(photo © Mark Garten / UN)
Le plaidoyer : une responsabilité
Renaude Grégoire | 17 janvier 2022
Victime d’une tentative d’assassinat en octobre 2012 alors qu’elle est dans l’autobus pour se rendre à son école au Pakistan, Malala Yousafzai est invitée sur plusieurs tribunes pour présenter son plaidoyer. Défenseure des droits des enfants et particulièrement des filles, elle milite entres autres pour que tous les enfants puissent fréquenter l’école. Dès 2009, elle exprime ses revendications sur un blogue. Elle n’hésite pas à visiter des enfants dans des camps de réfugiés. En juillet 2013, Malala prononce un discours [1] devant des membres des Nations Unies à New York. Son plaidoyer, sur le fait de ne pas laisser tomber les millions d’enfants sans école, peut se résumer par cette phrase si marquante de son discours qu’elle a reproduite sur un des murs du Centre des Visiteurs des Nations Unies à New York : Un enfant, un professeur, un livre et un crayon peuvent changer le monde.
En 2021, des bénévoles ont tenu des activités mensuelles de plaidoyer pour l’équité en matière de santé, de nutrition et d’inclusion économique, afin de faire reculer les inégalités causées par la pandémie. Le plaidoyer du personnel et des bénévoles de Résultat Canada, avec 280 lettres publiées dans les journaux, des rencontres et d’entretiens téléphoniques auprès des parlementaires canadiens, a connu des résultats positifs afin que le Canada investisse dans des initiatives mondiales pour la vaccination et l’éducation des enfants.
Le plaidoyer est l’une des dimensions de la justice sociale. L’UNICEF le définit comme suit :
Le plaidoyer c’est faire quelque chose pour soutenir, recommander, ou prendre des mesures relatives à une idée ou à une cause qui vous préoccupe. Le plaidoyer c’est faire entendre des voix, car souvent les idées ou pratiques que nous souhaitons changer affectent les personnes les plus vulnérables dans la société. Le plaidoyer utilise cette voix collective pour défendre et protéger les droits, pour soutenir des initiatives ou des causes [2].
Le plaidoyer dans la Bible
Prends la parole en faveur du muet, pour la cause de tous les affligés ;
prends la parole et dis le droit pour la cause du pauvre et du malheureux.
Proverbes 31, 8-9
Si le plaidoyer peut être vu comme un don (Ah! Toi tu as la parole facile! Disons-nous!), il est aussi un appel et une responsabilité.
Moïse a présenté des inquiétudes et des objections lorsque Dieu lui a partagé son projet de libération. Bien que qu’il ait été élevé dans l’entourage du Pharaon, Moïse objecte à Dieu ceci : « Qui suis-je pour aller trouver le Pharaon? » (Exode 3,11) Moïse est appelé à réunir les esclaves hébreux. Or ceux-ci voudront-ils faire confiance à ce Dieu qui n’est pas connu? Qui s’est présenté à Moise comme celui qui a entendu leurs cris de souffrances et qu’il veut les faire sortir d’Égypte et les amener dans un pays de lait et de miel?
S’ajoute aussi les tensions qui seront en croissance puisque « le roi d’Égypte ne vous laissera pas partir… » (Exode 3, 19). En effet, dès la première demande de Moïse et d’Aaron (Exode 5), le Pharaon va donner ces ordres aux inspecteurs et surveillants du peuple : « Faites-les travailler davantage et ils ne se laisseront plus tourner la tête avec toutes ces bêtises. » (Exode 5,9). Moïse s’en plaindra dans son dialogue avec Dieu : « Depuis que je suis venu trouver le Pharaon pour lui parler en ton nom, il n’a cessé de maltraiter ce peuple et tu n’as rien fait pour le délivrer. » (Exode 5,22)
Finalement, Moïse présente une autre objection : « Je n’ai jamais su bien parler, et ce n’est pas mieux depuis que tu parles à ton serviteur. Je ne trouve pas les mots pour m’exprimer. » (Exode 3, 10) Et il en rajoute : « Je t’en prie, envoie ton message par qui tu voudras. » (Exode 3, 13). Aaron, qui a la parole facile, fera équipe avec Moïse car Dieu assure ceci : « Moi, je serai dans ta bouche et dans la sienne, et je vous dirai ce que vous devez faire. »
Une femme prend la parole et ose faire son plaidoyer devant Jésus. En fait, les disciples veulent que Jésus la renvoie, car elle les poursuit de ses cris! Or, la demande de la Cananéenne concernait ce qui est le plus important de sa vie : sa fille! Face à la réponse de Jésus, elle apporte un argumentaire convainquant : « Les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » (Marc 7,28) On y voit un exemple de foi et de prière. Or c’est aussi un exemple de plaidoyer!
Commentaires
À la lumière de l’expérience de Moïse et d’Aaron, de la persévérance de la Cananéenne, nous pouvons réfléchir sur la nécessité du plaidoyer avec les personnes dont les droits sont bafoués. Plusieurs organismes utilisent le plaidoyer comme un des aspects de leurs activités de justice sociale. Donner à manger, vêtir, loger, accompagner, soutenir financièrement, c’est important mais cela doit s’accompagner d’un plaidoyer. Interpeller les autorités sur la réalité des sans droits et sur leurs obligations envers les droits humains est une responsabilité. Être du côté des plus vulnérables et des plus pauvres, c’est affirmer leurs droits devant les possédants et les gouvernements.
Un jour, j’ai participé à une rencontre sur le plaidoyer en présence de parlementaires de différents partis politiques à Ottawa. L’un d’eux disait, devant le flot de correspondance et de dossiers portés par les élus, qu’il portait son attention de manière plus intense si le plaidoyer était régulier (donc plus qu’une fois) et accompagné par un bon argumentaire sur le même sujet par des organisations et des regroupements crédibles. Il ajoutait que de proposer des solutions ou faire des recommandations constitue une bonne pratique pour débuter un dialogue.
Des organisations ont développé des moyens simples de faire du plaidoyer : former une équipe, suivre une formation, rencontrer son député ou un élu, signer une pétition, écrire une lettre pour partager nos préoccupations, diffuser un mémoire ou une prise de position, utiliser les médias, dont les médias sociaux, pour rendre visible un droit humain. Être membre ou faire un don à l’un ou l’autre de ces organisations de plaidoyer nous sort de notre individualisme et contribue à la vie collective.
Parmi celles-ci, soulignons ATD Quart-Monde, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, le Centre justice et foi, la Jeunesse étudiante chrétienne, Kairos, les organismes de défense du droit au logement, etc. Faire valoir les droits les plus élémentaires est une responsabilité humaine et chrétienne.
Renaude Grégoire est engagée dans des réseaux de justice sociale depuis une vingtaine d’années. Elle collabore à divers projets de justice sociale, de paix et de protection de l’environnement.
[1] Voir https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/382827/education-la-jeune-malala-prononce-un-discours-a-l-onu-pour-ses-16-ans
[2]
Voir https://www.voicesofyouth.org/fr/outils-ressources/guide-pour-le-plaidoyer-des-jeunes - Guide de plaidoyer pour les jeunes, page 8.