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Justice sociale
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chronique du 14 juin 2002
 

La leçon des mauvaises herbes

Chronique : Petites larmes du soleil, par Serge Bouchard
Le Devoir, édition du lundi 27 mai 2002 (extraits)

Les fleurs de ma jeunesse ont été les pissenlits. J'ai grandi dans l'est de Montréal, entre les voies ferrées et les terrains vagues, sur le bord du fleuve sale, au bout de l'île, dans un univers industriel parsemé de boisés à meurtres, aux extrémités de l'imaginaire montréalais, refuge du pissenlit dont nul ne se souciera jamais d'écrire le récit.

     Il y a quelques semaines, dans cette même page, un comité de sauvegarde poussait un cri de désespoir devant la décision de déménager La Joute de Riopelle, une oeuvre d'art remarquable, du Stade olympique au centre-ville, privant ainsi le quartier Hochelaga-Maisonneuve de quelque chose de très beau. Mais la beauté ne semble pas être le lot de l'Est. Car, dans l'est de toutes les grandes villes, là où la poussière retombe naturellement en raison des vents dominants, il ne saurait pousser autre chose que des mauvaises herbes. Dans cette partie du jardin, les gens cultivés ne s'aventurent qu'avec réticence et les richesses qui s'y trouvent ne peuvent qu'y être déplacées.

     Les fleurs ont ceci de particulier qu'elles traduisent l'ordre symbolique de nos classifications du monde.

     Vous savez comme moi que le pissenlit n'a pas la cote, pour des raisons qui sont aussi claires qu'obscures. Il faut que le gazon soit parfait; le vert tendre l'emporte sur le jaune. Le gazon jauni est un gazon maudit. Le pissenlit dépare. Cette guerre entre le vert et le jaune se passe entre nos deux oreilles.

     Je propose une semaine du pissenlit, je soutiens que nous devrions le protéger, le reconnaître et nous en inspirer. Il est robuste, indépendant, il survit aux poisons, au béton, il est vivant et déterminé. Nous devrions le cultiver, le vénérer, le déclarer sacré, l'enseigner dans nos écoles, passer du vert au jaune, bref changer nos mentalités.

Textes bibliques

« Prenez les fleurs sauvages : elles croissent, mais sans effort, sans avoir à manier le fuseau. Et pourtant, je vous le dis, les atours d'un Salomon en majesté ne peuvent rivaliser avec ceux d'une seule de ces fleurs. Mais alors, si Dieu s'est donné la peine de vêtir ainsi une fleur sauvage, un jour vivante et le lendemain jetée dans le four, que ne fera-t-il pour vous? » (Matthieu, 6, 28-29)

« Je te suis reconnaissant, Père, maître du ciel et de la terre. Aux savants, aux grands esprits, tu as caché ces choses, pour mieux les dévoiler aux petits. » (Matthieu, 11,25)

Hymne aux mauvaises herbes

Sur ma rétine impressionnée
Se déploie à pleine vallée,
Dans la profusion des couleurs
Le prisme lumineux des fleurs.

Petit soleil étincelant,
Joyeuse marguerite blanche,
Le papillon sur toi se penche
Pour repartir allègrement.

La verge d'or et l'épilobe
Ont cousu une belle robe.
La prairie s'est mise à rougir
De se voir ainsi revêtir.

Le bleu jargeau gisait au sol
Sans pouvoir prendre son envol;
Le mélilot très solidaire
Sur sa tige élève son frère.

Les chardons passent pour grincheux
Bien qu'ils soient de grands amoureux;
Très humble est la silène enflée
À collerette immaculée.

Le plantain, réputé vulgaire,
N'est-il pas grand apothicaire ?
Pourquoi le joyeux pissenlit
Est-il victime d'interdit ?

Je cueille à pleines mains les fraises,
Les gadelles et les framboises,
Les airelles et les bleuets,
qui font le bonheur des gourmets.

Même les chapeaux d'Élizabeth
N'égalent pas la vergerette;
Ni la soutane du pape Jean
N'a l'éclat du liseron blanc.

Fleurs qui parfumez nos saisons,
Fleurs sauvages sans prétentions,
Mauvaises herbes, vous êtes belles !
Merci de nous être fidèles !

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
J'ai fait un rêve fou

 

 

 

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