Le Christ redonne la vue à Bartimée. William Blake, circa 1800. Tempera, crayon et encre noire sur toile ; 26 x 38 cm. Centre Yale d’Art britannique, New Haven (Wikipedia).
La foi qui sauve et remet l’homme debout
Roland Bugnon, CSSP | 1er avril 2019
Relire Marc 10, 24. 46-52 ou le début de l’article
Arrivé au terme de son récit, Marc ajoute deux courtes conclusions. La première vient de Jésus lui-même : « Va, ta foi t’a sauvé. » Cette petite phrase, nous l’avons déjà rencontrée dans les récits précédents. Elle résonne comme un refrain qui rappelle que Jésus n’agit pas à coups de baguette magique. S’il répond à la misère des hommes et des femmes qui viennent à lui pour se faire guérir, il met en évidence l’attitude de ceux et celles qui reconnaissent en lui, le Verbe de vie ou la source vivifiante. Le véritable salut ne réside pas dans la seule guérison corporelle, mais plus fondamentalement dans la reconnaissance ou la découverte en Jésus, de l’Envoyé divin. La foi manifestée par Bartimée le fait entrer dans la sphère des disciples de Jésus, de ceux et celles qui acceptent de prendre le chemin qu’il manifeste dans l’ensemble de sa vie, ses actes et ses paroles. Bartimée peut vivre désormais dans une communion nouvelle dont Jésus est le centre, au cœur du divin. Le salut que le croyant cherche, est bien là.
Celui que nous appelons, comme chrétiens, le Christ ou le Fils de Dieu, n’est pas venu « pour nous sauver des flammes de l’enfer » – comme l’a exprimé, pendant trop longtemps une certaine théologie. Il est venu pour nous introduire dans le cœur brûlant d’amour de Dieu son Père. Il est la Porte des brebis, le Bon Berger qui conduit son peuple aux sources de la vie, ou encore la vraie Lumière qui luit dans les ténèbres. Ces différents titres qui lui sont donnés dans les évangiles mettent en évidence le dessein de Jésus. Il ne supprime pas pour autant la liberté humaine. Personne ne peut être sauvé contre son gré. La confiance mise en lui par Bartimée, lui ouvre le chemin de la Vie. Ce qu’il confirme avec les derniers mots : « Va, ta foi t’a sauvé ».
Marc conclut son récit par une phrase très explicite : Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin. Il fournit en quelque sorte à ses lecteurs, la clé de ce récit placé juste avant la longue montée vers Jérusalem. L’attitude de Bartimée illustre la figure du disciple authentique. Nul n’entre dans la foi en Jésus sans suivre peu ou prou ce cheminement qui passe de la nuit obscure au jaillissement de lumière, de la méconnaissance à la pleine compréhension, de l’ignorance à la certitude d’avoir rencontré le fils de David ou le Messie attendu. Cette illumination soudaine saisit Bartimée dans tout son être. Il ne sera plus comme avant. Il a trouvé le chemin qu’il cherchait, l’illumination intérieure qui le révèle à lui-même et la source d’une vie qui le dynamise dans son être. Devenu disciple, il se met en route, commençant un cheminement qui le permettra de devenir l’homme qu’il est appelé à être. Il s’est remis debout sur ses deux pieds, est devenu capable de prendre la route qui est la sienne, une route caillouteuse qui traversera l’épreuve du temps, du doute, du découragement et de la souffrance. Rien n’y est déterminé ou tracé par avance. Il va devoir continuer chercher son chemin sans savoir où il conduit exactement, accepter d’avancer parfois dans la nuit… Une seule chose le maintient debout : la confiance ou la foi qu’il a mise en celui qui accompagne ses pas et lui donne la force de son Esprit.
Dans la figure de l’aveugle de Jéricho apparaît une autre figure, celle de l’être humain prostré à terre en quête de son destin ou d’un sens à sa vie. Livré à ses fantômes, ses doutes, son désespoir, il ne sait plus qui il est, ni vers quoi va sa vie. Le passage de Jésus ne résout rien par enchantement. S’il sait entendre, une espérance peut naître en lui et la lumière jaillir au moment où il se sent interpelé dans les profondeurs de son être. La foi qu’il accepte de mettre dans le visage de tendresse qu’il découvre proche de lui, ne le prive pas de sa liberté, ne le soustrait pas au dur chemin de toute existence humaine. Il reste face à ses choix et à un travail d’approfondissement nécessaire qui lui permet de vivre dans une lumière nouvelle. Il peut alors prendre le chemin découvert.
Contrairement à ce que pensent certains psychiatres, suivre Jésus sur la route de Jérusalem, n’est pas un acte de soumission à une autorité arbitraire qui dit tout ce que l’on doit faire et empêche l’humain d’être libre de ses choix et de son devenir. Si la claire vision de soi et du monde qui l’entoure est pour Bartimée un cadeau ou une grâce, la décision de prendre la route de Jérusalem avec Jésus, lui appartient. C’est en pleine liberté qu’il le fait sachant qu’il devra la confirmer dans la douleur et le doute, lorsque viendra temps de la passion et la mort de son rabbi. Cette libre décision appartient à ces actes qui donnent à des femmes et des hommes leurs pleine stature. Rien de commun avec un choix de facilité. Elle est un de ces actes qui révèlent l’être humain à lui-même, lui permettent de naître à sa véritable humanité et de l’assumer librement. Dans son dialogue avec Nicodème (Jean 3) Jésus parle de la nécessité de naître d’en haut. Cette naissance ne vient que de l’acte de foi mis en lui.
Dans la nuit la plus obscure, j’ai crié vers toi, Seigneur, et tu as répondu à mon appel. J’étais prostré dans mon désespoir, jeté au plus profond de ma misère et tu m’as relevé, donné la force de reprendre ma route. J’ai découvert alors que ton amour et ta tendresse pouvaient faire renaître en moi l’espérance et redonner sens à ma vie. Merci, Seigneur, tu es venu à mon secours et tes paroles m’ont permis de retrouver la lumière qui donne sens à la vie. Béni soit ton nom à jamais !
Prêtre spiritain, Roland Bugnon est l’auteur de Voyage de Marc en Galilée : récit imaginaire et romancé de la naissance d’un livre (Saint-Augustin, 2013).