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4. Le témoignage de la communion fraternelle
Roland Bugnon, CSSP | 20 septembre 2021
Cette série s’inspire de l’invitation pressante faite par le pape François à tous les baptisés : devenir des disciples missionnaires de l’Évangile de Jésus Christ. Dans cet article, l’auteur rappelle l’importance des gestes concrets et des attitudes d’ouverture qui doivent appuyer les paroles pour que le témoignage soit crédible.
Dans ma réflexion précédente, j’ai souligné l’importance de la Parole, proclamée par les apôtres aux hommes et aux femmes de leur temps. Ceux-ci découvrent un message qui les intéresse et les séduit par sa nouveauté. De petites communautés se rassemblent et se forment autour de cette Bonne Nouvelle offerte à tous.
Paul n’en revient toujours pas de ce que sa rencontre avec le Christ Jésus lui a permis de comprendre. Il l’exprime avec émerveillement dans sa lettre aux Éphésiens : « Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le Païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine… » (2,13-14) Pour lui, ce dernier point est capital. La nouveauté chrétienne s’y exprime au mieux. Par sa passion et sa mort sur la croix, « le Christ Jésus a détruit le mur de la haine qui sépare le Juif et le Païen » et tant de peuples et de familles entre eux. Aux Galates tentés par un retour aux règles strictes de la Loi juive, il rappelle un point essentiel : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » (3,28)
Il est difficile de se rendre exactement compte de l’impact que pouvaient avoir de telles paroles. Proclamer une fraternité qui dépasse tous les clivages que les peuples établissent entre eux était inimaginable dans un monde juif qui se retranchait derrière sa qualité de « peuple élu ». Aucune culture de l’époque n’était prête à admettre une égalité fondamentale entre le maître et l’esclave, entre l’homme et la femme. L’autre qui est différent de moi par sa couleur de peau ou sa religion, n’est ni « maudit », ni inférieur, ni un ennemi. Il est tout simplement autre et mérite le plus grand respect. Il suffit de regarder l’histoire des siècles passés encore proches ou les actualités de notre temps, pour constater que le mur de la haine est bien à l’origine de toute la violence qui s’y exprime de multiples façons. L’Évangile de Jésus Christ n’a rien perdu de son actualité et continue d’adresser à tous les peuples un message qui garde sa force d’interpellation. Beaucoup de nos contemporains l’ont peut-être quelque peu oublié…
Cependant, il faut rester conscient que la Parole évangélique, seule, ne suffit pas. Elle peut certes faire l’objet d’études historiques ou archéologiques comme n’importe quel objet de la culture humaine. Mais pour le croyant, elle porte en elle une dynamique profonde, un appel à vivre en conformité avec le chemin qu’elle propose. On le découvre particulièrement dans les Actes des Apôtres, les nouvelles communautés qui s’édifient autour du message évangélique, ne se contentent pas de l’écouter ; elles s’organisent progressivement à partir de lui et créent un style de vie qui s’en inspire directement. Cet élément est fortement souligné en Ac 4,32 : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. » Luc n’ignore pas les difficultés concrètes de le vie commune, mais il tient à souligner l’idéal vers lequel tout croyant authentique doit tendre. Pour lui, la Parole n’atteint son but qu’au moment où elle ouvre les chemins d’une vie nouvelle, une conversion, qui se traduit dans les faits par une communion fraternelle entre tous, Juifs de Jérusalem et Juifs de la Diaspora et bientôt croyants venus du monde gréco-romain.
Des communautés nouvelles naissent et s’organisent dans toutes les grandes villes de l’Empire romain. Réunissant autour de la même table des hommes et des femmes de toutes origines et classes sociales ; elles intriguent d’autant plus qu’elles se distancient des religions traditionnelles, refusent le culte à l’empereur et s’ouvrent résolument aux plus pauvres et aux plus petits. La solidarité qui s’établit entre tous, étonne ou agace les uns, séduit les autres ; la Parole accueillie dans la foi, les anime, leur donne de l’audace et du courage, remet en cause certaines idées reçues. Paul en est bien conscient. Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe , il rappelle que l’annonce d’un Messie crucifié est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Païens. Mais pour le croyant, elle est signe de la sagesse de Dieu (voir 1 Co 1,22-25).
Dans la réalité de l’époque, le nombre des sympathisants augmente de plus en plus ainsi que les conversions. Un élément essentiel apparaît clairement. La mission confiée par Jésus à ses disciples ne s’effectue pleinement qu’à l’intérieur de communautés vivantes où des hommes et des femmes mettent en application l’enseignement de Jésus dans une vie ouverte et donnée aux autres. C’est bien le souhait de Jésus avant d’entrer dans sa passion. « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (Jn 13,14-15) Et un peu plus loin, dans sa grande prière finale : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21) Le témoignage missionnaire ne prend son poids et sa force que dans la mesure où il est porté par des croyants et croyantes qui en ont fait une source d’inspiration pour l’ensemble de leur vie concrète.
Voilà bien l’un des points qu’il faut rappeler aux chrétiens de tous les temps. Le monde ne peut croire en la vérité d’une parole que s’il en découvre la mise en application dans la vie de celles et ceux qui la professent. Le message de Jésus de Nazareth ne prend sa valeur que là où l’amour ne reste pas un beau mot, là où le partage et la solidarité sont vécus concrètement, là où l’on ne craint pas, par des prises de position inspirées de l’Évangile, de bousculer parfois les usages ou les idées reçues. Cette exigence n’a rien d’évident. Elle reste un défi permanent pour qui la prend au sérieux. Sommes-nous disposés à l’entendre?
Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique.