Le Bon Samaritain. Théodule Ribot, 1870. Huile sur toile, 98 x 131 cm. Musée des Beaux-Arts de Pau (photo : Wikipedia)

L’hospitalité : Jésus et les Samaritains

Martin BelleroseMartin Bellerose | 12 février 2018

Les textes néotestamentaires où il est question des Samaritains sont très pertinents pour réfléchir à l’hospitalité. Ils apportent un éclairage propre sur la question et mettent davantage en évidence la condition de l’amphitryon, c’est-à-dire, celui qui offre l’hospitalité. Nous nous pencherons ici sur des textes concernant les Samaritains dans le corpus lucanien.

Qui sont les Samaritains?

La ville de Samarie et la région autour a été envahie en 721 (avant notre ère) par l’empire assyrien. On y a alors fait venir des gens de différents recoins de l’empire pour habiter en ses terres. D’abord, le métissage des populations y a été difficile, les différences culturelles et l’incompréhension entre les gens d’origines diverses y étaient pour quelque chose. Les nouveaux arrivants sur ces terres ne connaissaient pas les coutumes de ceux qui y habitaient déjà. Les décideurs assyriens ont alors choisi de faire « revenir » des prêtres du Dieu d’Israël afin d’initier les personnes nouvellement arrivées aux us et cultes de l’endroit. Malgré leur succès, favorisant ainsi le rapprochement entre les peuples et le métissage, certaines formes de syncrétismes n’ont évidemment pas pu être évitées. Bien qu’attachée aux traditions hébraïques, la population de Samarie s’est transformée culturellement et religieusement.

Environ un siècle plus tard, lorsque les exilés juifs de Babylone sont retournés à Jérusalem, les Samaritains pensaient pouvoir s’allier à eux. Les juifs issus de l’exil ont dû lutter pendant des décennies pour préserver leur foi et leur culture et s’étaient recroquevillés sur eux mêmes. Les Samaritains n’étaient pas assez « purs » pour eux et les juifs revenus de Babylone ont refusé de se mêler aux Samaritains jusqu’au temps de Jésus.

Contre le racisme anti-samaritain

Au temps de Jésus, soit plus de six cents ans après le retour d’exil, les tensions entre Samaritains et juifs se faisaient encore sentir. Pour ceux de religion juive « traditionnelle », les Samaritains était des syncrétistes et menaçaient la judaïcité. Jésus voyait bien que les Samaritains étaient exclus et qu’il fallait les réhabiliter parce que même s’ils s’étaient métissés et que leurs pratiques religieuses étaient hybrides, ils étaient fondamentalement des juifs. C’est ce à quoi Jésus s’applique dans la parabole du bon Samaritain (Lc 10,29-37) et dans le récit de la guérison des dix lépreux (Lc 17,11-19). Jésus réhabilite les Samaritains dans ces textes en parlant de leur pratique d’accueil de l’autre.

Dans le texte de la guérison des dix lépreux, le Samaritain y est mentionné, parce que c’est le seul à reconnaître Jésus comme celui l’ayant guéris. La reconnaissance de la part du Samaritain est une forme d’accueil, tout comme la guérison en est une. Le lieu où l’on reçoit les malades n’est-il pas l’hôpital, mot ayant les mêmes racines qu’« hospitalité ».   
Dans la parabole du bon Samaritain, plusieurs éléments étonnent et nous incitent à revisiter notre foi. Soulevons-en ici quelques-uns. En règle générale lorsque les chrétiens d’aujourd’hui s’invitent à aider leur « prochain », ils veulent dire d’aider le plus pauvre, l’exclu, l’immigrant, etc. Cependant, après avoir raconté la parabole, Jésus demande à l’homme de lois : « Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits? » Le légiste répondit : « C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. » (Lc 10,36-37)

Jésus voit le Samaritain comme pauvre évangélique, c’est-à-dire comme celui qui prend parti en faveur de l’exclu, du laissé pour compte. L’action sociale que le Samaritain exécute en faveur de l’homme violenté qui est pour lui un étranger, est un acte d’hospitalité. En fait, le Samaritain n’offre pas l’hospitalité chez lui mais assume tous les frais des soins et de l’hébergement, même si l’accueil peut sembler froid, mais Jésus salue son geste. Le détachement du Samaritain montre aussi qu’il ne s’attend à rien en retour de la part de celui qu’il a aidé. Peut-être, veut-il aussi préserver son intimité et légitimement limité son hospitalité? Jésus reconnait ce droit aux Samaritains, ceux qui ont toutes les raisons du monde de se méfier des juifs pour les raisons mentionnées précédemment.

L’accueil des Samaritains

Or, comme arrivait le temps où il [Jésus] allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem. Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume? » Mais lui, se retournant, les réprimanda. Et ils firent route vers un autre village. (Lc 9,51-56)

Ce texte de l’évangile de Luc démontre que l’attitude compréhensive de Jésus frappe les esprits. Il ne réprimande personne et ne fait la morale à personne. Il connait l’histoire des Samaritains et les comprend. Il sait que le fait qu’il se rende à Jérusalem suscite la méfiance.

Après la mort de Jésus, lorsque que les juifs « pures » jérusalémites persécuteront l’Église de Christ, les Samaritains accueilleront la foi chrétienne et offriront l’hospitalité aux disciples. « En ce jour-là éclata contre l’Église de Jérusalem une violente persécution. Sauf les apôtres, tous se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie. » (Ac 8,1) Il y est mentionné un peu plus loin : « C’est ainsi que Philippe, qui était descendu dans une ville de Samarie, y proclamait le Christ. Les foules unanimes s’attachaient aux paroles de Philippe, car on entendait parler des miracles qu’il faisait et on les voyait. Beaucoup d’esprits impurs en effet sortaient, en poussant de grands cris, de ceux qui en étaient possédés, et beaucoup de paralysés et d’infirmes furent guéris. Il y eut une grande joie dans cette ville. » (Ac 8,5-8)

Conclusion

Comprendre l’accueillant et être attentif à ses sensibilités est ce qui ressort ici. Les gens à qui nous demandons d’accueillir ont leur histoire et leurs blessures aussi. Jésus en tient compte, il ne les juge pas, il ne les condamne pas non plus. Jésus a su reconnaitre leur capacité d’accueil et la mettre en valeur. Cela interpelle aujourd’hui ceux qui ont tendance à juger la façon dont les gens accueillent plutôt que de reconnaitre la valeur du geste aussi atténué soit-il par les blessures du passé.  

Martin Bellerose est théologien et professeur à l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.