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Comment chanter un chant du Seigneur en terre étrangère ? (Ps 137,4)

Martin BelleroseMartin Bellerose | 19 novembre 2018

Au moment où les caravanes de Honduriens, Salvadoriens et Guatémaltèques ont entrepris la longue et inimaginable marche à travers le Guatemala et le Mexique dans le but d’arriver aux portes des États-Unis d’Amérique où, semble-t-il, il n’y a pas d’intentions exprimées de vouloir leur offrir l’hospitalité, des bribes du Psaume 137 nous viennent à l’esprit.  

Ces migrants, par chaque cours d’eau qu’ils traversent, chaque berge au bord desquels ils se reposent ou chaque rivière à laquelle ils s’abreuvent, l’écho des premiers versets se fait entendre : « Là-bas, au bord des fleuves de Babylone, nous restions assis tout éplorés en pensant à Sion. Aux saules du voisinage nous avions pendu nos lyres. » (Ps 137,1-2) Éventuellement ils se diront peut-être la même chose que les Jérusalémites à Babylone, lorsqu’après une journée de travail au noir ils seront aux abords du fleuve Hudson ou du Potomac. 

À Jérusalem, des conquérants les ont arrachés à leurs racines. En Amérique centrale, des pilleurs et délinquants installés au pouvoir, comme au « bon vieux temps » des dictatures militaires, les déracinent par l’appauvrissement. La spoliation et l’anéantissement de tout espoir de mesures sociales solidaires les expulsent de chez eux. 

Ils sont pris entre la nostalgie de la terre laissée derrière et l’espérance d’une terre d’accueil qu’on sait décevante d’avance. La rage au cœur, le psalmiste se disait : « Seigneur, pense aux fils d’Édom, qui disaient au jour de Jérusalem : “Rasez, rasez jusqu’aux fondations !” » (Ps 137,7) 

Le drame de l’exilé

Le grand paradoxe du réfugié d’aujourd’hui, tout comme celui de l’exilé du Psaume 137 est ô combien il aime cette terre qu’il a été forcé de quitter, mais il déteste tellement ce qui s’y passe. Que ce soit l’idolâtrie des Jérusalémites ou la corruption des gens du pouvoir et des criminels qui terrorisent la population; qu’ils aient été mis de force dans un convoi vers Babylone ou qu’ils aient pris la décision de partir pour le pays des « tru(o)mperies », ce n’est pas leur patrie qu’ils quittent mais la perversion qui y sévit.

Aussi, cette terre vers laquelle il va, ô combien il la déteste. Celle dont les intérêts de son oligarchie conspiratrice des affres flagellant sa nation, mais, paradoxalement, il y aspire à cette terre vers laquelle il va. Et pourtant il sait trop ce qui l’y attend : le cheap labor, la peur constante d’être expulsé, la discrimination « causé » par son indélébile latinité qu’il maudira parfois. Le verset 8 raisonnera dans ses pensées : « Fille de Babylone, promise au ravage, heureux qui te traitera comme tu nous as traités ! » Amertume, vengeance et tous les sentiments qui rongent le cœur et l’âme le poursuivront. Les désirs les plus indésirables foudroient l’exilé. Celui du Psaume criera : « Heureux qui saisira tes nourrissons pour les broyer sur le roc ! » (Ps 137,9) En effet, comment chanter un chant du Seigneur en terre étrangère?

L’exilé qui a osé chanter et proclamer

Les premiers chrétiens l’ont fait. Ils ont osé chanter et proclamer Jésus le Christ et son message de « royaume de Dieu pour les marginalisés, opprimés, exilés ». Le christianisme ne s’est pas propagé par les bonnes œuvres des missionnaires. Ça c’est l’image qui a bien plus au colonialisme : le bon missionnaire venu d’Europe pour enseigner la « Vérité » aux populations ignorantes.  

La première vague d’évangélisation a été faite par des exilés. Le chapitre 8 des Actes des apôtres raconte cet épisode. « En ce jour-là éclata contre l’Église de Jérusalem une violente persécution. Sauf les apôtres, tous se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie » (Ac 8,1). Un peu plus loin, l’auteur précise : « C’est ainsi que Philippe, qui était descendu dans une ville de Samarie, y proclamait le Christ. » (Ac 8,5)

La première lettre de Pierre s’adresse aux chrétiens exilés : « Pierre, apôtre de Jésus Christ, aux élus qui vivent en étrangers dans la dispersion, dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie » (1 P 1,1), et l’auteur leur demande d’agir de façon exemplaire en terre d’exile afin de donner un bon témoignage de leur foi. « Ayez une belle conduite parmi les païens, afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, ils soient éclairés par vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa venue. » (1 P 2,12)

Il en va de même avec la lettre de Jacques : « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus vivant dans la dispersion, salut. » (Jc 1,1) Tout au long de l’épître, il invite ces exilés à avoir un comportement digne du Seigneur. Il les invite à passer à l’action parce que les œuvres portent des fruits et de cette manière ils se font témoins pour les gens qui les côtoient. « En effet, de même que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte. » (Jc  2,26)

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Ceux qui recevront ces exilés des caravanes ont un rôle à jouer afin que ne soit pas cultivé chez ces derniers l’amertume et l’envie de vengeance. Les chrétiens des pays d’accueil ont la responsabilité de semer chez ces exilés le goût de chanter des chants du Seigneur, de le proclamer. Qui sait, peut-être à la manière des premiers chrétiens, ces exilés sauront évangéliser les habitants de leur pays d’accueil?

Martin Bellerose est théologien et professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.