Les filles de Job, de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
Des filles en trio : les filles de Job
Anne-Marie Chapleau | 4 septembre 2023
Lire : Job 1,1-19 ; 42,13-15.
Voir aussi Job 2,9-10 ; 19,17 ; 31,9-10 au sujet de la femme de Job.
Il n’y a pas beaucoup de femmes dans le livre de Job ! Le conte, puisque c’en est bien un, déroule surtout les dialogues de Job avec ses amis, trois hommes venus soi-disant le consoler [1], et avec un autre personnage masculin qui s’invite dans la discussion. Pourtant, même si leur présence est quelque peu discrète, les filles de Job méritent toute notre attention.
Une vie qui se détraque
Au début du livre qui porte son nom, Job est le prototype du juste béni de Dieu : riche, prospère, doté d’une descendance nombreuse. Mais, brusquement, sa vie parfaite se détraque d’une manière tout à fait inexplicable pour lui [2] ; il perd tout, y compris ses enfants et la santé. Sa femme, qui fait une brève apparition au chapitre 2, ne lui est pas d’un grand secours. Elle lui reproche de « persévérer dans son intégrité » (v. 9) et lui suggère même de maudire Dieu, ce à quoi il se refuse obstinément (v. 10) [3].
Deux trios de filles
Les filles de Job occupent dans le livre à peine plus d’espace que leur mère. Et pourtant, leur présence pourrait bien témoigner d’une évolution importante vécue par leur père. Ces six filles sont regroupées en deux trios qui se contemplent au début et à la fin du livre [4]. En fait, elles participent aux tableaux plus larges qui décrivent la situation de Job avant ses malheurs et après, une fois résolu le drame existentiel dont il est malgré lui le principal protagoniste.
Un drame résolu ?
En fait, pas vraiment. Si ce conte aborde le mystère du mal et de la souffrance, ce n’est pas pour le résoudre – il demeure toujours opaque – mais pour invalider l’explication qu’on en donnait habituellement : les malheurs sont une punition divine, tandis que les richesses sont une récompense [5]. En effet, après avoir laissé Job discuter un bon bout de temps avec ses amis, le Seigneur finit par le rencontrer à son tour (chapitres 38-41). Il lui confirme qu’il avait raison de contester la mentalité simpliste de la rétribution, tout en lui faisant prendre la mesure de sa petitesse devant lui, son Créateur, dont les desseins le dépassent absolument.
Une ouverture sur la beauté, la liberté et la gratuité
Job aura donc appris qu’il avait raison de protester, mais aussi que certains mystères le dépasseront toujours. Est-ce tout? Peut-être pas. Car le trio de filles de la fin n’est pas identique à celui du début. Les trois premières filles sont sans noms, tout comme leurs quatorze frères, les sept du début et les sept de la fin. Mais les trois cadettes sont gratifiées de noms qu’on croirait tout droit sortis de l’univers animal, végétal et minéral du Cantique des Cantiques : Tourterelle, Cinnamone et Corne à fard. Cette mention, dont la tonalité est assez sensuelle, établit pour chacune de ses filles une identité, une personnalité. Elles sortent du rang des enfants anonymes de Job. Cela témoigne peut-être bien d’un autre déplacement vécu par leur père. Alors que le Job du début se donne bien du mal pour maintenir intacte sa propre perfection et celle de sa famille, quitte à multiplier les holocaustes pour les fautes plus ou moins imaginaires de ses fils (1,5), celui de la fin semble plus détendu, plus libre et même prêt à remettre en cause certains pans de la tradition. Il donne à ses filles la même part d’héritage qu’à ses fils, ce qui est plutôt inhabituel et vient tailler au moins une petite coche dans la mentalité patriarcale de la Bible. Quelle liberté nouvelle ce geste a-t-il inauguré pour les filles de Job? L’histoire ne le dit pas, mais libre à chacun de la compléter…
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.
[1] Il relaie également les questions que Job adresse au Seigneur.
[2]
Un peu moins pour les lecteurs et lectrices qui ont pris connaissance du défi que le Satan lance au Seigneur et que celui-ci accepte de relever : Job 1,6-12 ; 2,1-7. Pour en savoir plus sur le livre de Job, lire cet article de Bertrand Ouellet : « La question de Job ».
[3] Ses amis, quant à eux, sont surtout les défenseurs de la mentalité traditionnelle de la rétribution selon laquelle Dieu récompense les justes et punit les méchants. Voyant Job si affligé de malheurs, ses amis en concluent qu’il a dû pécher et cherchent à le convaincre de confesser ses fautes.
[4]
En termes plus techniques, on parle d’une « inclusion », c’est-à-dire d’un procédé littéraire qui consiste en la répétition, à distance, des mêmes termes (mots, expressions). Ce procédé, courant dans la Bible, sert à souligner un élément important d'un texte.
[5]
C’est ce que nous avons appelé plus haut la mentalité de la rétribution.