs et abside « sur la maison de Marie », semi-troglodyte, reconnue traditionnellement comme le lieu de l’Annonciation ; détruite en 614 par les Perses, comme en témoigne l’évêque gaulois Arculfe, pèlerin en 670, sur les maisons de Joseph et de Marie. Le croisé Tancrède, compagnon de la première heure de Godefroy de Bouillon, « prince de Galilée », construit en 1100 sur des fondations byzantines une église plus grande, où prie Louis IX le 25 mars 1254 ; elle est rasée en 1263 et la ville est entièrement détruite en 1291 après la cuisante défaite du royaume latin à Saint-Jean d’Acre.

En 1731 les franciscains élèvent une nouvelle église au-dessus des précédentes, où on note le passage le 17 avril 1799 du général Bonaparte. En 1894, Pierre Loti voit là « une bourgade mélancolique, étagée à mi-côte, enfermée, presque sans vue, dominée de partout par des hauteurs pierreuses ». De mars 1897 à août 1900, Charles de Foucauld, à la recherche de sa vocation, séjourne chez les sœurs clarisses installées dans la ville depuis le 25 juin 1884. Bien que leur couvent ait changé d’emplacement, les actuelles clarisses en maintiennent le souvenir.

grotte à Nazareth

Vue de l’intérieur, une des grottes qui servait d’habitat à l’époque de Jésus, toute proche de la grotte mariale..

De nombreux musulmans fuyant la guerre arabo-israélienne en 1947-1948 se réfugient à Nazareth, qui était alors majoritairement chrétienne. L’église du XVIIIe siècle, trop petite, est démolie en 1955 et rebâtie sur deux niveaux, toujours au-dessus de la grotte mariale. À cette occasion on retrouve des pavements byzantins. Consacrée en 1969, elle reçoit la visite de Jean-Paul II le 25 mars 2000 : « Nous rencontrons ici Marie, la plus authentique des filles d’Abraham, Marie qui peut nous enseigner ce que c’est que vivre la foi. »

Un mystère d’humilité

Notre visite commencera par la basilique et ses trois niveaux : byzantin juste devant la grotte, croisé, et moderne, lui-même sur deux étages, le sommet étant en forme de tente : « La nuée couvrit la tente du rendez-vous et la gloire du Seigneur emplit la demeure. » (Ex 30, 34-35) L’évangéliste Jean reprendra cette tradition au début de son évangile : « Il a habité parmi nous » (Jn 1,14), en grec « il a planté sa tente parmi nous ».

Restons un moment devant la façade monumentale portant en bas-relief les deux personnages de l’Annonciation et deux citations annonçant le mystère : « Il t’atteindra à la tête et tu l’atteindras au talon » (voir Gn 3,15) ; c’est le protévangile, la première bonne nouvelle portée au monde. Certes le serpent piquera sans cesse le talon de l’humanité, mais le fils de la femme vaincra en atteignant sa tête, donc une issue mortelle. Le prophète Isaïe ajoute : « La vierge va enfanter un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel. » (Is 7,14) Ce qui mène à la vénération de la grotte au plus bas de l’édifice : Verbum caro hic factum est. On le voit aux tracés des absides et nefs, les églises, byzantine comme croisée et actuelle, sont orientées, c’est-à-dire dirigées vers l’est, Christ étant le vrai soleil levant. Les architectes n’ont pas placé le chœur vers la grotte de Marie ; sa place est d’être à côté de son fils, comme elle l’est au pied de la Croix (voir Jn 19,25-27).

tapis de mosaïque

Joli tapis de mosaïque byzantine conservé aux abords de la basilique..

Après un temps de silence dans la partie basse, volontairement sombre pour rendre compte de l’humilité de Marie et de la « vie cachée » du Seigneur, on voit, en remontant, les traces des deux édifices précédents, notamment des mosaïques byzantines à droite de l’escalier.

En sortant de la basilique, demandez l’ouverture du musée à la boutique qui se trouve en face ; une visite à ne pas manquer, qui prend 30 minutes et comporte des éléments précieux. Le guide fait passer par des grottes à l’air libre qui donnent une idée de l’habitat antique. La grotte de l’Annonciation étant plus difficile à comprendre tant elle est surchargée de monuments, on retrouve ici plus de naturel.

grafitti

Un graffiti de touchante dévotion : « réjouis-toi Marie », selon la parole de l’ange à Marie.

