La vision de saint Pierre. Domenico Fetti, 1619. Huile sur bois, 66 x 51 cm. Musée d’histoire de l’art, Vienne (Wikipedia).

5. Invitation de Pierre à Césarée

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 23 janvier 2023

Rappel : La rencontre de Claudius et le récit de sa rencontre avec le rabbi de Nazareth ont profondément intéressé Cornelius. Il va chercher à mieux connaître ce Jésus que certains décrivent comme le Prophète attendu.

Sans se laisser déstabiliser par la réaction de sa sœur, Cornelius reprend le fil de son récit.

Merci Flavia ! dit Cornelius. Tu étais ma confidente durant nos années de jeunesse. Je ne vais pas vous cacher aujourd’hui, ni à toi ni à ton mari, ce qui a bouleversé ma vie et celle d'Aurélia. Mais je vous avoue que je suis hésitant, ne sachant pas si vous allez saisir ce qui nous est arrivé… Rappelez-vous de ce que j’ai dit au sujet de ce Jésus. Après le départ de Claudius, je me suis intéressé à lui. Josaphat, mon fidèle serviteur le connaissait et m’a fait découvrir son visage et l’essentiel de son enseignement. J’étais profondément marqué par les paroles que j’entendais, prenant en même temps conscience de l’inévitable opposition qui s’était dressée contre lui. Sa manière de vivre et de parler remettait profondément en cause la tradition juive, l’interprétation de la loi mosaïque et l’autorité religieuse de ceux qui en sont les interprètes. À l’exception du groupe de ses disciples et des petites gens, personne ne voulait l’entendre. Tous se sont unis pour le faire condamner. Trahi par l’un de ses proches, il a été arrêté, condamné à mort et crucifié comme un vulgaire bandit. Je suis resté plusieurs jours profondément choqué et déprimé. Aurélia ne savait plus que faire pour me sortir de cet état. Puis j’ai repris mes activités, mais sans y mettre le cœur. Je restais triste, accusant la divinité de ne pas savoir soutenir ceux qui l’aiment et la servent avec tant de vérité. Dans ma prière intérieure revenait ce cri : « Toi le Tout-Puissant, pourquoi as-tu laissé faire cela ? Pourquoi n’es-tu pas intervenu ? »

Et puis un jour, cela fera bientôt vingt ans, Josaphat est revenu tout excité du marché où il va faire les achats de la cuisine. Par hasard, j’étais là. J’ai vu sur son visage que quelque chose avait changé en lui. Je lui ai simplement dit : « Tu es bien joyeux aujourd’hui ! Que s’est-il passé ? As-tu fait une nouvelle rencontre ? » Il m’a regardé et m’a répondu avec une phrase tirée des prières juives, les psaumes. Il ne cessait de la répéter : « Ce jour que fit le Seigneur est un jour de joie ! » Puis, il m’a regardé longuement et il a ajouté : « Jésus, le rabbi de Nazareth, le crucifié que tu ne cesses de pleurer dans ton cœur, il est vivant ! Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ! Ses anciens disciples en sont les témoins et ne cessent de l’annoncer partout ! Je crois même que l’un d’entre eux, Pierre, est à Joppé. » J’étais consterné ne sachant que dire. J’ai laissé mon serviteur sans lui demander plus de précisions et je suis parti pour accomplir mes activités journalières. Les paroles de Josaphat ne cessaient de me poursuivre. Durant toute la soirée, alors que nous mangions, Aurélia essayait de me sortir d’une sorte de torpeur. Mes réponses vagues ont fini par la décourager. Elle est partie se coucher me laissant seul à cette place. Pour la première fois de ma vie, je me suis mis à genoux, la tête prosternée contre terre, et j’ai laissé monter les mots qui me sortaient du cœur : « Éclaire-moi, Seigneur ! Montre-moi le chemin sur lequel tu m’attends ! » Un grand calme s’est fait en moi et j’ai eu comme une vision. J’envoyais Josaphat à Joppé pour inviter ce Pierre à venir dans ma maison. Je voulais en avoir le cœur net. Lorsque j’ai rejoint Aurélia sur notre couche commune, j’ai vu ses grands yeux ouverts qui brillaient à la lumière de la lampe. Elle m’a simplement demandé si j’allais mieux. Je l’ai embrassée tendrement et nous sommes restés unis dans une longue étreinte. Puis, lui parlant à l’oreille, je lui ai dit les raisons de mon trouble et de mon comportement qui pouvaient l’inquiéter. Lorsque je lui ai parlé de ma vision, elle m’a dit : « C’est un signe du divin ! Suis-le ! »

