chronique du 23 avril 2010
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L'homme révoltéMichel Chartrand
Texte biblique : Matthieu 23
CommentaireUne image m’a beaucoup frappé au milieu des années 50, alors que j’étais adolescent : celle de Jésus présenté sur la page couverture du livre Le Libérateur de Pierre Thivolier, prêtre engagé dans la Mission ouvrière de France. Contrairement aux chromos d’une imagerie mièvre, cette représentation de Jésus brisant une chaîne s’est ancrée solidement dans mon cheminement spirituel. Un Jésus indigné devant les injustices du monde. En fait, on a cherché plutôt à nous inculquer une vision sentimentale d’un doux Jésus, agneau innocent qui se tait alors qu’on l’égorge. Pourtant, lors de la séance de torture dont il est l’objet, Jésus réplique avec dignité au soldat qui le frappe : « Si j’ai mal parlé, dis-moi ce que j’ai dit. Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? » La dimension humaine du prophète de Nazareth a été presque complètement biffée de notre pratique chrétienne. Lors des funérailles de Michel Chartrand, dont la trajectoire militante s’étend sur 70 ans, m’est remonté au cœur ce chapitre 23 de Matthieu. Faut-il s’étonner que la liturgie catholique évite presque systématiquement les passages plus conflictuels, car il faut bien l’admettre, les prophètes critiquent les institutions en place et la religion n’est pas épargnée. Gil Courtemanche qualifie Chartand de « chrétien exemplaire et convaincu ». Un révolté peut-il être un bon catholique? Mais bien sûr, puisque l’adhésion à l’Évangile implique nécessairement cette option prioritaire de Jésus pour les personnes appauvries, exclues ou marginalisées. Les évangiles soulignent que Jésus est plein de présence (exousia), d’autorité qui lui vient de sa fidélité à la volonté du Père. Jésus ne se laisse pas acheter, ni se préoccupe de plaire. Il n’a rien à vendre et pas d’image à sauvegarder. C’est un homme libre qui se tient debout face au système en place. Son indignation ne se révèle pas seulement lors de l’émeute dans le temple où d’un geste rebelle il renverse les tables de la banque (le grec utilise le mot catastropher, mettre sens dessus dessous). L’opposition des classes dirigeantes est constante. De quelle autorité? demande-t-on à ce paysan galiléen sans diplômes. Au point que durant son court ministère prophétique, Jésus n’apparaît qu’au milieu de la foule, car alors il jouit d’une certaine sécurité. Aussitôt après ses manifestations, Jésus se retire dans des endroits déserts ou, à Jérusalem, dans son refuge du jardin des oliviers à l’écart. Loin de vouloir canoniser notre Michel national au risque d’entendre son rire tonitruant retentir dans l’au-delà, reste que Chartrand est une inspiration pour celles et ceux qui donnent leur vie pour que les plus petits, les sans-voix, les sans-pouvoirs, les humiliés de ce monde aient accès au bonheur. Et les raisons de s’indigner ne manquent pas quand on voit les financiers et banquiers empocher l’argent des petits investisseurs par millions, quand les gouvernements taxent le peuple et épargnent les possédants, quand la santé, l’eau, l’éducation deviennent de simples marchandises inaccessibles aux plus pauvres, quand les personnes sur l’aide sociale sont vilipendées comme abusant du système, quand les brevets des compagnies pharmaceutiques passent avant la santé de populations décimées par des maladies facilement curables, etc. Oui, Jésus se situe dans la société de son temps avec les laissés-pour-compte et fait face aux autorités avec un langage tout aussi coloré que celui de notre syndicaliste. Il traite les « honorables » de sépulcres blanchis, pleins de pourriture malgré leur belle apparence. Il les dénonce comme de mauvais comédiens, comme des vipères qui mordent le paysan au talon. Il sait parler au peuple avec des hyperboles, des traits d’humour mordants. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le Règne des Cieux » « Vous filtrez le maringouin mais vous avalez le chameau » Il bénit les cœurs purs, ces cœurs qui n’ont pas de duplicité, qui ne mentent pas, qui se tiennent droit même s’il doit leur en coûter la prison ou la mort. L’option prioritaire pour les pauvres est le fondement de la théologie de la libération, qui n’est en fait qu’une façon vivre ce que Jésus a vécu. Les Scribes et les Séparés d’aujourd’hui y ont vu une déviation dangereuse, mais les pauvres y ont reconnu le discours de Jésus. Lors d’un congrès annuel de l’Entraide missionnaire où l’on débattait de ces questions, Michel Chartrand était venu cueillir sa Simone qui couvrait l’évènement comme journaliste. Debout à l’arrière de la salle, il écouta une partie du panel et aussitôt terminé, enthousiaste, il s’approcha de l’évêque Robert Lebel. « Veux-tu un conseil? » lui dit Michel, amusé. « Demande à tes prêtres quels sont ceux qui veulent devenir missionnaires. Tous ceux qui te donneront leur nom, garde-les. Les autres, foute-les dehors. » C’était une boutade, mais aussi une grande vérité. L’engagement social pour la justice est constitutif de la vie chrétienne. Nous avons l’obligation sacrée, pour reprendre les mots de Gil Courtemanche, de ne pas pratiquer l'indifférence et de travailler sans cesse à la possibilité du bonheur et de la beauté.Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.
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