(Izithombe / Wikimedia)
De l’autoroute des larmes au droit à la mobilité : un angle mort?
Renaude Grégoire | 11 septembre 2023
En Colombie-Britannique, l’autoroute 16, particulièrement sur une portion de 724 kilomètres, a reçu le surnom de « Autoroutes des larmes ». Des meurtres et des disparitions ont eu lieu le long de cette autoroute (ou à proximité) caractérisée par l’absence ou le peu de services de transport public, et la majorité n’a pas été résolue. Depuis 1969, sur les 46 femmes et adolescentes assassinées ou disparues, 33 étaient des autochtones. Peu de médias ont fait écho de cette situation.
En mai 2017, la Saskatchewan a aboli son service de transport en autobus entre les petites municipalités rurales. Les conséquences ont été importantes spécialement pour les femmes, les jeunes et les personnes âgées contraints à faire de l’auto-stop pour aller à leur rendez-vous ou au travail. Des cas d’agression sexuelle ont été documentés par les maisons d’hébergement de femmes. La compagnie privée qui assurait le service dans les milieux ruraux dans l’Ouest canadien a fait de même quelques mois plus tard. Une compagnie d’autobus a comblé le vide laissé par la compagnie privée y voyant une opportunité d’affaires avec les routes entre les grandes villes. Cela ne garantit en rien que l’histoire ne va pas se répéter.
Dans la ville de Québec, un collectif porte à notre attention le droit à la mobilité. Faisant suite à une initiative du CAPMO, le Collectif pour un transport abordable et accessible à Québec (TRAAQ) milite pour l’accès au transport en commun des personnes à faible revenu. Il donne la parole au vécu des femmes qui doivent souvent renoncer au transport en commun pour des raisons de contraintes financières.
Ces exemples illustrent que le transport est vu et organisé comme une entreprise lucrative en premier lieu et non pas comme un droit humain. Et que l’angle mort est l’accessibilité pour les personnes vulnérables de notre société ; tous et toutes devraient avoir droit à des systèmes de transport permettant d’accéder aux services les plus fondamentaux : santé, achats de biens essentiels, visite à la famille et aux amis, loisirs. N’oublions pas que les personnes à une mobilité réduite ou se déplaçant en fauteuil roulant. Et se déplacer en été est bien différent des défis de se déplacer en hiver.
Dans la Bible, le parcours de Ruth et Noémi de Moab à Bethléem n’est pas sans embuches ni danger même si le texte biblique n’en fait pas mention. La même chose pour la visite de Marie à Élizabeth, de la Galilée à la Judée. Et cela sans compter le périple de la petite famille, Joseph, Marie et l’enfant Jésus menacé par Hérode, de la Palestine en Égypte. Le récit de l’homme tombé aux mains des brigands pourrait nous amener à l’actualiser avec des personnes vulnérables d’aujourd’hui dont les femmes n’ayant d’autres choix que de prendre la route sans transport public accessible, avec peu de sécurité et de protection minimale.
Une autre parole de Jésus pourrait bien nous inviter à considérer les choses du point de vue des marginalisés des transports publics (et d’autres services fondamentaux en vue du bien commun), c’est du moins ce que j’entends comme invitation dans cette parole de l’Évangile : les derniers seront les premiers. En d’autres mots, considérer en premier les derniers de l’échelle sociale et économique lorsqu’il est question d’un droit humain fondamental reste un impératif moral pour toute personne qui situe sa vie dans la suite de Jésus.
Or la mobilité est un droit, nous rappelle la TRAAQ. En 2022, un projet pilote dans Kamouraska soutient à 50% les frais de déplacement des personnes à faible revenu, que ce soit pour un rendez-vous médical, pour un déplacement à l’épicerie, dans un groupe communautaire ou à un service gouvernemental.
Quelle parole, quel geste, quel plaidoyer faire pour que la mobilité des personnes ayant pas ou peu de ressources économiques, physiques et relationnelles soit un vrai droit pour toutes et tous et ne reste pas dans notre angle mort?
Renaude Grégoire est engagée dans des réseaux de justice sociale depuis une vingtaine d’années. Elle collabore à divers projets de justice sociale, de paix et de protection de l’environnement.