Cornelius se tait. Contrairement à ce qu’ils font souvent, Flavia et Lucius ne cherchent pas à mettre la petite plaisanterie qui évite de prendre les choses trop au sérieux. Ils constatent que leur frère et beau-frère a vécu quelque chose de très profond. L’évocation de l’annonce d’une résurrection des morts leur semble ridicule, mais ils se gardent pour l’heure de soulever la moindre objection. Ils veulent connaître la suite et voir jusqu’où et dans quoi Cornelius et Aurélia se sont engagés. Sur un signe de son mari, cette dernière intervient :

Comme vous l’avez sans doute compris, je me suis trouvée entièrement impliquée dans cette histoire. Si j’étais en retrait au début, j’ai moi-même été rapidement prise dans le mouvement. Revenons à cette nuit pleine de tendresse. J’étais partie me coucher, mais sans parvenir à trouver la tranquillité. Je me suis relevée, sans bruit j’ai entrouvert la porte et j’ai vu mon mari, prosterné à terre, qui priait. J’ai compris qu’il était en train de vivre quelque chose de profondément intérieur et je n’ai pas voulu le perturber. Quand il a commencé à me parler et prise dans ses bras, la crainte de le voir faire une dépression m’a quittée. J’ai écouté le récit de sa vision. Je l’ai simplement encouragé à envoyer quelqu’un à Joppé, me disant que ce Pierre acceptera peut-être de venir à Césarée et d’entrer dans la demeure d’un non-juif et qui plus est, un centurion de l’armée romaine… Le lendemain matin, Josaphat et deux autres compagnons sont partis pour Joppé, une ville qui se trouve proche de la mer, à deux jours de marche. Le quatrième jour, nous nous demandions, Cornelius et moi, si Pierre avait accepté. Vers la fin de l’après-midi, nous avons vu un groupe d’hommes prendre la direction de notre maison. Josaphat était là et discutait avec l’un d’entre eux et ses deux compagnons de route. Sans hésiter, ils entrèrent dans notre demeure. C’était la première fois – à l’exception de Josaphat notre fidèle serviteur – que des juifs de naissance franchissaient le seuil de la maison, alors qu’habituellement, pour ce genre de rencontre, tout se passait à l’extérieur, dans la cour d’entrée, devant la porte. Cornelius était prêt à toutes les concessions, puisqu’il était demandeur, et là il fut le premier surpris. Il invita alors Josaphat à guider ses hôtes dans le jardin, pour qu’ils puissent se rafraîchir, avant de nous rejoindre et de s’asseoir avec nous. Il y avait sur la table tout ce qu’il fallait pour étancher sa soif et se restaurer.

Je me souviens de cette soirée comme si c’était hier ! Nous nous sommes installés dans l’atrium et toutes les personnes qui travaillent pour nous, étaient venues, averties probablement par Josaphat. Pour beaucoup, Pierre n’était pas un inconnu. Cornelius invita chacun à se servir de nourriture ou de boisson. Il y avait de quoi satisfaire tous les appétits. Curieuse, je guettais du coin de l’œil les compagnons de Pierre. Ils étaient hésitants, ne sachant pas trop comment se comporter. Lorsqu’ils l’ont vu se servir de tout, sans se poser de question, ils ont fait pareil et l’atmosphère s’est comme détendue d’un coup. Pierre a dû voir mon étonnement et il en a compris la signification. Il s’est adressé à moi et à toute la maisonnée en disant : 

