Sermon sur la montagne. Károly Ferenczy, 1896. Huile sur toile, 135 x 203 cm. Galerie nationale hongroise (photo : Wikipedia).
Répondre à la violence par le pardon 1/2
Roland Bugnon, CSSP | 13 janvier 2017
Jésus donne à ses disciples un enseignement nouveau qui en bouleversera plus d’un. Dans le Sermon sur la montagne (Mt 5-7), il rassemble les bases d’un enseignement qui montre jusqu’où va l’amour que lui-même ne cesse de vivre dans ses rapports avec ceux et celles qui viennent à lui. Nous nous arrêtons à deux aspects de l’enseignement de Jésus, ceux qui éclairent de manière significative la manière dont Jésus donne une réponse claire au problème de la violence qui régit trop souvent les rapports humains : le pardon et l’amour de l’ennemi.
La violence des rapports sociaux
Vous savez comme moi que la relation à l’autre n’a rien d’évident. Il suffit de peu de chose pour créer un incident, une bagarre, une vengeance et parfois un meurtre. Un « mauvais regard », une moquerie, un geste déplacé ou une infidélité déclenchent rapidement en certains cas un conflit ou une vendetta qui ne s’arrête jamais. La violence habite l’ensemble des rapports sociaux. Elle instaure des relations où le plus fort impose sa loi au plus faible. Cette règle apparaît inévitable, voire naturelle. Le plus riche ou le plus influent dicte ses lois aux plus pauvres et si ces derniers cherchent à faire valoir leurs droits, ils déclenchent une contre violence, par la grève ou l’insurrection qui peut aller jusqu’à la guerre civile. L’histoire humaine est le témoin de ces violences qui ont laissé et laissent encore derrière elles d’immenses mares de sang dans l’histoire des peuples. Le 20e siècle passé a été l’électrochoc pour toutes les personnes qui réfléchissent. Lorsqu’elle ne connaît pas de limites, la violence est capable des pires horreurs que l’humanité ait connues. Les milliers de morts offerts en sacrifice aux divinités antiques ne sont que peu de chose face aux dizaines de millions de morts sacrifiés aux divinités idéologiques du nazisme ou du communisme. Face à la menace destructrice que représente la violence quelle réponse pouvons-nous donner ?
Une recette miracle s.v.p.
Il ne suffit pas de dire « Y a qu’à… », j’en suis bien conscient. Je n’ai aucune recette miracle à fournir à mes contemporains qui se trouvent parfois devant des situations inextricables ou face à des groupes qui ont choisi la violence comme mode d’expression. Face à des situations de guerre, celui qui préconise une autre voie que celle de la vengeance ou d’une violence plus forte que celle dont il a été la victime est vite considéré comme un traître, une mauviette ou un idéaliste. Je n’ai rien à dire a priori à celui ou celle qui s’oppose comme il le peut à la violence qui lui est faite. Mais je sais aussi qu’il est très difficile de sortir de la violence. La victoire sur l’ennemi est souvent suivie par un assouvissement de haine et d’humiliation du vaincu, lequel fera grandir en lui le désir de revanche… On entre alors dans la logique de la vendetta entre familles ou nations. Que de massacres n’a-t-on commis pour venger son honneur? Le nationalisme poussé à l’extrême réduit l’autre à un être malfaisant dont il faut se protéger et se débarrasser par tous les moyens même en le tuant. La situation des minorités en divers points du globe en est l’illustration vivante aujourd’hui. Dans ces situations, la violence régit seule les rapports humains au mépris du droit et de la justice. Elle le fait en imposant la peur, dans le cœur des petits et sans défense. Il ne suffit pas de gagner une guerre, pour en sortir de manière durable, il faut bâtir ou rebâtir la paix. Cette reconstruction ne se fait pas par l’humiliation du vaincu, mais par la force de la parole échangée et la création de relations entre les personnes et les peuples. Au lendemain de la dernière guerre mondiale, en Europe, des hommes comme Robert Schuman, de Gaulle, Adenauer l’ont parfaitement compris en créant ensemble les bases d’une Europe réconciliée.
La charte du Sermon sur la montagne
Le « Sermon sur la montagne » (Mt 5-7) a pu influencer certaines prises de décisions politiques. Ces paroles établissent une sorte de charte de vie pour le disciple qui veut suivre Jésus, mais dépassent largement le cadre purement religieux en mettant en valeur ce que l’on peut nommer « des évidences premières » dont la portée est universelle.
Citons quelques-unes des paroles les plus marquantes de Jésus :
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Les Béatitudes rappellent que l’établissement de rapports humains apaisés suppose des choix très concrets : « Heureux les doux... Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice… Heureux les miséricordieux… Heureux les artisans de paix… » (Mt 5,5-9) Le combat pour la justice et pour la paix fait partie intégrante des exigences fondamentales de l’Évangile. Qui pourrait dire qu’il n’a aucune incidence politique et sociale ?
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Dans le même chapitre, Jésus donne sa propre compréhension de différents commandements de la Loi mosaïque. Par exemple, concernant l’interdit de tuer Jésus montre que l’interdit porte également sur toutes les attitudes qui peuvent conduire au meurtre : la colère, l’injure, l’irrespect de l’autre… Et pour mieux souligner que le respect d’autrui est fondamental dans les relations humaines et la relation de l’homme avec Dieu, il ajoute : « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisses ton offrande, là, devant l’autel, vas d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5,23-34)Les responsables d’Églises se sentent-ils interpellés par l’exigence des paroles de Jésus? Il a fallu des siècles pour que l’on commence à se parler et se respecter.
Pierre le disciple, a pris le temps d’écouter attentivement Jésus et il a compris que l’amour et le respect d’autrui est une exigence première. Mais il connaît la vie et les difficultés auxquelles chacun est confronté. Les mésententes sont fréquentes, les querelles familiales, les divisions nées de difficiles partages. Il a entendu l’appel de Jésus au pardon à donner à celui qui a offensé. Mais une question demeure en lui : jusqu’où aller? Il pose la question à Jésus : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner? Jusqu’à sept fois? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. » (Mt 18,21-22)
Rompre la logique de la vengeance
Quel constat peut-on faire à l’écoute de ces paroles? Pour sortir de la violence, il faut à un moment ou un autre rompre la logique infernale de la vengeance et de la contre-vengeance. Cette rupture passe par un travail de réconciliation. Paul dira plus tard que Jésus est venu briser le mur de la haine qui sépare les peuples, les familles, les groupes sociaux, les hommes et les femmes entre eux. Ce chemin de réconciliation humaine passe par la main tendue, la reconnaissance de l’autre, le refus de la guerre, la discussion et le pardon. En indiquant cette direction, Jésus rompt avec toute une tradition. Ce n’est pas un chemin de facilité, mais une condition de survie. En sommes-nous bien conscients?
Face à la haine et la violence, Jésus ne reste pas dans une belle passivité, il propose d’y répondre en utilisant, comme seule arme, la force de l’amour. C’est ce que nous développerons dans le prochain article.
Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique.