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Justice sociale
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chronique du 22 octobre 2010
 

Pour se sortir du trou : la foi et la solidarité

33 croix qui ne seront pas plantées
par Hernán Rivera Letelier

mineur triomphant

Ce furent tout d’abord les tentes solitaires des familles. Elles sont arrivées à la mine avec des drapeaux, des images saintes, des bougies de deuil, des photographies de pères, d’époux, de frères, de fils enterrés là, en dessous. Alors que commençait le sauvetage, elles sont restées là, jour et nuit, priant, pleurant, blasphémant, exigeant justice, supportant le vent et la poussière inclémente, la chaleur durant le jour et le froid mordant la nuit. Et quand tout laissait supposer que le drame se terminerait comme toujours, que là, sur la mine convertie en fosse commune, allaient pousser 33 croix d’animitas, pareilles aux centaines qui se dressent tout le long du désert chilien, monte des profondeurs le message qui secoue tout le monde : les hommes sont vivants.

Lire le texte complet et la nouvelle selon Le Monde diplomatique.

Textes bibliques

J’espérais, j’espérais IHVH.
Il s’incline vers moi, entends mon appel.
Il me fait monter de la fosse du tumulte,
du limon du bourbier.
Il hisse mes pieds sur le rocher, il affermit mes foulées.
Il donne en ma bouche un poème nouveau,
la louange de notre Élohim.
Nombreux le voient, frémissent et se fient à IHVH.
En marche, le brave qui met en IHVH son assurance
et ne se tourne pas vers les superbes, les délateurs trompeurs.
Tu as multiplié, toi, IHVH, Elohaï, les merveilles,
tes pensées vers nous sans mesure.
Je le rapporterai, je parlerai… Trop fort à raconter !
….
Ils exultent, se réjouissent en toi, tous tes chercheurs,
qui disent sans cesse :
IHVH est grand !, les amants de ton salut.
Et moi, l’humilié, le pauvre, Adonaï pense à moi !
Mon aide, mon libérateur, toi, Elohaï, ne tarde pas !

Psaume 40,1-6.17-18

Des profondeurs, je crie vers toi, IHVH !
Adonaï, entends ma voix !
Tes oreilles seront attentives à la voix de ma supplication.

Psaume 130,1 (traductions d’André Chouraqui)

Commentaire

     Le vrai miracle dans cette histoire n'est pas technologique ni politique, mais réside dans la foi et la résistance de ces hommes du désert, rompus à des conditions de travail inhumaines, qui ont su résister au désespoir, s'organiser dans le fond du trou et survivre avec dignité. Ce miracle, près d'un milliard d'humains en ont été les témoins remués. « Au fond de la mine, j’ai vécu avec Dieu et le diable. C’est Dieu qui a eu le dessus », exprimait l’un des sauvés.

     Ce qui m’interpelle, c’est qu’à travers la médiation des nouvelles technologies, cette tragédie presque banale – plus de 400 mineurs sont morts dans les mines chiliennes durant les dix dernières années – a secoué l’humanité.

     Cet épisode tragique dont le dénouement heureux nous a inondés de joie comme si c’était chacun de nous qui venait de sortir de son trou. Car l’évènement dépasse la nouvelle; il est perçu comme une parabole de tout être humain qui, à certains moments de l’existence, se sent plongé au fond d’un gouffre dont il croit ne plus pouvoir s’extirper.

     89 des 150 prières consignées dans le livre des psaumes expriment un sentiment de détresse extrême et de désorientation. C’est un peuple, une communauté qui crie vers Dieu pour sa libération. Il y a dans ces supplications une dimension de solidarité profonde; en effet les psaumes ne s’arrêtent pas aux drames personnels uniquement; le croyant ou la croyante assume dans son expérience intime le destin de toute la collectivité.

     Dans les évènements de la mine San José du Chili, les mineurs coincés dans un refuge et sans aucun contact avec l’extérieur durant 17 jours, se sont nommé un chef et se sont organisés pour survivre, jeûnant et buvant peu pour pouvoir maximiser leurs chances de survie. Ces travailleurs ne se sont pas centrés sur leur malheur individuel, mais ils ont décidé de résister ensemble à la mort, de façon digne et organisée en lien avec leurs familles. Quant après plus de deux semaines, ils ont pu faire monter un message à leur proches, ils écrivaient : « Nous nous portons bien dans le refuge, les 33. »

     La solidarité de ces travailleurs du désert s’est forgée dans les luttes, les victoires et les défaites depuis des siècles. Ils croient en la justice de leur cause, ils croient à leur libération sociale, ils croient en leurs compagnons de travail. Ces hommes exilés dans le désert ont unis leurs efforts en s’organisant en syndicats et en s’inscrivant dans des partis politiques populaires.

     Plusieurs sont demeurés profondément croyants et lors de la fête de la Candelaria (la Chandeleur) à Copiapó, on peut voir les mineurs danser durant douze jours pour remercier la Vierge de sa protection. Les groupes de danseurs se succèdent, vêtus de costumes bigarrés, maintenant bien vivant à travers la dévotion catholique le vieux fond autochtone. La foi de quelques uns nous a touchés, alors qu’ils s’agenouillaient ou se signaient en signe d’action de grâce au sortir de la navette qui les ramenait à l’air libre.

     Nous sommes ici devant une communauté vivante où la vie concrète avec ses peines et ses joies est célébrée spontanément à travers des gestes de foi simples et authentiques. Une Église populaire, qui méconnaît les règles officielles mais exprime sa confiance inébranlable en un Dieu libérateur des petits et des humbles. Des croyants et croyantes qui savent que le salut naîtra de la solidarité humaine, de l’organisation, de la lutte quotidienne pour la survie et pour la justice avec une espérance entêtée et une confiance absolue dans le Dieu des pauvres.

     Impossible de ne pas terminer cette réflexion sans penser au frère André, modeste portier de couvent à Montréal, un homme qui a suscité par sa foi et son attachement à saint Joseph, le patron des ouvriers – étonnamment, la mine au Chili s’appelle « Saint-Joseph » –, qui a suscité, dis-je, un mouvement impressionnant de ferveur religieuse. Sans l’avoir recherché, il a mobilisé les travailleurs et travailleuses de son peuple dans une époque de grande crise sociale et d’extrême pauvreté. Plus d’un millions de canadiens-français s’étaient alors expatriés dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre pour survivre. Le frère André, discrètement, a su écouter les cris du peuple, lui redonner confiance et espoir et le remettre en marche.

     Que le Souffle qui a fait sortir de leur trou ces hommes du Chili nous stimule à ne pas céder à la tentation du désespoir et à chercher dans la solidarité une issue pour nos sociétés. Que cet évènement nous démontre qu’avec la volonté politique, la science mise au service de la vie et la solidarité sociale, nous pouvons inventer la navette qui permettra de sortir du trou de la pauvreté tant de nos frères et sœurs. Et que l’enthousiasme suscité par le frère André se traduise en communautés croyantes insérées dans la vie de notre peuple et solidaire des pauvres sans exclusions.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
Tenir deux lampes allumées

 

 

 

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