« Cela vous étonne de voir un juif comme moi s’asseoir à la table d’un païen et de manger sans aucune hésitation de tous les aliments préparés. Il est vrai qu’à un moment de ma vie, j’aurais préféré mourir plutôt que de consommer une nourriture impure, comme le prescrit la loi de Moïse. Je ne sais si vous connaissez le livre des Martyrs d’Israël qui parle de l’époque où les rois mis en place par Alexandre le Grand, ont voulu helléniser le peuple juif. Il y eut une résistance farouche qui passait par le refus de manger du porc. Pour moi, les personnes qui sont mortes en raison de leur refus, étaient des héros que je me promettais d’imiter. Je m’y serais tenu, si un événement particulier n’était survenu dans ma vie. Au cours d’une des nuits passées, j’ai fait par trois fois le même rêve. Je vis une immense nappe remplie d’animaux descendre du ciel et j’entendis une voix qui m’invitait à tuer et à manger. J’ai refusé avec force, disant que jamais rien d’impur n’était entré dans ma bouche. Et par trois fois, la même voix a retenti, me disant de ne pas traiter d’impur ce que Dieu a créé. Je cherchais encore à comprendre le sens de ce rêve quand sont arrivés vos envoyés. Quand ils m’ont transmis votre invitation, j’ai compris immédiatement. Aucune personne ne peut être déclarée impure, du fait de sa situation, son travail, son origine ou sa religion. Je me suis également souvenu d’une parole de Jésus nous disant que rien d’extérieur à l’homme ne peut le souiller, mais uniquement la méchanceté, la violence, la haine qui sortent de son cœur. La lumière s’est faite en moi et une grande joie m’a envahi. Moi qui m’étais jusqu’à ce jour consacré à mes frères et sœurs juifs, j’étais invité à franchir un nouveau pas. J’ai accepté ton invitation et je suis venu sans aucune hésitation. À travers toi, c’est l’Esprit Saint qui m’a appelé à franchir le seuil de ta maison et à m’asseoir à cette table… »

Pierre s’était tu. Tous écoutaient attentivement ses explications et personne ne voulait rompre le silence. Après s’être désaltéré, il se tourna vers mon mari en disant : « Cornelius, tu m’as fait venir chez toi ! Veux-tu m’expliquer maintenant les raisons de ton invitation ? »

Désireuse sans doute de ne pas trop s’exprimer à la place de son mari, Aurélia se tourne vers lui et l’invite à continuer.

J’ai bien conscience que tout cela est un peu long et ne ressemble guère aux potins de la vie courante ou aux dernières frasques de l’empereur qui alimentent les conversations des soirées romaines. Pour comprendre ce qui a transformé notre vie, il faut savoir ce qui s’est passé ce jour-là, même si certains points peuvent vous paraître étranges, j’en suis le premier conscient.

Flavia veut intervenir ; Cornelius l’invite à attendre en précisant que la discussion pourra s’ouvrir à la suite de ce dernier épisode, le plus important à ses yeux. Sans plus attendre, il poursuit :

Comment expliquer ces deux songes ou visions qui se rejoignaient dans le temps et la visée. Je compris que ce mystérieux Esprit Saint dont parlait Pierre, était aussi pour quelque chose dans mon propre cheminement. Je lui ai raconté ma propre vision à l’origine de mon invitation, après quoi je l’ai renseigné sur mon intérêt d’abord pour les Écritures juives et la sagesse que j’y trouvais, puis je lui ai expliqué comment j’ai entendu parler de Jésus et de son message et de la profonde douleur que j’ai éprouvée devant la haine qui l’a conduit à la mort en croix. Enfin je lui ai raconté les propos tenus par Josaphat à son retour du marché. À nouveau j’étais perturbé et je voulais en savoir davantage. J’ai ajouté que pour la première fois, je me suis mis en prière suppliant Dieu de m’éclairer sur tout ce qui s’agitait dans mon cœur.

