Le prêche de saint Paul. Joseph-Benoît Suvée, circa 1779. Huile sur toile, 50,1 x 38,7 cm. Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles (Wikimedia).
12. Le dynamisme missionnaire des premières communautés
Roland Bugnon, CSSP | 23 mai 2022
Cette série s’inspire de l’invitation pressante faite par le pape François à tous les baptisés : devenir des disciples missionnaires de l’Évangile de Jésus Christ. L’apôtre Paul, les douze et la vie des premières communautés chrétiennes sont inspirants pour nous aujourd’hui qui avons le mandat de poursuivre l’œuvre missionnaire inspirée par le dynamisme de l’Esprit du Ressuscité.
Si je me suis attardé sur le travail de Paul, c’est qu’il reste à mes yeux l’exemple type du missionnaire chrétien. Partout où il passe, il commence par s’insérer dans la localité où il arrive, vit de son métier et témoigne, par son style de vie et ses paroles, de la Bonne Nouvelle du salut offert par Dieu, en Jésus le Christ, à toute l’humanité. Sa vie est celle d’un homme animé d’une foi extraordinaire et ne cesse jamais d’en être le témoin. Dans sa lettre à la jeune communauté de Philippe, il a ces mots très explicites : « Tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste… » (Ph 3,8) Il a choisi de rester toujours « le témoin de l’Évangile de Jésus Christ ». Son style de vie, ses paroles et ses combats ont largement de quoi inspirer celles et ceux qui désirent continuer son œuvre aujourd’hui.
Il ne faudrait pas pour autant oublier un autre aspect de l’action missionnaire. Luc l’évoque dans les Actes des Apôtres (5,12-16). La communauté chrétienne de Jérusalem s’organise autour des premiers disciples de Jésus qui vivent leur nouvelle foi au milieu de la population juive, mais en restant fidèles aux prescriptions de la Loi mosaïque. Il note : « Tous les croyants, d’un mêmecœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. » (5,12b-14) Le rayonnement de la communauté des croyants est souligné avec netteté. Forts de l’enseignement des premiers disciples, ces hommes et ces femmes font le choix de vivre conformément à la Parole et à l’enseignement du Christ Jésus. Leur style de vie nouveau provoque l’intérêt de celles et ceux qui les côtoient. Cette particularité est essentielle. Un homme comme Paul restera un prédicateur itinérant. Les communautés qui naissent de son annonce de l’Évangile donnent à celle-ci un visage concret. Le rayonnement de leur foi et d’une vie transformée par la Parole entendue vont bouleverser peu à peu le monde antique. La prise au sérieux des valeurs évangéliques fait naître une société nouvelle où vivent en communion fraternelle le riche et le pauvre, le maître et l’esclave, l’homme et la femme… L’ouverture est créée et permet à une humanité bigarrée de se rassembler autour de la même parole et du même pain, pour former un peuple de frères et sœurs, vivant de la même espérance.
Je ne minimise pour autant ni les difficultés à surmonter, ni la longueur du chemin à parcourir. Comme les premiers disciples, ces jeunes communautés rencontrent l’hostilité tant des autorités juives de Jérusalem que celle des empereurs romains qui n’acceptent pas un culte préconisant d’autres valeurs que celles de Rome et un autre Seigneur que l’empereur lui-même. Tel un slogan proclamé haut et fort, la formule « Christ est Seigneur ! » devient l’acte de foi et le témoignage vivant de ces chrétiens que différentes persécutions – au cours des trois premiers siècles de notre ère – ne parviendront pas à éradiquer. Si Paul et les autres apôtres ont bien été les premiers missionnaires de l’Évangile, le relais est pris par les communautés elles-mêmes. Leur foi vivante, un style de vie où le pauvre et le sans-droit ont leur place et sont pris en charge, une ouverture à tous, seront autant d’éléments qui marqueront l’histoire et attireront bientôt des foules de femmes et d’hommes qui trouveront dans le christianisme naissant une Voie et une Parole qui les font vivre d’une manière nouvelle et espérer l’avénement du Royaume d’un Dieu très-aimant et soucieux de toute l’humanité. La diffusion du message chrétien dans l’ensemble de l’Empire romain donnera à ce dernier un visage nouveau. Les valeurs du monde gréco-romain s’en trouveront progressivement imprégnées, marquant définitivement la culture du monde, jusqu’à aujourd’hui.
Soulignons encore un autre aspect de l’expansion chrétienne dans l’Empire romain. J’ai largement insisté sur le rôle de Paul ; je n’oublie pas pour autant celui des autres apôtres qui furent à l’origine d’autres églises. Le travail de Paul est plus connu grâce aux Actes des Apôtres, mais surtout à ses lettres – premiers écrits de la littérature chrétienne – qui furent recopiées et diffusées un peu partout, offrant conseils et réponses à des questions qui se posaient à toutes les nouvelles communautés existant dans les principales villes de l’Empire. Tout en gardant précieusement le message reçu, elles prennent progressivement le relais. Certains scribes – les évangélistes – mettent par écrit le témoignage des apôtres, donnant naissance aux récits évangéliques qui offrent un accès plus direct à Jésus de Nazareth, reconnu comme Fils de Dieu, à son message et à ses actes. D’autres, prenant le rôle « d’Anciens » veillent à conserver ou développer, au sein des nouvelles communautés, l’idéal de vie prôné dans les récits et les lettres des premiers témoins. Élaborés dans des milieux très différents, les premiers écrits de la littérature chrétienne seront foisonnants. Il faudra choisir les plus proches de la réalité. C’est ainsi que seront rassemblés progressivement l’ensemble des livres qui formeront bientôt le Nouveau Testament qui sera placé dans le prolongement de la Bible hébraïque et sera désormais le livre de référence qui inspire le christianisme depuis deux mille ans.
Ce qui se passe durant les premiers siècles de l’ère chrétienne a de quoi nous donner à réfléchir. L’élan missionnaire des premiers témoins rentrés chez eux ou partis annoncer lÉvangile dans les différentes parties de l’Empire romain fait naître le christianisme. Après eux, le relais est pris par les communautés ou les églises nées de leur action. L’Esprit de Jésus trouvera en elles les personnes qui lui donneront un visage concret et lui permettront de se développer. Dans cette histoire, le rôle de chacun est essentiel parce que l’Église est composée – selon l’expression de Paul – de pierres vivantes ou de membres différents qui occupent une place particulière. Concrètement, cela signifie qu’une paroisse ou un diocèse ne peut vivre et se développer que par l’engagement de tous les croyants et non des seuls clercs que l’on paie pour accomplir leur charge.
Une question simple se pose alors. Comme croyant, suis-je prêt à apporter ma propre contribution à l’édification de l’Église dans ma paroisse? Ma vie de prêtre, de religieux ou de laïc croyant donne-t-elle à l’Évangile de Dieu son visage d’aujourd’hui? Le véritable engagement missionnaire commence là.
Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique.