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Justice sociale
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chronique du 18 septembre 2015

 

Ce que femme veut, Dieu le veut

colombe

Yemen et sa mère, Dayane (photo : ACNUR / A. McConnell)


Jésus entre dans une maison. Il veut que personne ne le sache. Mais il ne peut être caché.
Et vite, une femme l’entend, dont la petite fille a un souffle contaminé.
Elle vient et tombe à ses pieds.
Elle lui demande de jeter le démon hors de sa fille.
Il lui dit : « Laisse les enfants se rassasier d’abord. Non, il n’est pas beau de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiots. »
Elle répond et lui dit : Oui, Adôn, mais les chiots, sous la table, mangent des miettes des enfants. »
Il lui dit : « À cause de cette parole, va. Le démon est sorti de ta fille. »
Elle s’en va à la maison. Elle trouve l’enfant étendue sur le lit : le démon était sorti  d’elle. (Marc 7,24-30)

     Jésus vient de partager le pain en Galilée aux brebis perdues d’Israël; il est pris aux tripes de voir ainsi une foule affamée oubliée par la classe dirigeante. La faim régnait dans la Galilée d’Hérode et les disciples y reçoivent le mandat suivant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » (6,37)

     Les pharisiens sont venus de Jérusalem pour vérifier l’orthodoxie de Jésus et de son groupe, eux qui prétendent être les gardiens des commandements divins. Ils sont préoccupés de maintenir l’identité juive et s’assurer que chaque individu occupe la place que dieu lui a assignée : séparation des sexes, des ethnies et des classe sociales. Il y a des règles sacrées qui déterminent avec qui on peut se mettre à table, une hiérarchie qui oblige à occuper la place qui revient à chacun dans la société. Ils se préoccupent de la pureté du peuple et s’ingénient à dresser des barrières : il faut se purifier du contact avec les gens impurs au retour du marché en faisant des ablutions avant de manger. Jésus les affronte : « Vous laissez de côté les commandements de Dieu, pour suivre des traditions humaines. » (7,8) L’affrontement avec les pharisiens qu’il a traité d’être des hypocrites sans discernement l’ont mis en danger : il passe la frontière près de la ville de Tyr en Phénicie où il se cache dans une maison. « Il veut que personne ne le sache. »

     Cette histoire illustre l’hostilité profonde entre les Juifs et leurs voisins hellénisés. Jésus est en territoire païen impur. Cette femme qui s’introduit audacieusement dans la maison du prophète est un Syrienne, donc une étrangère polluée. De plus, une femme ne peut décemment s’adresser publiquement à un homme sans commettre envers lui un affront inacceptable, surtout qu’elle relance le prophète dans la maison où il se cache. Et sa demande est ridicule : elle supplie Jésus de guérir sa petite fille, quand on sait que les enfants, et davantage encore les filles, ne sont considérées presque comme du bétail. Dans le dialogue, Jésus assume à prime abord l’inconvenance de la pétition : « On ne donne pas le pain des enfants aux petits chiens. » (7, 27[1] Mais voici que pour une fois Jésus n’a pas le dernier mot dans cette controverse. L’argument de la femme prévaut sur celui de Jésus. De façon intelligente, elle le convainc avec aplomb. « Oui je veux bien que les Juifs soient les premiers à la table du royaume, mais les petits chiens mangent eux aussi les miettes tombées de la table. » Elle l’a convaincu que les non-juifs ont aussi droit aux largesses du royaume de Dieu. D’ailleurs Jésus lui dit : « Laisse d’abord se rassasier les enfants… » Ce qui est en jeu ici, est le droit de manger. Or les disciples devront se faire à l’idée : dans le monde de Dieu, la table accueille tout le monde sans exception. Et pour le confirmer, l’évangile de Marc nous raconte aussitôt un deuxième partage des pains, cette fois-ci en territoire païen de l’autre côté du lac de Galilée. (8,1-21)

     Cette femme « Sans Nom » est la prophétesse qui a permis à Juifs et Hellènes de partager la même table et ouvert l’Église primitive aux nations. Comme pour la Samaritaine dans le quatrième évangile, il est clair que ce sont des femmes qui ont ouvert les portes de l’Église du Christ aux non-juifs. « Qu’un tel argument théologique soit placé dans la bouche d’une femme est un signe du leadership historique des femmes dans l’ouverture du mouvement et de la communauté de Jésus aux pécheurs païens. » [2]

     Odette Mainville écrit : « L’Évangile contient effectivement une semence d’un dynamisme prodigieux pour ouvrir aux femmes, aujourd’hui, et ce sans restriction, la place qui leur revient dans l’Église. On la leur refuse encore au nom Jésus! Ce n’est ni plus ni moins qu’une injure à sa mémoire… ». Et la théologienne de poursuivre : « Certes, l’Évangile n’a pas couvert toutes les situations auxquelles nous aurions à faire face au cours de l’histoire, mais il a donné l’orientation et la puissance du souffle pour les affronter. Il n’a pas dit quoi faire, car la lettre tue; mais il a dit comment faire, et c’est en ce sens que l’esprit vivifie. C’est ce que signifie «selon l’esprit». Selon l’esprit de la Parole de Jésus, c’est-à-dire, tout ce qui génère la vie, qui promeut la dignité humaine. » Et de conclure : « Le pontificat du bon pape François est dangereux, justement parce qu’il éblouit trop… Il éblouit au point où on en vient à oublier son refus catégorique de reconnaître aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en Église. » [2]

     Laissons-nous inspirer par cette prophétesse de l’évangile qui a réussi à faire changer d’idée à Jésus. Que sa sagesse audacieuse puisse transformer notre Église et réparer cette injustice grave, celle de croire que les femmes ne sont pas appelées ni aptes à partager le pain aux enfants de Dieu.

Sur cette même péricope de Marc, voir l’excellent article de Patrice Perreault.

[1] Matthieu est encore plus raide : « On ne donne pas de perles aux cochons. » (7,6)

[2] Elisabeth Schüssler Fiorenza, In Memory of Her. A Feminist Theological Reconstruction of Christian Origins, par Crossroad, New York, 1998, p. 138.

[3] Odette Mainville, « Le pontificat de François : inquiétant pour la cause des femmes », septembre 2015.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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