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La lampe de ma vie
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chronique du 1er juin 2012

 

Jésus a-t-il voulu fonder une religion ?

QuestionJésus Christ a-t-il vraiment voulu fonder une religion? Si oui, est-ce que l'Église, telle qu'on la connaît, correspond à ce qu'il voulait? » (Conrad de Paracou au Bénin)

RéponseVotre question a immédiatement réveillé en moi un vieux souvenir de l’époque où je faisais mes études de théologie. Le cours d’histoire de l’Église évoquait les démêlés entre le monde moderne et les autorités religieuses de la fin du XIXe siècle — début du XXe. Un professeur de sciences bibliques à Paris, Alfred Loisy, fait scandale lorsque sort l’un de ses livres, L'Évangile et l'Église (1902). Il y écrit une formule lapidaire restée célèbre : « Le Christ a annoncé le Royaume, mais c'est l'Église qui est venue. » Prise comme telle, la formule met en opposition le Royaume annoncé par Jésus et l’Église telle qu’elle s’est édifiée, avec ses dogmes et ses institutions, au fil des siècles.

     Il faut savoir qu’à l’époque en France, le conflit est ouvert entre les cléricaux, les défenseurs de l’Église, et les anticléricaux qui développent une critique virulente contre l’Église et sa prétention à tout soumettre à son autorité. Par ailleurs, les études bibliques, du côté catholique, en sont à leurs débuts. Le monde moderne et la papauté ne font pas bon ménage. Le pape Pie X s’apprête à lancer sa croisade contre le modernisme qui, à ses yeux, menace l’Église. Dans un tel contexte, la formule de Loisy est prise sans nuances. Elle sera en partie à l’origine de l’opposition que l’on établira entre l’Évangile ou le Royaume de Dieu et l’Église-institution, entre la foi et la religion. Votre question en est l’écho.

Jésus Christ a-t-il vraiment voulu fonder une religion?

     Il faut bien reconnaître qu’entre Jésus et sa prédication d’un côté et l’Église telle qu’elle s’est édifiée, de l’autre, il y a de grandes différences. L’enseignement des Béatitudes est bien au centre du message de Jésus, mais la manière dont il est vécu, reste souvent, au cours des siècles, très éloigné de son origine. Les querelles théologiques, la chasse aux hérétiques, le tribunal de l’Inquisition, les fastes des différentes cours papales ou encore le comportement d’un haut et d’un bas clergé souvent corrompu et plus soucieux d’argent que de vie évangélique, seront autant d’éléments qui ne cesseront de caricaturer le message évangélique. Est-ce cela que Jésus a voulu? La réponse doit être claire : non! Jésus n’a pas voulu cela. Mais alors qu’a-t-il vraiment voulu? Pour éclairer la question et tenter d’y répondre, procédons par étapes successives :

  1. Jésus était d’origine juive et partageait fidèlement la foi des hommes et des femmes de son pays. Il se réfère sans cesse aux Écritures juives; il suit scrupuleusement les préceptes de la Loi mosaïque, observe le sabbat et se rend à la synagogue pour y prier. Il le dira lui-même en Mt 5,17 : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les ProphètesJ je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. » Jésus n’a pas l’intention de supprimer la Loi juive, mais de la pousser vers son accomplissement. C’est ce qu’il explicite un peu plus loin (Mt 5,21-48) dans sa mise en opposition entre l’enseignement traditionnel (On vous a dit...) et sa propre manière de voir ou de comprendre la Loi en vérité (Moi je vous dis...).

  2. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion, mais son comportement et son enseignement remettent en cause une certaine manière de pratiquer la foi juive. Il le fait à propos de la loi du pur et de l’impur ou de celle du repos du sabbat. Il refuse toute séparation arbitraire entre les justes et les injustes; il refuse l’image de Dieu véhiculée par une certaine pratique religieuse et critique vertement toute forme d’hypocrisie religieuse. Il suscite contre lui une haine féroce qui le conduira à la mort en croix.

  3. En même temps, Jésus rassemble des disciples et suscite en eux une grande espérance. Pour que son message ne se perde pas, il invite ses disciples les plus proches, les Douze, à devenir ses témoins, à porter au monde la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu offert à tout être humain sans exception. La rencontre avec le Ressuscité et l’effusion de son Esprit en eux seront déterminantes. Le livre des Actes des Apôtres rapporte une série d’événements qui indiquent de quelle manière les premiers disciples se rassemblent autour de la Parole laissée par Jésus aux apôtres, font mémoire du Seigneur, chaque premier jour de la semaine en s’organisant sur le modèle des assemblées synagogales et forment une assemblée, une Église ou communauté qui décide de vivre selon le modèle préconisé par Jésus, dans une grande solidarité. Le modèle de vie de cette nouvelle communauté est donné dans une célèbre phrase des Actes en 2,42 : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. »

