(photo : Umberto Chavez / Unsplash)
Comprendre la Bible à travers le prisme des migrations
Martin Bellerose | 27 janvier 2020
Nous entamons la troisième décennie du XXIe siècle et je sens se lever en moi un vent d’optimisme. Je me dis en moi-même, comment peut-on faire pire que la décennie qui vient de se terminer? Je ne passerai pas en revu la liste des affres des années 2010 parce que chaque point que je soulèverais ferait l’objet de discussion, de désaccord – ce qui est très sain en soi – mais je ne cherche pas ici à partager mon appréciation de la décade qui s’achève. Il reste que mon regard très subjectif sur ces années m’en donne une perception sombre, voire très sombre.
Malgré mon « optimisme » qui me dit que rien ne peut être pire politiquement, socialement, économiquement et religieusement que les dix dernières années (en termes macros bien entendu), l’histoire nous enseigne aussi qu’en terme de noirceur historique les frontières des superlatifs sont souvent repoussées donnant lieu à des expériences et des réalités encore « plus pires » que les pires moments précédemment vécus.
Beaucoup de gens font une lecture toute différente et parfois diamétralement opposée à la mienne et il en est très bien ainsi. Cependant, l’état d’âme dans lequel se trouvent ceux qui comme moi perçoivent la dernière décennie comme ayant été lugubre ne trouvent plus beaucoup de bouées auxquelles se raccrocher : idéologies, projets de société, idéaux politiques, mouvement de masse euphorisant, etc. Rien de tout cela ne pointe à l’horizon. Les plus satisfaits de l’état des choses s’accrochent au consumérisme, parmi les plus insatisfaits on jette trop souvent la pierre aux immigrants, à ceux qui ont la foi et aux exclus de toutes sortes et on s’accroche à une identité que l’on croit « naturelle », « supérieure » et « allant de soi ».
Je crois sincèrement qu’il y a d’autres choses possibles, et ce que je choisis est de croire, croire au Jésus-Christ de la Bible. Une Bible qui n’appartient pas à un apparatchik religieux ou clérical, ni en ses lectures fondamentalistes idéologisées, ni au fait qu’il s’agirait d’un code moral auquel il faut obéir sous peine d’enfer.
Le caractère testimonial des Écritures est à redécouvrir. Pour beaucoup de croyants, il va de soi qu’on sait apprendre de Dieu à travers l’expérience des autres et qu’Il nous est rendu accessible grâce à leur témoignage. Ceux pour qui cela est moins évident auront à l’apprendre ou le réapprendre. On a à découvrir ou à redécouvrir que la foi s’enseigne par l’expérience, de la même manière que la foi chrétienne est basée sur les Évangiles qui sont le témoignage de chrétiens ayant vécu une expérience avec Jésus Christ et c’est sur cette expérience que l’on bâtit notre foi. Toutefois, Jésus n’est pas emprisonné dans la mort, il vit, l’Esprit saint se meut en nous et parmi nous. Des humains continuent à vivre une expérience avec le Christ, avec l’Esprit et leur témoignage s’ajoute à celui des premiers chrétiens et peuvent nous aider à comprendre notre propre expérience avec Dieu dans le contexte dans lequel nous vivons.
Dans la décennie qui commence, les Écritures constituent une source d’espérance. Le projet de Royaume auquel elles nous invitent est une option à considérer pour ceux qui n’en peuvent plus du monde dans lequel nous vivons, un monde de marginalisation, d’exploitation, d’oppression et où la pire des choses se produit, c’est-à-dire lorsque nous avons perdu la capacité de prendre conscience et d’admettre que nous souffrons nous-mêmes de cette exploitation et oppression.
Les prophètes du Premier Testament ont dénoncé les oppressions de leur temps et beaucoup parmi ceux-ci ont souffert des conséquences de leur lucidité. Le lieu théologique privilégié à partir duquel ils écrivaient est sans doute leur propre réalité migratoire. L’expérience des premiers chrétiens est aussi celle de personnes qui migrent généralement à cause de la persécution qu’ils vivent. C’est dans un tel contexte qu’une grande partie des textes néotestamentaires sont rédigés. Certains textes sont aussi écrits parce que l’auteur n’a précisément pas pu migrer, c’est le cas des lettres écrites depuis la captivité.
Les mouvements migratoires de tous genres (réfugiés politiques et climatiques, migrants « économiques », etc.) caractérisent ce début de décennie. L’importance de ces migrations pour les humains font des différents contextes migratoires le locus theologicus de notre temps. Vues dans cette perspective, les expériences des chrétiens d’aujourd’hui n’ont jamais été si proches de celles des juifs de l’exil et celles des premiers chrétiens. Les théologiens, ainsi que l’ensemble des chrétiens, auront à saisir l’extraordinaire pertinence de la Bible pour ceux qui, en ce début de décennie, croient toujours en la possibilité du Règne de Dieu incarné dans l’histoire.
Martin Bellerose est théologien et directeur de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).