Les vendeurs chassés du Temple. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle opaque et graphite, 18.6 x 29.4 cm. Brooklyn Museum, New York.

L’aboutissement tragique d’une vie

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 15 avril 2019

Lire Marc 11, 15-19 et 14, 22 – 15, 41

Jésus a pris la route de Jérusalem. C’est la dernière étape et l’aboutissement de sa vie, telle que Marc nous la présente dans son récit évangélique. À peine est-il arrivé, la confrontation avec les autorités du Temple commence.

« Ils arrivèrent à Jérusalem. Entré dans le Temple, Jésus se mit à expulser ceux qui vendaient et ceux qui achetaient dans le Temple. Il renversa les comptoirs des changeurs et les sièges des marchands de colombes… » (Mc 11,15)

Il accuse ouvertement les autorités d’avoir fait de ce lieu saint une caverne de bandits et de voleurs. Le trafic du religieux réservé à quelques familles en place, peut générer en effet de juteux profits. Jésus le dénonce ouvertement. Il n’en fallait pas plus pour déclencher le processus de rejet. « Apprenant cela, les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le faire périr. » (11,18) Ils ont peur de lui, peur de perdre leurs avantages et de voir la foule prendre fait et cause pour son enseignement. Ils décident la suppression d’un homme qui dérange les vieilles habitudes. La seule solution qui s’impose est de le faire mourir. Une chape de haine se dresse autour de Jésus qui en est parfaitement conscient.

Il avait la possibilité de fuir et d’échapper à une violence qui s’organise contre lui, il ne le fait pas. Il fête la Pâques avec ses disciples et leur donne un signe symbolique à faire en mémoire de lui (14,22-23). L’angoisse le saisit face à ce qui l’attend, mais il décide librement de « boire la coupe » qui lui est réservée : « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (14,36) Alors que Judas décide de le trahir et s’en va pour le vendre aux autorités du Temple, que Pierre s’apprête à le renier et que tous s’endorment dans le sommeil de l’incompréhension, Jésus accepte sa mission. Il sera fidèle à lui-même et à son message, mettant toute sa confiance dans l’amour de son Père. Il reste debout et libre face aux épreuves et humiliations qui l’attendent.

La suite est plus connue. Alors que ses adversaires viennent l’arrêter, Jésus ne fait rien pour leur échapper. Il ne se défend pas durant le simulacre de procès qui le condamne à mort. Tout est comme joué d’avance et Pilate ne fait qu’entériner la décision du Sanhédrin. La suite est commune au sort de tous les condamnés : il est flagellé, ridiculisé par ses gardes et finalement chargé de la traverse de la croix pour parcourir l’ultime chemin qui le conduit au lieu de la crucifixion, le Golgotha. Dépouillé de tous ses vêtements, il est cloué sur la croix, condamné à mourir d’étouffement progressif dans d’atroces souffrances chaque fois qu’il se redresse pour respirer un peu d’air. Devant lui, la foule s’est rassemblée pour jouir du spectacle. Ses accusateurs triomphent et se moquent de lui : « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Qu’il descende maintenant de la croix, le Christ, le roi d’Israël ; alors nous verrons et nous croirons. » (15,31-32) Ils le mettent au défi d’utiliser sa puissance pour se tirer d’affaire, comme par magie, dans un dernier coup d’éclat. Pour eux tout est dit. Le rabbi de Nazareth n’est qu’un imposteur, puisque Dieu ne fait rien pour lui. Contrairement aux autres évangélistes qui rapportent, avec des variantes, la même scène, le récit de Marc est sobre, sans fioritures. Jésus ne répond rien à ceux qui l’insultent. Il s’enfonce dans un abime de souffrances et de non-sens qui lui arrache un ultime cri, une prière : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » L’obscurité s’est faite sur toute la terre, tient à préciser Marc, et Jésus meurt en poussant un grand cri, abandonné de tous et même apparemment de Dieu. Il est difficile d’imaginer la réaction des disciples. L’incompréhension est totale et tous leurs espoirs s’effondrent. La peur et l’angoisse prennent le dessus. Humainement, la mort de Jésus signe l’échec de sa vie et de sa prédication.

Marc ajoute à son récit deux éléments qui indiquent au lecteur deux pistes de réflexion : d’abord, la déchirure en deux parties du rideau du sanctuaire (15,38) et une déclaration surprenante du centurion qui a conduit l’escorte, en forme de conclusion : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » (15,39) Voilà deux clés de pour qui veut comprendre cette mort. D’abord la rupture entre l’ancienne et la nouvelle alliance. La déchirure du voile du sanctuaire marque la fin d’un certain type de religion et l’ouverture de celle que Jésus, par l’ensemble de ses paroles et de ses gestes, n’a cessé de proclamer. Et dans un deuxième temps. La parole du centurion proclame la foi de l’Église naissante disséminée dans une grande partie de l’empire romain. En acceptant de suivre jusqu’à son terme le chemin commencé en Galilée, Jésus a manifesté clairement son identité. Il est bien le Messie attendu, le Fils de Dieu, mais sans confusion possible. La croix reste le lieu du triomphe de l’amour. À la violence qui lui est faite, il n’a répondu que par un amour plus fort que la haine. Il a réalisé en lui, la plénitude de l’être humain, il est le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. On retrouve là ce que Paul écrivait déjà aux Corinthiens : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Co 1,22-25)

Il n’est pas facile de te suivre, Seigneur, lorsque tu prends le chemin de la passion et de la mort. Par ton refus de te soustraire au sort qui t’attend et à l’humiliation suprême de la croix, tu as voulu montrer à tous que l’amour est une force plus puissante que la haine. Le pardon donné à tes bourreaux en est le signe le plus fort. Sur ton visage de crucifié se révèle le visage du Dieu que tu n’as cessé de présenter à ceux qui t’ont suivi, écouté et que tu as guéris, un Dieu Père dont le cœur n’est que tendresse et pitié. À tous ceux qui rêvaient d’un messie vengeur, terrassant par les armes les ennemis d’Israël, tu révèles le visage d’un messie qui ne connaît que le langage de l’amour et tu en paies le prix fort. Tu sors vainqueur du défi que t’ont lancé tes adversaires et la croix en est désormais le signe. Béni sois-tu, toi qui nous ouvres le seul chemin qui conduise à la vie en plénitude.

Prêtre spiritain, Roland Bugnon est l’auteur de Voyage de Marc en Galilée : récit imaginaire et romancé de la naissance d’un livre (Saint-Augustin, 2013).

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La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.