Saint Paul chez Priscille et Aquilas. Anonyme du 17e siècle. Musée Plantin-Moretus, Anvers (Wikimedia).
8. Paul à Corinthe : une nouvelle forme de vie missionnaire
Roland Bugnon, CSSP | 24 janvier 2022
Cette série s’inspire de l’invitation pressante faite par le pape François à tous les baptisés : devenir des disciples missionnaires de l’Évangile de Jésus Christ. Arrivé à Corinthe, Paul continue de rencontrer des opposants à sa prédication mais une communauté, nombreuse selon les Actes, se forme après la conversion du chef de la synagogue.
L’expérience vécue par Paul à Athènes ne l’a visiblement pas enthousiasmé. Il n’a pas apprécié les sarcasmes de l’intelligentsia athénienne et en tire les conséquences. Il part pour Corinthe, la grande ville portuaire et commerciale comptant une population nombreuse et de très différentes origines. Il décide de s’y installer et de vivre de son métier.
La rencontre d’un couple de Juifs expulsés de Rome lui permet d’organiser sa vie. L’événement est rapporté dans les Actes : « Après cela, Paul s’éloigna d’Athènes et se rendit à Corinthe. Il y trouva un Juif nommé Aquilas, originaire de la province du Pont, récemment arrivé d’Italie, ainsi que sa femme Priscille… Paul entra en relation avec eux ; comme ils avaient le même métier, il demeurait chez eux et y travaillait, car ils étaient, de leur métier, fabricants de tentes. » (18,1-3) Il a fait le choix de s’installer dans un milieu très populaire. Durant la semaine, il travaille comme tout le monde ; le jour du sabbat il participe aux offices de la synagogue et profite des discussions communes pour dire à tout le monde, Juifs et Grecs, que le Christ est bien venu en Jésus crucifié et ressuscité.
Lorsque Silas et Timothée le rejoignent, il délaisse son travail pour se consacrer uniquement à l’annonce de l’Évangile. Encore une fois, ses paroles déchaînent contre lui une opposition très forte de la part de milieux juifs de Corinthe. Ne supportant plus les injures incessantes, il quitte la synagogue pour s’installer dans la maison d’un païen sympathisant nommé Titius Justus, située – comble de l’ironie – en face de la synagogue. La force de sa prédication est telle que même Crispus, le chef de la synagogue, se laisse convaincre et adhère à la foi nouvelle avec toute sa famille. Cela suffit pour que de nombreux Corinthiens suivent le mouvement et demandent le baptême. La situation pouvait dégénérer et susciter des troubles. Il n’en fut rien. Le Seigneur se manifeste à Paul dans une vision et le conforte dans son action : « Sois sans crainte : parle, ne garde pas le silence. Je suis avec toi, et personne ne s’en prendra à toi pour te maltraiter, car dans cette ville j’ai pour moi un peuple nombreux. » (Ac 18,9b-10) Paul restera un an et demi à Corinthe, poursuivant avec Silas et Timothée, Aquilas et Priscilla son action d’évangélisation.
Arrêtons quelques instants pour bien comprendre ce qui se passe. Je suis frappé quant à moi par la capacité de Paul de s’intégrer dans le milieu où il s’arrête. Il travaille de ses mains pour gagner sa vie et n’hésite pas à vivre avec un couple de Juifs sympathisants, Aquilas et Priscille qui deviennent de fervents collaborateurs. Il ne fait plus de grands discours pour séduire un auditoire juif ou païen. Sa vie toute simple, d’artisan et de prédicateur, le met en contact avec une foule de gens avec qui il parle, partage la vie et travaille sans se mettre en avant. Voilà bien son premier témoignage. Par ailleurs, les tentatives faites à Antioche de Pisidie et, plus tard, à Athènes, lui ont fait comprendre qu’il a fait fausse route. Il décide alors de s’en tenir à l’essentiel. Son choix, il s’en explique dans sa première lettre aux Corinthiens, écrite vers 54. Il y rappelle l’option qui oriente désormais son action : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes.Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Co 1,22-25) Ayant évoqué Jésus Crucifié comme point central de sa prédication, il se tourne vers les personnes qui forment la nouvelle communauté et leur rappelle un peu ironiquement qu’il n’y a pas beaucoup de grands personnages parmi elles, que leur force ne vient pas d’eux, mais de Dieu lui-même. « Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n ’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort … » (1 Co 1,26-27)
Quand il rédige ces paroles, Paul a visiblement mûri sa pensée et compris comment être désormais missionnaire de l’évangile de Dieu. Nul ne peut faire l’impasse sur la figure de Jésus crucifié. Dans le don qu’il fait de sa vie apparaît la force de l’amour ; dans son refus de toute violence et son pardon donné, sa toute-puissance et sagesse. La victoire du crucifié permet à l’homme blessé d’espérer et de se relever. Son pardon accordé ouvre la prison dans laquelle les bourreaux s’enferment et son apparente faiblesse apparaît brusquement plus forte que la violence qu’il subit. Le peuple juif attendait un Messie chef de guerre, vainqueur de l’envahisseur et siégeant sur son trône de gloire. Le crucifié donne une tout autre image de Dieu. Aux pieds des apôtres, il est le Très-Bas, sur la croix il exerce la puissance de l’amour plus fort que la haine qui s’acharne contre lui. Les sages croyaient tout savoir de lui et voilà qu’un Dieu tout différent apparaît sur la figure du crucifié. Il n’a plus rien à voir avec le dieu jupitérien qui manie la foudre et le tonnerre et siège dans les nuages au sommet de l’Olympe. En Jésus, il se manifeste comme un Dieu proche des plus petits, toujours en quête des hommes et des femmes blessés, souffrants dans leur chair ou désespérés. Il s’implique personnellement dans le combat pour la justice, la paix et l’amour qui relèvent et remettent en marche. Il n’est pas sourd et lointain, mais entend le cri de celles et ceux qui le cherchent, le prient ou l’interpellent. Peut-on mettre sa foi en ce Dieu-là ou bien n’est-il qu’une illusion, fruit d’une névrose mortifère qui projette en lui la foule des désirs humains jamais assouvis?
Cette question a suscité de multiples réponses depuis bientôt deux mille ans. Aujourd’hui, elle continue à se poser : certains tuent au nom de Dieu alors que d’autres meurent en refusant de répondre à la violence par la violence au nom même de leur foi. Qui a raison? Toi qui t’interroges sur le sens de la vie, qu’en penses-tu?
Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique.