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Justice sociale
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chronique du 19 juin 2015

 

Un génocide culturel : « Extirper l’Indien de l’enfant »

colombe

(photo : www.aadnc-aandc.gc.ca)


Le blâme le plus flagrant dans ce rapport historique canadien [1] concerne notre traitement des Premières Nations qui vivaient ici au moment de la colonisation. Une période initiale de relations interdépendantes de coopération fondées sur des normes d’égalité et de dépendance mutuelle (décrite avec éloquence par John Raulston Saul dans on livre A Fair Country) a été supplantée au dix-neuvième siècle par l’éthos de l’exclusion et de l’annihilation culturelle. Des premières lois interdisaient aux Indiens de traités de quitter les réserves qui leur étaient assignées. La famine et la maladie étaient généralisées. On a refusé aux Indiens le droit de vote. Des traditions religieuses et sociales tel que le potlatch et la danse du soleil ont été proscrites. Les enfants ont été enlevés à leurs parents et envoyés dans des pensionnats où on leur interdisait de parler leurs langues maternelles; on les obligeait à porter les vêtements du Blanc et à observer des pratiques religieuses chrétiennes. Ils étaient trop souvent soumis à des sévices sexuels. L’objectif était « d’extirper  l’Indien de l’enfant » et ainsi résoudre ce que John A. Macdonald décrivait comme « le problème indien ». L’indianité ne devait pas être tolérée, mais plutôt éliminée.  Dans les mots à la mode à l’époque, c’était de l’assimilation; dans la langue du 21ème siècle, c’est un génocide culturel. À la suite du présent rapport, nous comprenons que la politique d’assimilation était ignoble et que la seule marche à suivre maintenant est la reconnaissance et l’acceptation des valeurs distinctes, des traditions et des religions des descendants des premiers habitants de la terre que nous appelons le Canada. »

Remarques de la très Honorable Beverley McLachlin, P.C., Juge en chef du Canada à Toronto, le 28 mai 2015 (traduction de Claude Lacaille)

Le Seigneur détruira ces nations !

Moïse dit à tous les Israélites : « Le Seigneur votre Dieu lui-même marchera devant vous ; il exterminera ceux qui habitent de l'autre côté, pour que vous puissiez vous emparer de leur pays. Et c'est Josué qui sera votre chef, comme le Seigneur l'a dit. Le Seigneur détruira ces nations comme il a détruit Sihon et Og, rois des Amorites, et leur pays. Il les livrera en votre pouvoir et vous les traiterez exactement comme je vous l'ai ordonné. Soyez courageux et forts, ne tremblez pas de peur devant eux, car le Seigneur votre Dieu marchera avec vous, sans jamais vous abandonner. »  Puis Moïse appela Josué et lui dit en présence de tous les Israélites : « Sois courageux et fort ! C'est toi qui conduiras les Israélites dans le pays que le Seigneur a promis à leurs ancêtres, c'est toi qui le partageras entre eux. Le Seigneur marchera devant toi, il sera avec toi, sans jamais t'abandonner. N'aie donc pas peur et ne te laisse pas abattre. »

Deutéronome 31, 1-8 

Josué conquit tout le pays : la région montagneuse, la région méridionale, la région de Gochen , le Bas-Pays, la vallée du Jourdain ainsi que la région de montagnes et de plaines du nord. Il vainquit et tua les rois des territoires situés entre la montagne dénudée proche de Séir, au sud, et Baal-Gad dans la vallée du Liban, au pied du mont Hermon, au nord. La guerre qu'il leur livra dura longtemps. Seuls les Hivites résidant à Gabaon firent la paix avec les Israélites. Toutes les autres villes furent conquises par les armes. En effet, le Seigneur avait incité les habitants du pays à faire obstinément la guerre aux Israélites. Il fallait que ceux-ci les tuent sans pitié et les exterminent complètement, comme le Seigneur lui-même l'avait ordonné à Moïse. En ce temps-là, Josué alla combattre les Anaquites qui vivaient dans les montagnes, à Hébron, Debir, Anab, et dans toutes les régions montagneuses de Juda et d'Israël. Il les extermina et détruisit entièrement leurs villes. Il ne resta plus d'Anaquites dans le pays d'Israël, il en subsista seulement à Gaza, Gath et Asdod. Ainsi Josué conquit tout le pays, comme le Seigneur l'avait ordonné à Moïse, puis il l'attribua aux Israélites en le partageant entre les différentes tribus. Alors le peuple se reposa de la guerre. 

