Sermon sur la montagne. Károly Ferenczy, 1896. Huile sur toile, 135 x 203 cm. Galerie nationale hongroise (photo : Wikipedia).

Répondre à la haine par l’amour 2/2

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 10 février 2017

L’enseignement de Jésus révèle une nouvelle dimension dans le Sermon sur la montagne. Jésus propose à ses disciples d’opposer à la violence et la haine une force qui est d’abord refus de la haine, refus d’opposer à la violence une autre violence. Il les invite à sortir de la logique de la violence et de la haine en faisant un choix risqué, celui de l’amour qui ne craint pas les conséquences de ce choix.

Œil pour œil, et dent pour dent

Par ce que l’on nomme « la loi du talion », la Loi mosaïque tente de canaliser la violence qui se déchaîne à certains moments. Jésus la corrige en Mt 5,38-39 : « Vous avez appris qu’il a été dit : “Œil pour œil, et dent pour dent.” Eh bien ! Moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ». La formule est célèbre et les commentaires ont été nombreux au long des siècles, certains pour juger cet enseignement impossible, voire défaitiste, d’autres l’ont repris pour le ridiculiser, accuser Jésus de naïveté et d’idéalisme. Certains psychiatres modernes y verront la source d’un masochisme chrétien dont il faut se libérer. Il y a beaucoup à dire sur cet enseignement, tout particulier sur la deuxième joue à tendre à son adversaire, lorsque celui-ci frappe sur la joue droite. Jésus n’interdit certainement pas de résister à la violence. Mais comment? La seule contre-violence ne suffit pas. Pour lui, le problème est de sortir de la logique de la violence. L’autre joue ressemble au pas que l’on fait vers l’autre, à la main tendue malgré la violence subie pour tenter de désamorcer le conflit. Cela mérite d’y réfléchir, aujourd’hui encore. 

Aimez vos ennemis

Poursuivons la lecture de l’enseignement de Jésus. Par un ajout, il nous oriente dans la direction qui est la sienne en Mt 5,43-45 : « Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! Moi, je vous dis : aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ». Nous nous retrouvons devant des paroles déconcertantes, voire choquantes et difficiles à comprendre dans un monde dangereux où il faut sans cesse trouver les moyens de se défendre avec ses proches et sa famille. Un amour vécu sans condition, c’est ce que Jésus invite à vivre. Pour lui c’est la seule attitude qui permet de participer à l’amour du Père, « lui qui fait briller son soleil ou tomber la pluie sur les justes comme les injustes ». Voilà bien un enseignement qui demande à être compris dans notre actualité où chaque jour la violence répond à la violence. Je peux pourtant tenter de comprendre les paroles de Jésus. Si la haine seule me conduit dans les rapports que j’ai avec l’autre, je ne verrai dans ce dernier qu’un ennemi à détruire et j’érigerai un mur entre lui et moi. Si je vois en lui un humain qui est aussi un frère, il devient possible d’établir des relations, de parler avec l’autre, de faire tomber le mur de la haine établi entre lui et moi. On est en pleine actualité.

Pardonnez aux hommes leurs fautes

La prière que Jésus donne à ses disciples et que les chrétiens de toutes confessions ne cessent de reprendre dans leurs assemblées touche à la même idée : « Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs... [1] Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. » (Mt 6,12.14-15) Cette prière, nous la faisons tous les jours. Sommes-nous conscients et conséquents avec cette demande que nous formulons sans trop y penser? Cela n’a rien d’évident !

Enlève d’abord la poutre de ton œil 

Un autre texte du sermon sur la Montagne mérite d’être cité :

Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! Tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : « Laisse-moi enlever la paille de ton œil », alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. (Mt 7,1-5)

Attitude utopique ?

Ces paroles sont très fortes. La question qui vient à l’esprit est la suivante : Jésus est-il réaliste? Comment entendre ces appels dans un monde toujours aussi violent? J’essaie d’imaginer la réaction des disciples à une époque où la puissance romaine n’hésitait pas à écraser dans le sang les populations qui se rebellaient contre elle. Les premiers écrits chrétiens, en particulier les Actes des Apôtres, témoignent des difficultés que posait le problème de l’admission de fidèles gréco-romains au sein d’une communauté d’abord essentiellement judéo-chrétienne. En accueillant à Antioche, puis dans les grandes villes de l’Asie Mineure, les « païens » non circoncis, sans leur poser de conditions préalables, Paul s’attire les foudres de certains groupes judéo-chrétiens très attachés à une pratique intégrale de la Loi juive. Certains le poursuivront d’une haine féroce et chercheront à le neutraliser et à contrecarrer son action. Les paroles de Jésus ne vont pas changer les mentalités comme par enchantement. Elles auront besoin d’une lente et longue maturation qui est loin d’être achevée.

Le détour de l’histoire

Ont-ils pris au sérieux cette exigence de l’amour à laquelle le rabbi de Nazareth convie ceux et celles qui désirent le suivre? Les millions de victimes d’Auschwitz, de Treblinka et de tous camps de la mort érigés par des hommes assoiffés de pouvoir, pour détruire d’autres hommes, les opposants ou les vaincus, ne dressent-elles pas vers le ciel un immense point d’interrogation? « Aimer son ennemi, celui qui vous persécute… Tendre la joue gauche à celui qui vous frappe sur la joue gauche… » Voilà des paroles qui ont fait prendre Jésus pour un naïf, un doux rêveur comme disait Renan… Comment résister à l’agresseur qui met en danger son pays et sa famille sans prendre des armes pour se défendre?

Lorsqu’il s’agit de survie, les moyens les plus violents paraissent légitimes. Je sais cela et je peux l’admettre lorsqu’il s’agit de résister à la barbarie. Je suis aussi conscient de tout ce que l’Histoire nous révèle. Lorsque l’empereur Constantin fera du Christianisme la religion de l’Empire, les chrétiens auront tendance à utiliser à leur tour la force et la violence pour imposer leur foi. Pour lutter contre leurs opposants ou les « hérétiques », les papes n’hésiteront pas à « faire appel au bras séculier » qui « soumettait les suspects à la question » ou la torture. Dans ses pratiques historiques, le Christianisme est loin d’avoir mis en pratique le commandement de l’amour de l’ennemi et du respect de l’autre tel que l’exprime Jésus dans les textes que nous avons lus. Il faudra attendre le vingtième siècle finissant pour qu’on reprenne vraiment conscience que le chemin de la haine ne conduit qu’au néant et que rien n’est possible sans réconciliation ou reconnaissance de l’autre.

Le chemin que Jésus nous invite à prendre est un chemin de rupture qui n’a rien à voir avec un amour sirupeux où « tout le monde est bon et gentil ». Il invite à sortir de la logique de la violence pour prendre le chemin de l’amour.

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

[1] Ou encore selon la formule usuelle : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »

Caravane

La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.