Alors Pierre a repris la parole disant qu’il comprenait beaucoup mieux l’appel qu’il avait reçu. Et brusquement, il s’est mis à parler de Jésus de Nazareth qu’il a rencontré un jour sur les bords du lac de la mer de Galilée, à Capharnaüm. « J’ai été saisi par ses paroles, précisait-il, et, lorsqu’il m’a invité à le suivre, je l’ai fait sans hésitation ! Tu connais probablement le prophète Jérémie si tu as lu les Écritures juives. Il y parle de la parole de Dieu comme d’un feu dévorant qu’il ne peut éteindre, et qu’il se sent obligé de proclamer même lorsqu’il se trouve menacé de toute part. Avec les paroles de Jésus, c’est ce qui m’est arrivé. Je les buvais comme l’on boit à une source d’eau vivifiante. Je l’écoutais parler de la loi qui régit les rapports entre les hommes, remettre en cause des pratiques traditionnelles qui ferment le chemin de Dieu à celles et ceux qui veulent le prendre. Hommes, femmes ou enfants, riches ou pauvres, justes ou pécheurs et même les étrangers, tous trouvaient auprès de lui un accueil rempli d’amour et de tendresse. Il ne supportait pas l’hypocrisie des pharisiens ou des bien-pensants, ni leur mépris pour les pauvres, les malades, les pécheurs. Parfois, il les remettait à leur place au cours de discussions mémorables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les autorités du Temple lui ont voué une haine implacable. Ceux qui le suivaient, étaient sûrs qu’il était le messie attendu, le nouveau roi David qui rétablirait le royaume d’Israël et le libèrerait de ses occupants… Mais rien ne s’est passé comme nous l’espérions tous et beaucoup ont commencé à l’abandonner. Un dernier coup d’éclat a fait déborder la coupe. Nous l’avons accompagné à Jérusalem à l’occasion des célébrations de la Pâque juive. Alors que nous entrions sur l’esplanade du Temple, il s’est brusquement arrêté et a regardé la foule des marchands dont les cris essayaient d’attirer vers eux les pèlerins qui venaient prier et offrir un sacrifice. Son regard s’est figé, puis il a saisi une corde qui traînait par terre et s’en est fait un fouet. Il s’est mis à chasser tous les marchands hors de l’esplanade où chacun tenait boutique. Certains ont voulu l’en empêcher, mais lui les a traités de voleurs, les accusant de souiller le Temple par leurs pratiques malhonnêtes, d’avoir fait de la maison de Dieu un repaire de bandits. Nous le regardions incrédules. La peur m’a saisi personnellement. Je savais que les autorités du Temple ne laisseraient jamais passer cela sans réagir. J’ai commencé à comprendre que le triomphe dont nous rêvions n’était pas prêt d’arriver. Effectivement, quelques jours plus tard, deux jours avant les célébrations solennelles de la Pâque, ils sont venus l’arrêter en pleine nuit. Judas, l’un des nôtres, l’avait trahi pour quelques pièces d’argent… »

Pierre s’est arrêté quelques minutes. Il revivait avec une grande intensité ce moment tragique ; l’émotion remontait en lui et dans le cœur de ses compagnons de route. Il a repris son récit décrivant les moments d’un procès inique aboutissant à une condamnation à mort sur la base de faux témoignages. « Toutes nos espérances s’évanouissaient d’un coup et nous vivions dans une peur panique qui a fait de moi un renégat. Une jeune servante m’a reconnu comme faisant partie des disciples de Jésus et moi qui me suis mis à jurer de toutes mes forces que je ne le connaissais pas… Nous nous sommes terrés dans la salle où nous avions mangé la Pâque avec lui. Après avoir barricadé la porte, nous sommes restés prostrés dans notre solitude et notre malheur, chacun attendant que les remous, causés par l’affaire Jésus, se calment avant de reprendre la route de la Galilée et de rentrer dans sa famille. Toute cette histoire s’est achevée lorsque les serviteurs de Joseph d’Arimathie ont roulé, puis scellé la lourde pierre qui obstruait l’entrée de la chambre mortuaire. Mais une question revenait sans cesse : Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-il rien fait pour échapper à la mort ? Pourquoi Dieu n’a-t-il rien fait pour le protéger ? Pourquoi ? Pourquoi ? … Durant deux jours et deux nuits, nous sommes restés là, hébétés et sans voix ; nous n’avions plus aucune énergie et n’y comprenions plus rien. Nous avions cru en lui et voilà que tout s’était écroulé d’un coup…

Cornelius s’est tu en ajoutant : « La suite du récit de Pierre est tellement extraordinaire qu’il vaut mieux faire une pause avant de vous donner la clé du mystère. »

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

Caravane

La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.