Josué 11, 16-23

     L’interprétation de la Bible n’est pas toujours « Parole de Dieu »; on s’en sert trop souvent pour nos projets politiques ou économiques pas très catholiques. Les récits bibliques de la conquête de Canaan ont servi de justification à l’invasion barbare et cruelle de l’Amérique par les Européens et a contribué au génocide physique et culturel des Premières Nations.

     Les auteurs du livre de Josué décrivent la conquête comme si le peuple d’Israël, unifié et organisé en 12 tribus, était arrivé d’Égypte en ordre de bataille pour envahir le pays de Canaan, combattre et éliminer tous ses habitants et s’emparer de la terre que leur dieu leur avait promise. L’armée israélienne, sous les ordres de Josué, aurait pratiqué une politique de terre brûlée, éliminant physiquement les villes, villages et habitants de ce territoire et laissant le champ libre au peuple élu de Dieu.

     L’on sait que cela ne s’est jamais passé ainsi. Le livre des Juges qui suit celui de Josué nous révèle une situation bien différente; plusieurs tribus se seraient formées sur cette terre, d’autres auraient immigré, progressivement, sans jamais l’occuper en exclusivité, de diverses façons, au milieu d’éternels conflits, créant des alliances avec leurs voisins et très souvent adoptant leurs religions. Le territoire décrit au début du livre de Josué représente en fait les frontières d’Israël à la fin du règne de David : « Du sud au nord votre territoire s'étendra du désert aux montagnes du Liban. D'est en ouest il ira de l'Euphrate, le grand fleuve, à la mer Méditerranée, en incluant le pays des Hittites. (Josué 1,4) Même là, ce grand Israël de David fut aussi une idéalisation; ce soi-disant fameux royaume n’est jamais mentionné dans les annales étrangères et le nom de David n’apparait dans aucun document des peuples avoisinants. David fut un seigneur de guerre, un ‘apiru, comme il y en avait des dizaines à l’époque. Les épopées ont tendance à idéaliser le passé.

     Pourquoi donc alors nous présenter Josué comme un conquistador tout-puissant conduisant un peuple rangé en bataille sous les ordres de Dieu? Les livres de l’Ancien Testament n’ont été écrits que très tard dans l’histoire du royaume d’Israël. Les recherches bibliques nous permettent de découvrir la création d’une œuvre importante de révision des traditions bibliques suite à la crise provoquée par la destruction de Jérusalem et du sanctuaire par Nabuchodonosor en 587 a.c., par l’exil des élites politiques et religieuses à Babylone et la perte de souveraineté du petit royaume de Juda. Pourquoi Dieu avait-il permis une telle humiliation? Pourquoi avait-il rompu l’Alliance faite avec son peuple? Les auteurs deutéronomistes ont réécrit et unifié les traditions bibliques avant, pendant et après l’exil, dans le but de reconvertir les Israélites à la Torah de Moïse. Selon ces réformateurs, l’infidélité à Dieu, l’idolâtrie, l’éloignement de la religion était la cause de cette situation; il fallait revenir à une observance des lois divines et reconquérir le pays perdu. Josué devenait alors le héros, l’inspirateur de cette reconquête du royaume de David que Dieu allait appuyer quand les Israélites reviendraient dans la terre promise.