     Entendons-nous bien! Durant les premières années de son existence, la jeune communauté qui garde précieusement le souvenir de Jésus ne se distingue pas vraiment de la grande communauté juive de Jérusalem. C’est un groupe particulier qui s’est constitué, une sorte de secte, comme il en existe beaucoup d’autres à l’époque. Un changement radical va s’opérer en dehors de la Palestine. À Antioche, tout particulièrement, des hommes et des femmes d’origine gréco-romaine – des païens comme on les appelle à l’époque – sont accueillis sans restriction dans ces communautés. Mais communier au même pain ou s’asseoir à la même table pour partager le même repas est inacceptable pour des juifs ultra-orthodoxes. Les premières querelles se déclenchent à ce propos. Paul et Barnabé vont discuter du problème à Jérusalem. L’acceptation totale des païens dans l’Église ouvre le temps de l’Église universelle. Le torchon brûle entre Paul et certaines communautés juives de la diaspora. À Antioche de Pisidie (Ac 13,42-52), le refus d’écouter Paul pousse ce dernier à se tourner résolument vers les païens. C’est un nouveau tournant. L’Église prend peu à peu le visage de ces femmes et de ces hommes qui ne connaissent rien du Judaïsme, mais qui adhèrent à la Parole de Jésus annoncée par les apôtres?  

L’Église voulue par Jésus

     Nous pouvons maintenant mieux répondre à la première question et ouvrir la deuxième, celle qui porte sur l’Église d’aujourd’hui. Jésus n’a pas fondé une religion clés en main, avec ses lois, ses rites et son clergé... Il rassemble autour de lui un premier groupe de disciples qu’il invite à le suivre et à se mettre à l’écoute de sa parole. Cette parole, les disciples vont la garder précieusement et l’annoncer autour d’eux. Les fruits que fera naître leur prédication seront différents en fonction des lieux et des personnes qui seront touchées. Les nouvelles assemblées ou églises chrétiennes doivent s’organiser concrètement. Elles le font en reprenant en partie le modèle de la synagogue, élisent des anciens ou responsables. Peu à peu, elles fixent les règles qui permettent de trouver une solution à leurs propres litiges, organisent les rencontres dominicales, portent le souci des plus pauvres et des personnes de plus en plus nombreuses, venues d’origines très diverses... Ces premières communautés vivent intensément leur foi en Jésus le Christ et Seigneur et, ce faisant, elles « inventent » le visage des différentes églises. L’élément directeur est le même pour tous : la foi dans le message laissé par Jésus et la volonté de vivre cette foi de manière conséquente. Toutefois le visage de l’Église prend différentes formes historiques. On ne vit pas de la même manière à Rome ou en Orient ou en Éthiopie et le temps ne fera qu’accentuer cette diversité avec des problèmes de compréhension et d’organisation que cela comporte. Les responsables des plus grandes églises, les évêques, se réunissent pour discuter des problèmes de foi et de discipline. Leur rôle prend alors de plus en plus d’importance. Les premiers conciles tentent de donner des points de repère sur la foi et l’Église et les grandes questions qui apparaissent. C’est le temps de la fixation de la foi avec le Credo.

Constantin le Grand

     Lorsque l’empereur Constantin promulgue l’édit de Milan en 313, l’Église s’officialise et se « fonctionnarise », reprenant beaucoup des usages romains. Elle devient brusquement le soutien d’un pouvoir que, jusqu’alors, elle remettait en cause. Ainsi en va-t-il tout au long des siècles. Je peux en tirer une conclusion : Jésus n’a pas voulu positivement ce développement-là. Il accepte pour elle la loi d’incarnation. Elle est dans le monde qui se fait, en partage toutes les caractéristiques symboliques, culturelles et sociales, subit ses guerres, ses antagonismes et ses évolutions, plus ou moins harmonieusement. Mais en même temps, l’Église donne naissance, tout au long de son histoire, à des hommes et des femmes qui par leur action et l’ensemble de leurs vies, vont marquer leur temps, le faire évoluer et semer sans cesse la Parole de Jésus Christ. Lorsque ce dernier envoie ses disciples annoncer au monde entier la Bonne Nouvelle du Royaume, il les invite à prendre modèle sur lui-même et leur promet l’assistance de son Esprit. Pour le reste, il les laisse à leur liberté et leur imagination.

     Il existe de nombreuses manières manière de vivre dans l’Église et nous avons, comme nos prédécesseurs, à continuer sa construction non en reproduisant sans cesse les éléments d’un passé définitivement révolu, mais en inventant l’Église d’aujourd’hui, celle que Dieu souhaite voir naître au cœur de notre monde. Personne ne possède de solutions toutes prêtes. Il ne sert à rien d’attendre que Rome décide de tout. Ce sont dans des communautés vivantes que se construit aujourd’hui l’Église de demain, avec l’assistance de l’Esprit du Ressuscité qu’il faut sans cesse appeler et prier. S’il est vrai que, dans les figures historiques de l’Église, nous sommes surtout sensibles, à ce qui est parfois fort critiquable, n’oublions pas tout ce que Dieu a réalisé et continue de faire grâce à elle. Si nous acceptons de bien regarder, nous constatons que la Parole de l’Évangile poursuit sa route et porte du fruit en abondance. L’essentiel est bien là.

Roland Bugnon

Série précédente :
École de la prière

 

 

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