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La lampe de ma vie
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chronique du 2 septembre 2016

 

Ézéchiel : quand Dieu s’exile pour être avec son peuple

Ézéchiel

Vitrail représentant le prophète Ézéchiel
Allemagne, milieu du 15e siècle
Victoria and Albert Museum, Londres

En 587 av. J.-C., Jérusalem est détruite par les troupes de Nabuchodonosor. Le Temple est pillé et détruit par le feu. Une partie du peuple est déporté de force. Ézéchiel est un ancien prêtre du Temple de Jérusalem qui a vécu avec les exilés dans la capitale de l’empire babylonien. Il parle à partir de visions qui s’imposent à lui et qu’il transcrit en images et symboles, créant ainsi un langage que l’on retrouvera plus tard dans les livres apocalyptiques. Ézéchiel jouera certainement un rôle fondamental auprès de ce peuple qui a perdu tous ses repères habituels. Or, Dieu ne l’a pas abandonné. Bien au contraire, Dieu les accompagne en exil. Sa première vision, sur une terre étrangère, en constitue l’annonce :

La parole de Dieu fut adressée à Ézékiel, fils du prêtre Bouzi, dans le pays des Chaldéens, au bord du fleuve Kebar. La main du Seigneur se posa sur lui. J’ai vu : un vent de tempête venant du nord, un gros nuage, un feu jaillissant et, autour, une clarté ; au milieu, comme un scintillement de vermeil du milieu du feu. Au milieu, la forme de quatre Vivants ; elle paraissait une forme humaine… (Ez 1,3-4)

Au-dessus de ce firmament, il y avait une forme de trône, qui ressemblait à du saphir ; et, sur ce trône, quelqu’un qui avait l’aspect d’un être humain, au-dessus, tout en haut. Puis j’ai vu comme un scintillement de vermeil, comme l’aspect d’un feu qui l’enveloppait tout autour, à partir de ce qui semblait être ses reins et au-dessus. À partir de ce qui semblait être ses reins et au-dessous, j’ai vu comme l’aspect d’un feu et, autour, une clarté. Comme l’arc apparaît dans la nuée un jour de pluie, ainsi cette clarté à l’entour : c’était l’aspect, la forme de la gloire du Seigneur. À cette vue, je tombai face contre terre, et j’entendis une voix qui me parlait. (Ez 1,26-28)

     Cette vision apporte un élément nouveau dans la conception religieuse d’Israël de cette époque. À une population encore traumatisée, Ezéchiel annonce que Dieu n’est lié ni à un temple, ni à un lieu particulier, ni aux sacrifices qu’on lui offre. Il a accompagné son peuple en exil, il reste avec lui. Son amour pour lui est gratuit et ce qu’il attend, c’est une réponse personnelle à son amour. L’idée d’un Dieu différent de l’antique conception se met en place, ainsi que la prise de conscience de la responsabilité personnelle. Ezéchiel l’exprime dans un de ses oracles :

Et pourtant vous dites : « La conduite du Seigneur n’est pas la bonne ». Écoutez donc, fils dIsraël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. (Ez 18,25-28)

     Durant la haute antiquité, on voit la vie de l’homme prise dans les griffes de la destinée à laquelle il ne peut échapper ou soumise à l’arbitraire divin. L’apport du courant, initié par le prophète Ezéchiel, est de poser l’humain comme responsable de son destin. Dans la réflexion qui est la nôtre, cette notion est capitale et très moderne. Elle inaugure la conception d’un homme libre de ses choix et responsable de ce qui lui arrive. Ajoutons encore l’idée de faute ou du péché. Le refus de marcher dans le droit et la justice conduit à la mort. Mais la reconnaissance de ses fautes et le retour ou la conversion à Dieu conduisent à la vie. L’agir moral prend une place de plus en plus grande dans la pratique religieuse. On ne peut pas « plaire à Dieu » sans s’efforcer de vivre selon sa loi ou les dix paroles (ou commandements) données à Moïse sur le Sinaï. En exil à Babylone, le peuple d’Israël invente également une nouvelle pratique religieuse dans laquelle l’écoute et la fidélité aux Paroles du Seigneur ainsi que la méditation des « hauts faits de Dieu en faveur de son peuple » prennent de plus en plus de place. À Babylone, commence une longue relecture méditée des anciennes traditions tribales et l’écriture progressive des livres de la Bible autour desquels Israël forgera son identité. Soulignons également l’apparition progressive d’un culte organisé autour de la Parole célébrée, commentée, méditée, priée.

     Le langage prophétique présente des rugosités que nos esprits modernes peinent à accepter. Quand un prophète s’exprime, il n’utilise pas la langue de bois. Il dénonce sans ménagement certains comportements et les paroles qu’il prête à Dieu heurtent la sensibilité de notre temps. Le prophète tranche dans le vif. D’un côté, il y a le juste et de l’autre l’injuste et le méchant. Je sais que ce n’est pas si simple et que le cœur humain est partagé : Je connais également les dégâts psychologiques causés par une notion de culpabilité exacerbée autour du péché… Cela n’empêche pas d’entendre le message du prophète ! Les catastrophes (écologiques, financières, sociales), la violence qui se déchaîne (les guerres et leurs flots de réfugiés) les violences sociales (fossé grandissant entre pauvres et riches) dont nous sommes témoins aujourd’hui et parfois victimes, ont souvent une origine humaine : le choix catastrophique d’hommes politiques, les jeux financiers des grandes banques, la mégalomanie qui prend la tête et le cœur de certains individus insensibles aux conséquences désastreuses de leurs choix… Suffit-il de dire comme certains ministres après une catastrophe sanitaires ; responsable, mais pas coupable ? Les décisions concrètes prises à tel moment génèrent des conséquences. Ne prendre en considération que son propre ego sans tenir compte de l’autre peut devenir criminel. Le prophète n’est pas un moralisateur. C’est un homme lucide sur tout ce qui se vit autour de lui. Il met en garde et rappelle que les choix effectués ont des conséquences dont on ne peut pas se dédouaner purement et simplement. Pourtant, malgré un diagnostic très sévère, Ézéchiel reste optimiste et plein d’espérance ; il connaît la fidélité de Dieu pour son peuple et n’oublie pas de la rappeler en des termes bouleversants :

Je sanctifierai mon grand nom, profané parmi les nations, mon nom que vous avez profané au milieu d’elles. Alors les nations sauront que Je suis le Seigneur – oracle du Seigneur Dieu – quand par vous je manifesterai ma sainteté à leurs yeux. Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères : vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. (Ez 33,23-28)

     Les paroles de prophètes comme Ezéchiel sont recueillies et méditées largement par les disciples qui se rassemblent autour d’eux. Ils vont avoir des conséquences sur la manière de penser l’histoire biblique. Pris dans un univers intellectuel et culturel puissant, les exilés côtoient une littérature religieuse particulière à ce temps, avec des cultes et des rituels qui s’organisent autour de grands mythes d’origine qui parlent, eux aussi, de l’être humain et de son destin dans le monde. Cette littérature va influencer les scribes juifs qui se demandent eux aussi comment parler du destin de l’humain, de son origine et des raisons qui peuvent expliquer sa situation dans un monde marqué par la violence et la mort. À cette époque, commence probablement l’écriture des onze premiers chapitres de la Genèse, qui fourniront la matière de notre prochaine réflexion.

Roland Bugnon

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Jérémie : annoncer l’alliance lorsque tout s’effondre

 

 

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