     Or ces récits d’Israël conquérant Canaan et détruisant ses populations autochtones servirent d’inspiration aux Européens qui envahirent les Amériques à partir de 1492. C’est d’abord le catholicisme espagnol qui envahit les terres nouvelles et la présence importante d’ecclésiastiques aux côtés des conquistadors servait à légitimer la conquête. On prenait possession des terres en plantant une croix et en célébrant une messe. Les titres de propriété étaient émis directement par le pape, (représentant du Christ, Seigneur du monde entier), qui, dans une bulle, divisait le nouveau continent entre les royaumes catholiques du Portugal et de l’Espagne. L’Église, avec la Bible, donna ainsi une légalité à l’invasion d’un territoire étranger de la part d’une puissance impériale, et conséquemment aux massacres de sa population. (Le plus grand génocide connu de l’histoire est estimé à 70 millions de morts durant les 50 premières années de l’invasion de l’Amérique). Par la suite, l’évangélisation servit à dépouiller les nations autochtones de leurs terres pour les donner aux Espagnols et à réduire en esclavage la population survivante.

     Voici, à titre d’exemple, comment on interpréta le texte de l’évangile de Marc : « Allez dans le monde entier annoncer la Bonne Nouvelle à tous les êtres humains. » (Mc 16,15) « Allez et imposez la religion, étendez la civilisation de l’unité espagnole sur tout le nouveau monde, les baptisant avec la force de l’épée et au nom de la Trinité, les soumettant à l’esclavage et à l’exploitation et leur enseignant à garder fidèlement la métropole, et voici que Ferdinand et Isabelle seront avec vous jusqu’à la fin des temps. » [2] Les textes bibliques furent utilisés la plupart du temps pour légitimer la conquête et condamner les cultures idolâtriques autochtones. « Les conquistadors européens se sont inspirés des mêmes stratégies de guerre que les hébreux. Les prêtres européens furent directement responsables de l’interprétation de la Bible et de diffuser la spiritualité belligérante qui a inspiré l’invasion armée de nos nations. Moïse, Josué et ses prêtres, par l’intermédiaire de « Yahvé, le Dieu des armées » ont dicté des instructions précises sur la manière de conduire militairement la guerre pour s’emparer de la terre de Canaan… » [3]

     Au Canada, la situation déplorable des peuples autochtones et  l’éthos de l’exclusion et de l’annihilation culturelle a reçu l’appui des Églises chrétiennes qui ont activement contribué à extirper l’Indien des enfants dans les pensionnats. La devise du Canada, A mari usque ad mare, en latin, « D’un océan à l’autre », fut proposée par le pasteur presbytérien George Monro Grant à l’époque de la Confédération. La citation est  tirée du psaume 72, verset 8 et proclame le pouvoir du roi Salomon, consacré par Dieu pour dominer le monde: « Qu'il soit le maître d'une mer à l'autre et de l'Euphrate jusqu'au bout du monde ! Les habitants du désert plieront le genou devant lui, ses ennemis mordront la poussière. … Tous les rois s'inclineront devant lui, toutes les nations lui seront soumises. » À l’époque où le soleil ne se couchait pas sur l’empire britannique de Victoria, cette devise exprimait clairement l’entreprise de domination coloniale. Les ennemis, les premiers habitants du territoire conquis, allaient mordre la poussière. Suite à ce terrible rapport concluant à un génocide culturel commis par le Canada, l’une des recommandations demande à l’Église catholique de présenter des excuses aux survivants.

Nous demandons au pape de présenter, au nom de l’Église catholique romaine, des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu’aux collectivités concernées pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats dirigés par l’Église catholique. Nous demandons que ces excuses soient semblables à celles faites en 2010 aux Irlandais qui avaient été victimes de mauvais traitements et à ce qu’elles soient présentées par le pape au Canada, dans un délai d’un an. 

Recommandation 58 de la Commission Vérité et Réconciliation

Ainsi soit-il!

[1] Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, juin 2015.

[2] Les deux notes qui suivent sont tirées de la revue d’interprétation biblique latino-américaine RIBLA numéro 26 La Palabra se hizo india, dans un article de Humberto Ramos Salazar intitulé Biblia y Cultura, 1997. Prien, Hans-Jürgen, La historia del cristianismo en América latina, Salamanca, Ed. Sígueme, 1985, page 815.

[3] Guachalla, Alejandro,  Mitos andinos y la teología de los invasores, dans RIBLA numéro 26, La palabra se hizo india, page 12.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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