À l’intérieur du musée, on bénéficie d’abord d’un plan, près de la porte d’entrée qui, en quatre couleurs, rend très bien compte des différentes étapes de construction de la basilique et des autres monuments du village, depuis l’événement de l’Annonciation jusqu’à l’état actuel. Parmi les pièces exposées on remarquera quelques graffiti de grande valeur : le « Χε ΜΑΡΙΑ » pour Χαιρε Μαρια, (« réjouis-toi Marie » ou la salutation de l’Ange en Lc 1,26-38), un autre en arménien « belle jeune fille », un troisième en grec « sur le lieu saint de Marie j’ai écrit », et un personnage portant une croix. De factures maladroites ces traces de foi dans la pierre blanche sont émouvantes.

chapiteau

Chapiteau sculpté où figurent Jésus et Thomas.

De l’époque croisée, cinq chapiteaux sculptés d’école bourguignonne du XIIe siècle, mais qui n’ont jamais été posés, l’église ayant été détruite avant son achèvement, et ont été dissimulés et mis à l’abri de 1187 à 1908 ! Les motifs sont à hauteur d’yeux, tout neufs comme à peine sortis du ciseau de l’artiste. On voit Jésus montrant son côté à Thomas (Jn 20,27-29), Pierre marchant sur l’eau (Mt 14,28-32) puis ressuscitant Tabitha (Ac 9,36-42), l’Église menant un apôtre que le démon cherche à saisir, des scènes tirées d’évangiles apocryphes sur Jacques le Majeur et Matthieu en Abyssinie.

De Marie à l’Église

Puis l’on rejoint par l’extérieur le dernier étage de la basilique, beaucoup plus éclairé et décoré sur le thème de l’Église apostolique fondée sur l’annonce à Marie et son fiat. Les vitraux sont du verrier français Max Ingrand.

En montant vers le nord il est bon de faire halte dans le petit espace circulaire, en plein air, consacré à la sainte Famille : des bronzes de Joseph, Marie et Jésus enfant, permettent de méditer sur les pages de Luc 1-2. Ce qu’a fait Paul VI, venu là en 1964 : « Nazareth est l’école où l’on commence à comprendre la vie de Jésus, l’école de l’Évangile. Ici on apprend à regarder, à écouter, à méditer. »

chapiteau

Baptistère permettant le rite par immersion.

On arrive enfin à l’église Saint-Joseph, construction du XIXe dont le principal intérêt est d’abriter un riche sous-sol. Du village d’origine bâti sur le roc, les fouilles franciscaines ont mis au jour des installations agricoles : pressoirs à vin et huile, silos, fours, citernes, celliers à raisin ou olives, bassins, attaches d’animaux, qui dénoncent la présence d’étables, dépôts de jarres – au sein d’un vaste réseau sous le sanctuaire, visible grâce à des regards bien éclairés. Au même niveau que celui du village de l’époque de Jésus, mais bien dégagé, un baptistère du Ier siècle : sept marches taillées dans le roc aboutissant à un petit bassin rectangulaire pavé de mosaïques bicolores : six rectangles blancs et une dalle noire insérée qui figure le rocher du désert d’où Moïse a fait jaillir de l’eau fraîche pour que le peuple s’abreuve (Ex 17,1-7 et Nb 20,1-13).  Paul en a tiré un midrash : « Ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait, ce rocher c’était le Christ » (1 Co 10,4), repris dans une catéchèse baptismale de Cyrille de Jérusalem, évêque en 350. On a donc là un témoignage de la pratique judéo-chrétienne la plus ancienne ajustée aux textes. Les symboles sont forts, un des lieux les plus sensibles de la foi et de la liturgie.

Une ravine séparait le village, la rue descendante en garde la trace, et l’autre partie se trouve sous l’hôtellerie actuelle des Dames de Nazareth, c’est-à-dire sur le même plan que le village sous la basilique et l’église Saint-Joseph : plusieurs maisons, une nécropole et la « tombe du Juste » qui serait peut-être celle de Joseph – aucune certitude mais en tous cas un très bel, et rare, exemple de tombe à pierre roulée.

Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.

Source : Terre Sainte magazine 657 (2018) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Caravane

Caravane

Initiée par Chrystian Boyer, cette chronique a été ensuite partagée par plusieurs chroniqueurs. Messieurs Boyer et Doane livrent leur carnet de voyage en Terre Sainte. Ensuite, une série d’articles met en scène un personnage fictif du premier siècle qui raconte ses voyages dans les villes où saint Paul a entrepris ses voyages missionnaires. Et plus récemment, la rubrique est alimentée grâce à une collaboration de Terre Sainte magazine.